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Billet de blog 29 septembre 2015

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Pelloux à Télérama

Lundi 21 septembre, lors de Télérama Dialogue #3, le médecin militant avait confié son intention en coulisses. Depuis, sa décision est officielle : il quittera “Charlie Hebdo” début 2016.

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Lundi 21 septembre, lors de Télérama Dialogue #3, le médecin militant avait confié son intention en coulisses. Depuis, sa décision est officielle : il quittera “Charlie Hebdo” début 2016.

http://images.telerama.fr/medias/2015/09/media_131906/podcast-telerama-dialogue-3-patrick-pelloux,M257382.mp3

Retranscription rapide des 18 premieres minutes. 

Télérama

Bonjour à tous, bonjour Patrick Pelloux.

Pelloux

Bonjour

Télérama

Alors Patrick Pelloux avant on vous connaissait pour avoir tirer la sonnette d'alarme pendant la canicule de 2003. On vous connaissait aussi comme syndicaliste. Vous avez créé l'association des médecins urgentistes de France. On vout connaissait évidement comme chroniqueur à Charlie, puis on vous connaissait aussi comme écrivain puisque vous avez écrit un essai qui a remporté un beau succés. Ca c'était avant le 7 janvier. Et le 7 janvier une partie de votre vie vous a été enlevé. Cette parti de votre vie s'appelé, on va rappelé leur nom: Charb, Cabu, Ahmed, Elsa, Tignous, Bernard, Moustapha, Wolinski, Honoré. Et il y avait aussi ce jour là Franck et Michel. Donc avant c'était aussi avant le 11 janvier et la manifestation monstre de deuil, de soutien, d'affection, de révolte, en tout cas d'attachement à une certaine idée de la liberté. Alors d'abord un grand merci P Pelloux d'avoir accepté d'ouvrir ce Télérama dialogue. Ma première question sera très simple, le lien avec avant, votre vie d'avant, est il rompu?

Pelloux

Ben d'abord merci de m'inviter. Et merci à tous le monde d'être là. Hum, pff, j'en sais rien. Il y a un avant. Oui il y avait un avant et hum on ne se rends pas compte quand le bonheur est là. C'est assez drôle d'ailleurs d'être ici parce que François Morel fait un spectacle magnifique, son dernier spectacle, la fin du monde est pour dimanche, et à l'intérieur du spectacle il a un sketch ou il fait le procès du bonheur et quand j'ai vu le spectacle, j'avais regardé ce sketch sans plus avant, et en fait il fait le procès du bonheur et après le 7 janvier, j'ai regardé et pour moi son sketch est absolument majeur. Cette écriture est majeur. Il accuse le bonheur de ne pas être visible. Or ce qui est arrivé après le 7, le 11, après ces drames, et il faut pas dissocier d'ailleurs l'attentat de Charlie Hebdo de l'hypercasher, comme il faut l'ajouter à celui de Copenhague, récemment au thalys, il y a une cohérence hélas sur toute cette criminalité de guerre. J'avais pas vu que j'étais avec le bonheur d'être entouré de personnalités comme Cabu, Bernard Maris, Charb, etc... Donc déjà on voit pas lorsque le bonheur est vraiment là. Donc déjà faut être très humble lorsqu'on se dit qu'on a pas trop le moral, que ça ne va pas, etc... C'est de regarder ce qu'on a et finalement d'être dans une culture plutôt de positiver les choses même si c'est pas facile. Donc déjà j'ai une certaine humilité en quelque sorte par rapport à ce qu'il se passe. Ensuite depuis le 7 janvier, ben faut tenir. Alors ça, toutes celles et ceux qui sont dans la salle lorsque vous perdez quelqu'un de proche. Y a pas de graduation dans les drames. Y a pas le drame bankable et puis celui... Non, non, chacun à sa souffrance et toutes les souffrances sont égales. Y a pleins de gens ici qui ont perdu des êtres cher qui ont eu des accidents qui ressentent ce qu'on ressent nous à l'intérieur de l'équipe. Et il faut vivre, il faut continuer, voilà... Parce que c'est comme ça et c'est une chance et pratiquement chaque jour ou je dis bonjour, je me dis olalala derrière ce mot bonjour. Ca veut dire quelque chose, c'est voilà...

