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Billet de blog 20 août 2025

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Jean Pormanove : au-delà de la responsabilité individuelle

Face à l'horreur de la mort de Jean Pormanove, je vois beaucoup de réactions s’attaquer (à juste titre) aux individus. La question qui prime pour moi, c'est de savoir comment cet homme a été entraîné dans une dynamique dans laquelle, pour lui, subir était davantage acceptable et simple que de fuir cet enfer et ce groupe. Il reste parce que partir, ce serait tout perdre.

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Face à l'horreur de la mort de Jean Pormanove, je vois beaucoup de réactions s’attaquer (à juste titre) aux individus.

« Comment ces mecs ont-ils pu faire ça ? C’est inhumain ? Comment les gens peuvent-ils regarder ça sans réagir ? Qui fait ça ? »

Cependant, je ne pense pas que l’analyse est suffisamment concrète si elle s’arrête à l'échelon individuel. 

Bien évidemment, loin de moi l’idée de déresponsabiliser les individus, loin de là. Il faudra que ces individus répondent de leurs actes et de la mort de leur bouc-émissaire, leur victime. Mais, une fois cette réponse et ce constat punitif faits, on se doit de prendre du recul sur l'entièreté de la situation : en tant que société, comment on en arrive là ?

Comment, aujourd’hui, des gens finissent-ils par accepter de subir ce genre de tortures, et comment normalise-t-on ce genre de contenu ? Ou, comment, lorsqu'il nous choque, on ne fait rien activement contre ? 

Oui, la plateforme Kick aussi a sa responsabilité, et ils devront en subir les conséquences. Mais là encore : si la plateforme Kick est sanctionnée, une interdiction de diffusion de la plateforme sans un cadre légal, d'autres prendront cette place, cette "part de marché", si ce n'était pas eux précisément, ce serait une autre plateforme. Une autre plateforme avec très peu de limites, qui conduit à tout type de dérives, même les pires. Déjà, ici, il faut se questionner sur qui laisse faire ce genre de plateforme, pourquoi la France n’impose pas des règles à des plateformes qui ont une activité en France. 

Et surtout, la question qui prime pour moi, c'est de savoir comment cet homme a pu être entrainé dans une telle dynamique dans laquelle, pour lui, subir était davantage acceptable et simple que de fuir cet enfer et ce groupe.

On peut parler de phénomène d’emprise : il reste parce que partir, ce serait tout perdre.

Ils le tiennent, le menacent, lui mettent la pression. Partir n’est même pas vraiment quelque chose qu’il envisage, même lorsqu’il l’évoque, il n’y croit pas vraiment. Ils le tiennent vraiment sous leur emprise, ils décident pour lui. 

Finalement, peut-être qu’on n'en serait pas à se poser la question de comment on laisse faire cela, si on agissait plutôt sur la source : comment évite-t-on les situations d’emprise ?

Comment peut-on agir concrètement là-dessus ?

Comment peut-on agir pour que des personnes meurent pour de l'argent, pour un toit, etc. ?

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Capture d'écran de l'enquête vidéo de Mediapart, décembre 2024.

Dans cette dynamique d’emprise, on le voit bien : ils ont la main sur tout. Ils sont la main sur son logement, sur son argent, sur son cercle social : Il vit en sous-location chez un proche d'un de ses bourreaux, qui peut donc l'en expulser du jour au lendemain, même garder ses affaires personnels, légalement ; ils sont ses seuls, si ce n'est premiers, amis ; et aussi ceux qui le rémunèrent avec une parti des revenus générés. Sans eux, il n’a plus rien. Les quitter, c’est retourner dans la précarité, et vivre avec maximum (avec un peu de chance) à 1000€/mois d’AAH (allocation aux adultes handicapés). Ou alors à 600€ de RSA (bientôt conditionné à 15h de formation par semaine). Avec le besoin de payer un loyer, de payer un traitement (si besoin), de la nourriture, et toutes autres charges locatives. C’était 6000€ en subissant ça, ou un retour à un maigre RSA de 600€, avec la précarité et l’isolement. 

Ayant moi-même connu l’isolement et la précarité, je comprends comment ce JP a pu être aussi poussé dans cette entreprise par le manque de structure sociale, publique, de lien social, et comment une fois là-dedans, ça a été presque impossible mentalement pour lui de quitter un tel espace social, économique, global pour retourner à une vie presque "misérable" surtout dans une société néolibérale comme la nôtre, où la valeur d'un être humain ne se définit par ce qu'on appelle « la valeur travail ».

L'AAH, par exemple, vous permet de survivre, pas de vous sentir valide et de trouver du sens.

Si on avait eu des services publics plus efficients, un moyen de se loger et de vivre dignement sans que cela soit conditionné à un revenu, peut-être que Jean Pormanove aurait osé en partir, si cela ne signifiait pas le retour à son ancienne misérable vie conditionnée et isolée.

La mort de cet homme sur nos écrans, n'est pas que la responsabilité de ses bourreaux, de son public, de la plateforme, elle est notre responsabilité à tous, collectivement, en tant que société. Nous l'avons laissé mourir, nous l'avons tué. 

Plus on casse les services publics, l'entièreté de notre système social, comme avec le nouveau budget Bayrou qui vise d'y supprimer au moins 3000 postes. Plus on laisse faire ça, plus on provoque ça, et plus les cas comme celui JP existeront. Plus on provoque la casse du système social, plus on provoque et multiplie des Jean Pormanove.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.