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Billet de blog 27 avril 2024

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Lecture du journal d'un Gazaoui interdite par la Direction Académique du Gard

Suite à l'interdiction par la Direction Académique du Gard de la lecture du journal de Hossam al-Madhoun qui devait se dérouler au lycée hôtelier Marie Curie de St-Jean-du-Gard sous le motif : « Au vu de la délicatesse du sujet et de sa très forte politisation dans les médias », nous lecteurs avons décider de diffuser au plus large public cette lettre ouverte.

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Lettre ouverte

Ainsi donc, la Direction Académique du Gard a décidé de priver les étudiants et les étudiantes du lycée hôtelier Marie-Curie de St-Jean-du-Gard, de la lecture d'extraits du journal de Hossam Al-Madhoun, publié sous le titre de Je vous écris de Gaza sous les bombes.

Ainsi donc, cette Direction a estimé qu'un témoignage spontané, sans intermédiaire, d'un homme relatant ses souffrances, ses angoisses, son désespoir et souvent sa révolte devant le sort que lui, sa famille, sa femme, sa mère, sa fille subissent depuis 150 jours, sous les bombes qu'ils fuient par tous les moyens imaginables, ne devait pas être transmis à des jeunes gens et jeunes filles que l'Education nationale a pourtant la mission de former.

Ainsi donc, le récit de la lutte opiniâtre au jour le jour, de cet homme pour survivre dans une guerre qu'il n'a ni engagée, ni voulue ne peut être porté à l'éveil et à la conscience d'élèves adolescents.

Ainsi donc, relater les ravages de la barbarie, d'où qu'elle provienne, est proscrit ? On ne pourrait s'y attacher qu'en opposant et en mesurant des barbaries réciproques, équivalentes… peu ou prou justifiées ? Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Est-ce ainsi qu'il faut faire l'impasse sur l'humanité ?

Qui est Hossam Al-Madhoun ? Un intellectuel gazaoui d'une cinquantaine d'années, comédien, metteur en scène depuis des décennies, membre, avec son épouse Abeer, d'ONG qui s'attachent à apporter un soutien quotidien, psychologique et culturel à une jeunesse de Gaza confrontée, sans cesse, à des conditions de vie écrasantes.

En soi, Hossam est un homme dont l'action, si elle se passait ici, en France, serait saluée, applaudie. C'est cet homme-là que la Direction Académique a décidé de censurer.

Et au nom de quels arguments ?

«De la délicatesse du sujet» ! Vivre sous les bombes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, semaine après semaine, est-ce une délicatesse ? Devoir fuir du nord, de la ville de Gaza vers le camp de Nuseirat, au centre de Gaza, pour terminer au sud à Rafah, dans une concentration humaine sans équivalent ; à la recherche désespérée d'un abri offrant quelque sûreté, est-ce une délicatesse ? Imaginons : une école hôtelière à Rafah. Qu'y apprendrait-on au jour d'aujourd'hui ? L'art de cuisiner, accommoder et servir de la mauve ? du pissenlit ? de l'herbe… ? Tout cela et pis encore, les cadavres qui s'amoncellent, est-ce une délicatesse ?

Ah, certes, le conflit israélo-palestinien, ouvert depuis 75 années peut être un sujet de controverses. Mais ce conflit , comme d'autres qui sont abondamment étudiés, fait partie intégrante de l'Histoire et à ce titre doit pouvoir, comme tout autre question historique, être enseigné.

Devons-nous comprendre que l'Education nationale renonce à sa mission de formation de la jeunesse, qu'elle ne possède pas les compétences pédagogiques requises pour l'exposition cohérente des faits et des diverses opinions qui font et feront l'Histoire ?

Alors qu'il serait riche, rigoureux et fondateur d'associer, par exemple, les récits de Hossam Al-Madhoun à la plaidoirie de droit international de Madame Chemillier-Gendreau devant la Cour internationale de Justice. Plaidoirie d'une lucidité, d'une méticulosité et d'une pondération qui fait honneur à la France. Mais alors, si l'Education nationale estime qu'elle n'est plus à même d'assumer de tels enjeux pédagogiques, à quoi sert-elle ?

A laisser libre cours à ce qu'elle énonce comme un écueil dans son deuxième argument : « la très forte politisation dans les média s» ? Evidence qui, au lieu de museler l'Education nationale, devrait au contraire l'inciter à aborder, expliquer, exposer, avec raison, mesure et pluralisme, encore et encore tout ce qui survient dans un monde en plein bouleversement, hésitant, menaçant, virant aux diktats.

Est-il pensable de démissionner pour cause de politisation des médias ? Et de fait, laisser à ceux-ci le champ libre d'une information interprétée, biaisée, fragmentaire et potentiellement manipulatrice pour une jeunesse non avertie ? Au bout du chemin : la propagande.

Et in fine, la Direction Académique en appelle au principe de neutralité des établissements scolaires. Ce faisant, elle rompt avec les fondements de la révolution de 1789 qui a donné à la France ses valeurs premières : liberté et égalité. La neutralité est leur antithèse. Les concepts de liberté et d'égalité, ainsi que les applications concrètes qui en découlent sont heureusement les fruits d'engagements, de confrontations de points de vue, de délibérations et de décisions prises, du moins depuis le 20ème siècle, dans le respect de procédures démocratiques relevant de l'Etat de droit.

Invoquer la neutralité comme principe est sinon une formidable régression, à tout le moins l'acceptation d'une stagnation, d'une glaciation de l'évolution de l'humanité vers davantage d'humanité.

Signataires :

Jean Delval, Philippe Lefevre, Danièle Ricaille, Dominique Roland, René Vincendet

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