Télérama

Je crois me souvenir qu'il y avait un moment ou on vous avez posé la question: "Que disiez vous quand on vous demandez si vous étiez heureux?". Et vous répondiez: "Je suis heureux parce que je fais partie de la seule génération qui n'a pas connu de guerre dans ma vie." Maintenant c'est un peu différent quand même !

Pelloux

Mais c'est bien d'avoir... Parce que ça c'était ma phrase d'avant le 7 janvier; J'avais dit ça et notamment j'avais fait une interview au quotidien du médecin, c'est Karine Piganeau la directrice qui m'a rappelé ça récemment. Elle m'a dit mais tu sais que on t'avait interviewé fin novembre pour savoir ce que tu souhaité sur l'année. Et en fait elle m'avait jugé un peu barge comme d'habitude et elle m'avait dit, ce que je lui avais dit, j'espère qu'on n'aura pas la guerre. Déjà je sentais des trucs comme ça. Maintenant oui, je suis une génération qui connait la guerre. Waouw! J'ai encore plus de respect d'ailleurs pour l'histoire et ce qu'on fait de l'histoire. J'ai encore plus de respect pour des personnalités comme Jean Moulin, comme toutes ces résistantes, ces résistants sur les témoignages de ceux qui ont vécu l'oppression nazi, tout ça. Et je considère qu'on est vraiment dans une situation extrêmement dramatique comme l'a dit d'ailleurs le président de la république ou le premier ministre ou des femmes et des hommes politique récemment. Mais ça veut pas dire qu'il faut s'arréter. C'est à dire qu'en même temps il faut continuer. Et justement ça part de la liberté d'expression, c'est pour ça que je vous suis extrêmement reconnaissant de m'avoir invité, parce que des journaux comme le vôtre c'est la preuve de l'expression de la démocratie, de la critique raisonné, de la critique de tout, pour en parler. C'est pas pour ça si nous ne sommes pas d'accord que quelqu'un va prendre une kalachnikov pour abattre les autres, c'est ça...

Télérama

On va revenir, évidemment, dans un moment sur le sens de la manifestation du 11 janvier et du thème je suis Charlie. Mais toute à l'heure on parlé de, et vous en parlez avec une grande simplicité, et une simplicité d'urgentiste aussi de ce que c'est que le psychotraumatisme d'une situation comme celle là. Comment on s'en relève? Vous m'en parliez toute à l'heure et c'est je crois un thème intéressant de savoir. Le sommeil? Le sport?

Pellloux

Je suis une espèce d'ambivalence depuis le 7 janvier. Je suis à la fois soignant et patient. C'est très compliqué, mais... C'est un peu comme le livre qu'à fait Luz Catharsys. Ce qu'on vit la doit aider les autres. Enfait faut témoigner. Je crois que justement j'ai un espèce de regard décalé qui a fait que des le lendemain de l'attentat y avait une réunion de débriefing avec l'ensemble des secours et j'ai tenu à y aller pour leur dire ça vous l'avez fait, c'est bien. Ca on le fait c'est pas bon. Parce que je pense que ça peut aider justement l'abord de la science et l'avenir pour les malades et les prises en charge de psychotraumatisme. En gros comment je m'en sors, je sais pas si je m'en sors, faut garder ses mêmes habitudes. Faut savoir qu'après un psychotraumatisme comme ça ou comme tous les drames de grands accidents. J'appelerais ça le premier tour de piste, c'est à dire qu'en fait vous commencez votre deuil avec l'abscence. Donc vous faites une année. Donc vous avez tous ces repères qui sont des rituels de notre civilisation, les anniversaires, les vendredis soir, les bars ou vous alliez. Ca a un côté un peu rituel. Qui est compliqué parce que y a des endroits dans Paris ou par exemple j'allais manger avec Cabu et c'est difficile d'y aller ou il y a une autre brasserie au beaux arts ou j'allais trés trés trés souvent avec Charb, je peux toujours pas y aller. Vous avez cette espèce de rituel. Deuxièmement il y a un côté physique. On sait que le plus important c'est le sommeil. C'est vraiment fondamental de bien dormir. Si vous ne dormez pas, de toute façon les premières techniques de torture c'est le manque de sommeil et le manque de nourriture donc faut bien manger et le sport. Il faut faire beaucoup de sport. Non pas pour faire des performances. Non pas pour tomber dans un esprit sain dans un corps sain. C'est pas ça. C'est que ça vous permet de défouler et d'essayer d'aller mieux. Y a des leurres. Les leurres c'est de croire que l'alcool va vous rendre service. De croire que finalement de fuir trop rapidement, en disant mais j'ai pas besoin de voir des psychiatres ou des psychologues, ca va allé mieux, etc... Tout ça ce sont des leurres et il faut et c'est sur que à notre époque ou on a une intelligence souvent en 140 signes d'un tweet et ou dans une immédiateté, de dire qu'il faut beaucoup de temps et beaucoup de bienveillance. Parce que c'est un mot que j'aime particulièrement beaucoup maintenant. On a l'impression de pas être moderne et pourtant c'est ça. Il faut beaucoup, beaucoup de temps.

