La loi de finance 2018 s’inscrit dans une logique de baisse de la dépense publique et des prélèvements obligatoires. Parmi les mesures fiscales prises dans le cadre de cette loi de finance, on trouve pour 80% des ménages, une réduction d’un tiers de la taxe d’habitation en 2018, première étape vers sa suppression totale dans les trois ans. Taxe d’habitation qualifiée par le Président de la République d’impôt « le plus injuste ».
Cette réduction est censée être compensée par l’Etat, qui versera aux collectivités locales le manque à gagner en fonction du produit encaissé par les collectivités en 2017. Toutefois, les contribuables non exonérés pourront voir leur taux librement augmenté par les collectivités.
Bien que cette mesure fiscale puisse être un bon moyen pour les ménages exonérés d’augmenter leur pouvoir d’achat, il apparait toutefois qu’elle fait l’objet d’inquiétude, tant par les collectivités locales qui voient leur autonomie affectée, que par les contribuables qui ont peur de voir leur taxe d’habitation flamber.
Quelles conséquences pour les collectivités locales ?
Un moyen pour l’Etat de mieux encadrer les dépenses des collectivités locales.
On constate aujourd’hui que depuis le début de la décentralisation en 1983, les dépenses des collectivités locales ont augmenté de plus de 3% par an, contre 1,9% pour le PIB. Par ailleurs, les deux tiers des dépenses des collectivités locales relèvent de dépenses de fonctionnement, le reste étant affecté à des dépenses d’intervention.
Ce constat a ouvert un débat, qui oppose les partisans d’une augmentation de l’encadrement des collectivités locales afin de d’éviter que l’ensemble des dépenses publiques continuent d’augmenter à ceux qui préfèrent le maintien de leur autonomie financière, estimant à l’inverse qu’elles dépensent bien leur argent.
Comme expliqué, la loi de finances 2018 a pour objectif de rationaliser les dépenses publiques. Ainsi, dans ce contexte, la maitrise des dépenses des collectivités locales semble justifiée. Par ailleurs, l’encadrement des dépenses des collectivités locales représente un enjeu pour le budget de l’Etat : en effet, les transferts financiers effectués par l’Etat représentent près de cent milliards d’euros par an, dont 27 milliards environ de fiscalité transférée. Par ailleurs, les collectivités, qui portent 75 % de l'investissement public civil en France (routes, écoles, crèches, équipements culturels, etc.) votent obligatoirement leur budget en équilibre. Autrement dit leurs ressources sont censées couvrir leurs dépenses, emprunts compris. Contrairement à l'Etat, qui lui est perpétuellement en déficit, aucune collectivité n'a le droit d'emprunter pour financer ses dépenses de fonctionnement.
De plus, il est important de rappeler que l’autonomie financière des collectivités territoriales est protégée par la Constitution, et ce depuis 2004. En effet, l’article 72 de la Constitution affirme que les collectivités locales s’administrent librement. L’inquiétude des maires de France porte notamment sur ce point, estimant que la loi de finances 2018 bafoue la Constitution, et limite leur marge de manœuvre. La compensation par l’Etat apparait, autrement dit, comme une forme d’ingérence.
Quid des services publics ?
La loi de finance prévoit que l’Etat paye les collectivités locales en compensation de ce qui n’aura pas été prélevé par les contribuables. Pour ce faire, l’Etat effectue cette compensation sur la base du produit encaissé par les collectivités en 2017. Autrement dit, les maires voient leurs recettes en partie figées par l’Etat, étant donné qu’ils ne peuvent plus fixer le taux de leur taxe d’habitation, celle-ci fixée par l’Etat. A moins d’augmenter excessivement le taux d’imposition des foyers restant imposables (sachant que dans 206 petites communes, plus aucun habitant ne devrait payer de taxe d’habitation en 2020), il s’avère indéniable que la gestion des services publics risque d’être rendue plus difficile. Les maires devront donc effectuer des ajustements, qui risquent d’altérer les services publics (en matière d’horaires, ou de personnel par exemple). Cela signifie également des politiques culturelles, écologiques et sportives réduites au minimum ce qui implique moins de services donc moins d'emploi local.
Un cadeau empoisonné pour les contribuables ?
