Le bruit parle au bruit. De nombreux médias journalistiques ont relayé la polémique lancée malgré lui par Emmanuel Macron, jeudi 29 juin. Le Président inaugurait à Paris la Station F, un immense incubateur de jeunes entreprises. « Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », a-t-il déclaré. Il faisait référence au passé du lieu, un ancien dépôt ferroviaire jusqu’en 2006.
Le “les gens qui ne sont rien” n’est pas passé. Les attaques ont résonné tout le week-end, et ont trouvé de l’écho. Les adversaires politiques du Président ont dénoncé son mépris des faibles, et ont trouvé dans certains médias une avantageuse caisse de résonance.
Que ses adversaires politiques attaquent Emmanuel Macron en amplifiant et sortant ses propos du contexte, c’est presque de bonne guerre. Mais que des médias qui se disent journalistiques reprennent et diffusent ces piques sans prendre un minimum de recul, c’est dommage.
C’est dommage car on a l’impression de se trouver face à des agences de communication gratuites pour politiques. Les formats et les tons changent, un peu, certes, mais on reconnaît un point commun à tous ces “papiers” : la dissolution de la personnalité du journaliste dans la communication politicienne. Dans le jargon de la presse, en comparant avec un restaurant, on dit qu’on passe les plats.
Si je caricature un peu, ca donne: “Hé, le Lab Europe 1, Florian Philippot et Dupont-Aignan ont fait leurs déclarations, ils attendent leur article là !” ; “Ho, le Huff Post, un internaute a mis en image sa citation de Camus, il aimerait un paragraphe !” ; “Quoi ? Non, surtout pas ! On ne va pas s’amuser à analyser la commande des clients, on leur sert ce qu’ils ont demandé !” Et ça se poursuit aussi chez Russia Today, Le Nouvel Obs (qui se paye le luxe d’oublier un mot et de ne pas le corriger), et chez BFM.
Ce que ces médias ne voient pas, c’est que le Président ne prétend pas tenir un discours exhaustif. Il ne divise pas le monde en deux. Il n’y a pas seulement ceux qui réussissent, et ceux qui ne sont rien… mais aussi tous les autres ! C’est une évidence à l’entendre. Il cite simplement deux groupes de personnes qu’on croise dans les gares mais il ne parle jamais de la société dans son ensemble à ce moment-là de son discours.
Ensuite, la question qui devrait venir, et que ces médias ne posent jamais non plus : qu’est-ce que Macron a voulu réellement dire ? Que veut dire “réussir”, ou “n’être rien” ? Est-ce que le Président remet en cause publiquement les Droits de l’homme de certains individus, en niant leur existence ? Peu probable. Est-ce qu’il parle de réussite économique ? Est-ce qu’il parle de conditions de vie ? Est ce qu’il manque réellement de respect à certains ? Où est-ce qu’il cherche au contraire à choquer pour faire réfléchir ?
Pour ma part, quand je pense aux gens qui ne sont rien dans les gares, immédiatement, dans la tête, j’ai l’image de ceux qui dorment, mangent, mendient sur les pavés plein d’urine et de crasse, au su et au vu de tous, mais sans susciter beaucoup de compassion.
Hier après-midi, comme j’habite près de la gare du Nord à Paris, je me suis dit que ce serait une bonne idée de partir à la recherche de quelqu’un qui “n’est rien”. A peine arrivé, je n’ai qu’à jeter un regard vers une porte vitrée coulissante que j’en vois un juste à la gauche de l’encadrure. Un homme assis au sol, aux habits tachés et poussiéreux, accompagné de sacs et de sachets, à moitié caché derrière une mince colonne en pierre. J’ai trouvé “rien”.
“Rien” s’appelle Christian. Il vient de Madagascar. Il a la peau sombre, les cheveux crépus, et la barbe fournie. Il sourit quand je lui demande si je peux me poser à côté de lui quelques minutes. Il parle très doucement, chuchote presque, si bien que je dois tendre l’oreille plus d’une fois. On fait un peu connaissance et je lui parle de la polémique, de ceux qui ne “seraient rien”.
“Ah oui Macron… C’est bien lui alors… C’est lui le nouveau locataire de l’Elysée alors ?” Je confirme. “D’accord… je n’avais pas tout suivi”. Le Président ne semblait pas être grand chose pour Christian jusqu’à aujourd’hui…
Il poursuit sans se fâcher, sans fustiger comme les politiques, sans même faire la moue. Tout juste prend-il le temps de regarder ailleurs le temps de réfléchir. “Eh bien, je ne sais pas moi… ce qu’il veut dire par réussir… ou rien… Chacun doit décider de ce qu’il veut…” Il me fait penser que ceux qui ne “sont rien”, ce sont peut-être aussi ceux qui n’ont pas de projets, pas d’envie.
“Moi je veux travailler de nouveau dans le bâtiment… Comme avant… Quand je n’étais pas dans la mendicité… La réussite, ça dépend de ce que chacun veut dans la vie…” Au fond, une analyse pertinente, sage, et simple. Une analyse qu’on ne trouve pas dans les médias cités plus haut, mais sur le parvis de la gare du Nord.

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