Télérama

Alors le 11 janvier 3-4-5 millions de français ce sont rassemblés dans les rues de france pour exprimer un attachement à beaucoup de choses. Un attachement à Charlie, bien sur, un moment de deuil pour les gens qui ont disparus. Mais aussi pour dire beaucoupr d'autres choses. Avec le recul comment est ce que vous analysez ces rassemblements

Pelloux

Ils étaient encore plus nombreux vraisemblablement. Je crois que c'était même peut-être plus proche des 10 millions, que ce qu'on croit parce que vous avez pleins de rassemblements et j'ai encore pleins de témoignages de gens qui racontent ou ils étaient, ce qu'ils faisaient. C'est une manifesation que personne pouvait imaginer. La plus grande manifestation de tous les temps en France. Pour défendre quoi? Non c'est pas défendre le journal Charlie Hebdo en lui-même, c'est défendre la civilisation, c'est défendre la république, c'est défendre la liberté d'expression, c'est défendre la culture, défendre les métiers de journaliste, défendre la laïcité, avant toute chose, qui a été le point de développement scientifique des nations et de l'humanité, lorsque l'on a déconnecté de la religion, le savoir. C'est ça que ça voulait..., c'est ça que veut dire parce qu'il faut parler au présent. Ceux qui disent, d'ailleurs ce sont les mêmes qui ,quelques semaines avant les attentats disaient que la France n'avait plus de valeur, que on étais foutu, que plus rien ne servait à rien et tout. Et non d'un coup vous avez eu ce drame épouvantable et je ne suis pas plus dépositaire du savoir, de l'analyse de ce drame que les gens qui sont là ou que télérama. Ca appartient à tous le monde. C'est une cause collective. Cette manifestation est extrement apaisante et c'est apaisant de s'en souvenir comme ça. Pour dire que c'est une manifestation qui a dit: non à la violence, non à la barbarie nazi car c'est une babarie nazi quand vous tuez tous le monde, les enfants, les musulmans, les juifs, les catholiques, les écrivains, les dessinateurs, c'est une babarie. Non au fait que certaines puissances armées veulent nous faire retourner au moyen-âge sous prétexte qu'ils croient en une religion. C'est ça que ça voulait dire. On faisait qu'un dans la rue et c'est ça qui était bien. Et personne n'est propriétaire de cela. Et cette esprit dit du 11 janvier, c'est au delà, ça veut pas dire grand chose l'esprit du 11 janvier es tu là? Oui il est là puisque nous parlons de la culture, nous avons la libre expression, on peut dire qu'on en a rien à foutre des religions, le prophète on peut le dessiner comme on veut ou on veut, comme n'importe quel religion et comme n'importe qui. Et c'est ça il faut en profiter parce que...voilà... Et c'est ça que ça voulait dire le 11 janvier. Et c'est pas mort ça. C'est pas mort parce que c'est notre pays. Et c'est l'Europe.

Télérama

Sur les manifestations elles-mêmes est-ce que vous avez lu le livre d'Emmanuel Todd sur Qui est Charlie? Et les polémiques qui ont suivis?