Une redistribution susceptible d’affaiblir contribuables et associations
En plus d’une qualité altérée des services publics, la diminution des aides sociales semble tout aussi attendue. En effet, toujours dans cette logique de limiter les dépenses des collectivités locales, si le montant remboursé par l’Etat ne suffit pas à mener à bien l’ensemble des politiques, il est probable que les aides sociales versées par ces mêmes collectivités diminuent.
Le tissu associatif est déjà assez fragile dans certaines communes, et les subventions s’y font de plus en plus maigres. L’inquiétude des responsables associatifs réside dans le fait que la mesure fiscale les affaiblisse en premier plan, via une diminution voire suppression des subventions allouées par les collectivités locales.
En somme, limiter les dépenses des collectivités locales, de la sorte, amenuisera par ricochet les aides sociales et les subventions aux associations.
Une compensation jugée « injuste » pour beaucoup.
Alors que l’argument premier d’Emmanuel Macron, encore candidat aux élections présidentielles, était que la taxe d’habitation était «l’impôt le plus injuste », sa mesure fiscale aujourd’hui apporte les mêmes critiques de la part des citoyens.
En effet, le Président laisse la liberté aux collectivités territoriales d’augmenter le taux pour les ménages encore contribuables en 2020. Or rien n’empêche un maire d’effectuer une augmentation exagérée sur ces foyers, dans le but de rattraper le retard pris, et combler le manque que l’Etat lui inflige.
Pour les contribuables qui n'étaient pas déjà exonérés de taxe d'habitation en 2017, la suppression de la taxe d'habitation représente un gain de pouvoir d'achat indéniable. Pour certains retraités en revanche, il ne s'agit que d'une mesure de compensation pour éviter que la hausse de la Contribution Sociale Généralisée, CSG ne pèse sur leur niveau de vie.
Lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a évoqué des limites à l'exonération, spécifiques pour les retraités : moins de deux mille euros par mois pour une personne seule et moins de quatre mille euros par mois pour un couple de retraités. Or ces plafonds d'exonération sont différents des cas généraux, dont les seuils d'exonération seraient fixés à « 1666 euros de revenu fiscal par mois pour une personne seule et 3 333 euros pour un couple. » Néanmoins, au vu des textes finalement votés, les retraités ne bénéficient pas d'un seuil d'exonération spécifique puisque le dispositif de dégrèvement n'est pas basé sur l'âge, mais seulement sur le revenu fiscal de référence.
Quelles réformes aurions-nous pu envisager ?
Revenir sur les bases de calcul
Si la taxe d’habitation est souvent considérée comme injuste, c’est surtout parce qu’elle ne tient généralement pas compte des revenus des résidents, mais seulement de la surface de leur logement. De plus, son montant dépend de la valeur cadastrale du logement en question. Or, la valeur cadastrale utilisée aujourd’hui repose sur une actualisation qui remonte aux années 1980. Elle est donc déconnectée des prix actuels. Si bien que, combiné au taux fixé par chaque commune, cela débouche sur une certaine hétérogénéité dans les montants à verser. Par conséquent, actualiser les bases du calcul de la taxe d’habitation et adapter cette dernière aux revenus des contribuables semble plus opportun et équitable, afin de ne pas pénaliser les contribuables, ni empêcher l’autonomie des collectivités locales.
Installer un système de péréquation horizontale pérenne
Une meilleure répartition des ressources entre les collectivités territoriales apparait comme une solution fiable pour éviter une altération de la qualité des services publics. En effet, les écarts de potentiel fiscal entre les collectivités territoriales sont très élevés.
Si l’on s’en tient aux seules ressources fiscales des collectivités, on remarque déjà des écarts non négligeables entre les régions, qui proviennent principalement de l’inégale répartition de handicaps et d’atouts qui s’imposent aux élus locaux. Les systèmes de péréquation des ressources fiscales, censés corriger ces inégalités, ne changent cette répartition qu’à la marge, étant donné qu’ils représentent au total quelques pourcents des ressources fiscales totales des collectivités territoriales. A cela s’ajoutent également les inégalités de charges, puisque toutes les communes ne possèdent pas le même nombre d’entreprises sur leur territoire.
Un mécanisme de péréquation horizontale permettrait de garantir un service public de base, voire de qualité, sur des territoires dans le besoin, sans avoir l’ingérence de l’Etat tel que c’est le cas avec la loi de finance 2018. De plus, de nombreuses études microéconomiques montrent que la surabondance de moyens sur un territoire donné conduit au financement d’infrastructures inutiles, et donc de gaspillage.