emmap72

Abonné·e de Mediapart

14 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 novembre 2010

emmap72

Abonné·e de Mediapart

La santé publique au service du pouvoir ?

emmap72

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Suite à l'excellent article de Carine Fouteau, "Ouvriers et cadres, de moins en moins égaux devant la mort" et aux arguments de l'ump pour défendre leurs réformes, une question m'interpelle : la santé publique est-elle au service du pouvoir ou certaines données sont elles omises ce qui remet donc en cause toute argumentation ?

La question mérite d'être posée puisque la majorité des arguments de l'ump pour défendre la réforme des retraites et celle de la sécurité sociale reposent sur des données de santé publique.

Le premier argument avancé par Woerth et ses collaborateurs pour défendre la réforme des retraites est l'amélioration de l'espérance de vie. Mais, l'espérance de vie est-il un indicateur adapté ? L'espérance de vie se définit comme le nombre moyen d'années que vivra un individu ayant un âge donné, si les taux de mortalité actuels persistent. Dans cette définition, ce qui est primordial c'est la dernière partie ... si les taux de mortalité persistent donc plus simplement si les conditions de vie restent les mêmes ... A partir de là, qui peut prétendre que les conditions de vie (sociales, économiques, sanitaires, politiques ...) seront stables ? Un exemple très simple : la canicule de 2003 était un événement imprévisible ... événement qui a bien entendu eu des répercussions sur l'espérance de vie. Alors oui, en moyenne, l'espérance de vie augmente, c'est un constat indéniable, mais à moins d'être devin, on ne peut savoir ce que sera l'espérance de vie dans dix ans.

Il est par ailleurs curieux qu'un autre indicateur, l'espérance de vie sans incapacité, n'est pas été choisi. C'est pourtant l'indicateur qui aurait été idéal dans un débat sur la retraite, avec une réforme qui remet en cause à la fois l'âge de départ et la pénibilité ... L'espérance de vie en bonne santé (ou sans incapacité) est définie comme le nombre moyen d'années qu'une personne devrait vivre en bonne santé si les conditions de mortalité et d'incapacité actuelles continuaient de s'appliquer. Certes, cet indicateur souffre du même inconvénient que pour l'indicateur précédent : uns stabilité des conditions de vie. Il a cependant un avantage majeur : celui de prendre en compte la pénibilité par le biais des incapacités. Et, l'espérance de vie sans incapacité est plus faible en France que dans d'autres pays européens (Lancet, 17 novembre 2008). Le gouvernement a pourtant mis en avant les comparaisons avec les autres pays européens pour l'espérance de vie ... mais a omis de parler des comparaisons sur l'espérance de vie en bonne santé.

Ainsi, on se rend compte que les indicateurs pertinents en santé publique ne sont pas les mêmes que les indicateurs pertinents pour l'ump, mais est-ce vraiment une surprise ?

Au sujet de la pénibilité, là encore, on a du mal à suivre les argumentaires. Alors que de nombreuses études ont montré que, malgré un système de santé très performant, les inégalités sociales en France ne cessent d'augmenter. Cet aspect a-t-il été abordé dans les débats ? S'il a été abordé, il l'a été de façon très rapide alors que pourtant, depuis 2004, la réduction des inégalités de santé fait partie des objectifs de santé publique en France. Les indicateurs permettant d'analyser ces inégalités ont également été omis du débat : taux de renoncement aux soins, taux de bénéficiaires de la CMU, taux d'effort des ménages ... Or, si on part du principe que l'espérance de vie augmente et qu'elle va continuer d'augmenté, cela sous entend que les conditions restent stables et donc que les inégalités ne progressent pas (et encore mieux, bien entendu, diminuent).

Mr Woerth et les rapporteurs ont choisi d'utiliser comme argument principal l'amélioration de l'espérance de vie. Comme cela a été dit dans la première partie de ce billet, c'est un choix qui n'est pas vraiment judicieux mais ce qui le rend encore plus discutable c'est que les éléments déterminants pour assurer l'hypothèse de base (conditions de vie identiques) n'ont pas été abordés. On utilise donc un argument très contestable en oubliant de vérifier l'hypothèse sous jacente, principe inacceptable dans une démarche scientifique. Le domaine des inégalités sociales mérite un (plusieurs) billet spécifiques, je ne m'attarderai donc pas plus sur les mécanismes sous-jacents de ces inégalités ni sur leurs conséquences.

En tant que citoyenne lambda, je voudrais alors que l'on m'explique pourquoi les rapporteurs et experts, rémunérés par des fonds publics donc par les citoyens, rendent des rapports et avis incomplets voire en contradiction avec les méthodes scientifiques de base ? Comment peut-on établir des comparaisons entre les pays européens en n'utilisant que les indicateurs qui vont dans le sens de ce qu'on veut montrer ? Comment peut-on aborder la pénibilité sans prendre en compte les inégalités sociales ? Comment peut-on parler de réforme juste et équitable alors que la différence d'espérance de vie (avec ou sans incapacité) entre les différentes catégories professionnelles sont aussi importantes ? Comment peut-on aborder la pénibilité au travail sans prendre en compte la dégradation des conditions de travail qui, la encore, vont à l'encontre de l'hypothèse du maintien des conditions de vie ? Dégradations des conditions qui s'aggravent que ce soit en terme de précarisation, d'environnement, de pressions psychologiques, de suicides !

Au final, comment sont recrutés les experts censés remettre des éléments scientifiques aux ministres et élus ? Et, à partir de ces rapports, qui choisit les éléments pertinents ? Combien les missions d'experts ont couté aux contribuables que nous sommes ?

Le financement de la santé publique, que ce soit en matière d'actions de préventions et d'éducations et/ou de recherche diminue régulièrement. C'est pourtant une discipline scientifique à part entière qui a un rôle majeur à jouer à différents niveaux et, en particulier, dans le domaine de l'amélioration de l'état de santé, de la lutte contre les inégalités sociales et de la prévention. De nombreuses études sont cependant menées, avec une méthodologie rigoureuse et dans le respect des règles éthiques et déontologiques.

La santé publique serait donc réduite, par ce gouvernement, à un simple outil pour argumenter des réformes et ce, sans aucune rigueur scientifique ? Les données existent, elles ont tout simplement été oubliées par ce gouvernement. Peut-on accepter la remise en cause de la rigueur scientifique au profit du pouvoir ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.