Pelloux

Non j'ai... Quand j'ai vu ce que c'était, j'avais pas de temps à perdre. Donc... Mais la encore. Il a le choix de le faire, c'est pas pour ça que je vais prendre des armes et que je vais aller lui faire du mal. Il a le droit d'analyser ça. Il a une méthode qui est nulle puisqu'il le dit lui-même il est resté derrière son bureau. Il se prétends sociologue je crois... Ou bon, il a pas fait un travail de recherche. Moi j'y étais à la manifestation et quand la manifestion c'est arreté à la place voltaire et que les services de sécurité m'ont dit: "mais il y a des gens jusqu'à nation est ce que vous continuez?". Et qu'on a dit: "Bah oui, on continu et on a continué, j'ai vu une foule bigarrée, j'ai vu une foule de tous les ages qui chant mal c'est vrai la marseillaise, mais bon c'est pas facile non plus de chanter dans la rue. Il y a avait des drapeaux de toutes les couleurs. Il y avait des enfants qui donnaient des dessins. Il y avait la France et ça et c'est pour ça, son livre n'a pas beaucoup d'intérêt. Ce qu'il y a de sur et qu'il faut mesurer c'est que son bouquin sert un certain nombre d'intérêts de gens qui utilisent l'aura même un peu passé et terne de ce genre de personne pour dire que notre pays serait en perte de valeurs ou entrainerait des ségrégations, je crois pas, il y a vraiment une bataille intellectuel, morale et politique pour rester justement dans ce que représente notre Nation.

Télérama

Alors Charlie pas mort. Mais Charlie convalescent comme même encore aujourd'hui. Comment va le journal?

Pelloux

Le journal va bien. Riss dirige le journal , à mon avis du mieux qu'on peut et on travail. Je sais pas si on est aussi bon qu'avant parceque les dessinateurs il y a comme même beaucoup d'absent et ça serait vous mentir de vous dire qu'il ne manque pas. Vous avez l'impression mais c'est comme dans les deuils d'une grande famille, ou d'un coup vous arrivez autour de la table, ils sont pas là. Mais néanmoins leur oeuvre est toujours là, c'est à dire qu'il faut se rappeler de ce qu'ils écrivaient, de ce qu'ils faisaient, de ce qu'ils dessinaient. Je crois que c'est là ou c'est relativement apaisant. On a pas fini d'analyser ce drame. Enfin c'est la première fois qu'on abattait toute une rédaction dans paris. Vous avez jamais eu un attentat pareil même au cours des guerres mondiales. C'est fou!

Télérama

Et on a pas fini non plus, je crois, d'évaluer, si je puis dire, la perte qu'on a eu. C'est à dire toute à l'heure on en parlais à propos de Cabu aussi pour le canard enchainé évidemment. Et vous me disiez c'est John Lennon. En dessin c'est quelqu'un dont c'était l'obsession, qui ne vivait que pour ça et on a perdu quelqu'un qui est pour l'instant irremplacable. Y en a pas toutes les générations des John Lennon.

Pelloux

C'est le seul qui avait garder une coupe de cheveux des années 1968. Difficile à retouver

Ah lala, qu'est qui aimerez qu'on en rit tous.

C'est très difficile voilà, je crois que l'exemple il est là. Quand vous avez des personnalités d'un tel niveau intellectuel, morale, d'humanité et de gentillesse. En retrouver c'est pas comme ça. Je sais pas ou ils sont. Ils existent peut-être déjà. Ou peut-être qu'ils sont pas encore nées. Mais ça manque parce que des analyses aussi fine, le dessin de presse est un dessin très compliqué. Il faut qu'ils aient du courage. Il faut l'analyse politique. C'est pas de la bande dessinée. Ils ont toujours les cul entre deux chaises. Ils sont pas dessinateurs de bandes dessinées, ils sont pas artistes peintres. C'est très compliqué, mais en même temps, faut comme même voir que nous sommes le pays de la caricature et du blasphème. Et que nous sommes en perte de vitesse sur ces valeurs. C'est ça qui est inquiétant. C'est ça ou il faut le conquérir. Au moment de la commune à Paris vous aviez en 1870, vous aviez 200 journaux illustrés qui étaient des journaux de satires et de caricatures. 200!. Là quand vous regardez à part certains petits journaux qui sont dans les régions, au niveau national vous avez le Canard enchainé, Siné mensuel, et Charlie Hebdo. Et c'est très important. Parce que rire est une philosophie

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