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Billet de blog 21 juin 2017

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Travis Kalanick est sur la touche. Il incarnait trop bien la douteuse “Uberréussite”

Si Travis Kalanick a été écarté de son poste de PDG d’Uber, c’est peut-être parce qu’il rendait trop visible l’orientation de son entreprise, cynique et néfaste pour les chauffeurs.

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Ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers. Créer une boite valorisée 70 milliards de dollars en 8 ans ne suffisait pas. Travis Kalanick, le PDG d’Uber a été poussé dehors par ses investisseurs, ce mercredi 21 juin 2017, au terme de longues discussions, comme le raconte le New York Times,

Comment l’expliquer ? On a invoqué des remarques sexistes, un caractère autoritaire, une politique trop tardive de lutte contre les harcèlements au sein de l’entreprise. Bon. Admettons. Mais encore ?

N’était-ce pas aussi parce que Travis Kalanick rendait trop visible la philosophie d’Uber ? N’était-ce pas parce qu’il incarnait trop bien la manière de faire des affaires de l’entreprise qu’il a bâtie, forcément, un peu -voire beaucoup- à son image ? N’était-ce pas parce-qu’il symbolisait trop parfaitement l’”Uberréussite”, du nom d’un de leur slogan publicitaire ?

Uber, pour les chauffeurs, s’apparente à une course sans fin et sans reprendre haleine. 60 heures par semaine pour gagner de quoi vivre, sans prendre de vacances, ni tomber malade, ni accidenter sa voiture et avec une protection sociale minimum. C’est l’estimation du rapport de janvier 2017 du médiateur nommé par le gouvernement français dans la crise des VTC. Aux Etats-Unis, les choses suivent le même cours, à voir la fameuse altercation filmée entre un chauffeur Uber et Travis Kalanick en mars 2017. “J’ai perdu 97 000 dollars à cause de vous ! Je suis en faillite à cause de vous !” attaque le premier. “T’as qu’à bosser plus”, lui rétorque, en substance, le second.

Et ce n’est qu’un avant goût. Quand Uber aura des voiture autonomes à disposition, dans quelques années -c’est-à-dire demain-, que feront les chauffeurs ? Réponse: www.pole-emploi.fr . Juste pour accéder aux offres de travail bien entendu, par pour toucher les droits au chômage que leur statut d’indépendant ne leur à pas ouverts. Uber n’aura eu qu’à résilier des contrats de prestataires. Après avoir fait miroiter l’”Uberréussite”, la start-up californienne laissera la crise sociale des chauffeurs, souvent endettés pour avoir acheté une belle voiture, sur les bras de l’Etat.

C’est cette irresponsabilité, ce mépris, ce cynisme, que Travis Kalanick incarnait trop bien. Trop visible, trop assumé, il aurait pu nuire à l’image d’Uber, à la confiance des clients, à la bienveillance des gouvernements, et, par ricochet, à la capitalisation.

Beau joueur, un des membres d’un des principaux fonds d’investissement, Benchmark, lui a quand même rendu hommage dans un tweet. Il n’oublie sans doute pas que Travis Kalanick contrôle toujours la majorité des droits de vote…

L’impact de l'ancien PDG évoqué dans le tweet risque en effet de durer. Avec 2,8 milliards de dollars de pertes annoncées en 2016 pour 6,5 milliards de chiffre d’affaires, après 8 ans d’existence et 11,5 milliards levés, on peut se demander où va finir cette fuite en avant.

“Aucune entreprise, qui ne vit que parce qu’elle paye des salaires inférieurs au minimum vital à ses employés, n’a le droit de poursuivre ses activités dans ce pays” clamait Roosevelt en 1933, en plein New Deal. C’est peut-être ce modèle économique épinglé par l’ancien président américain que les investisseurs d’Uber veulent protéger, et que Travis Kalanick rendait trop visible.

Note: Ce billet a également été publié sur Medium

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