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Billet de blog 18 avril 2022

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La lutte pour le pouvoir

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Illustration 1
Graffiti : "une élection ne fait pas le printemps"

Le pouvoir est une notion complexe et voisine de d'autres termes, difficile à distinguer tels que force, puissance, domination, autorité. Pour le politologue américain Robert Dahl, le pouvoir correspond à : « la capacité d’une personne A d’obtenir qu’une personne B fasse quelque chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A. » Si à l’échelle individuel on peut définir le pouvoir comme la capacité matérielle de faire quelque chose, à l’échelle du collectif c’est l'ensemble des processus et des rôles sociaux par lesquels sont effectivement prises et exécutées les décisions qui engagent et obligent tout le groupe. Le pouvoir politique désigne alors, la capacité légale de prise de décision, de lois, de règles, d'ordres qui engagent et obligent l'ensemble des citoyens à l'obéissance de celles-ci. Le pouvoir est multiple, il existe différents rapports de force dans tous les liens sociaux et dans n'importe quelle institution caractéristique du pouvoir, comme il existe une multitude de formes de résistance face à celui-ci.

« La question du pouvoir est ici centrale, de même que le contrôle des institutions où il s'incarne, que se soit le parlement, l'assemblée générale, l'agora, ou la manifestation. L’enjeu est belle et bien, la structuration et la reproduction (...) de la société »1. Le pouvoir confère à celui qui le possède un ascendant sur les autres ce qui est contraire au principe d’égalité des citoyens et donc à la démocratie. Or mêmes sans dirigeants sans chefs, sans maîtres, des jeux de pouvoir ne disparaissent pas pour autant, les rapports de pouvoir existent au beau milieu du peuple. Par ailleurs le peuple politique ne se désintéresse pas du pouvoir, bien au contraire. Nous ne pouvons donc nous en passer ou faire comme s’il n’existait pas, on peut seulement souhaiter (les agoraphiles) qu’il soit un bien commun.

Ainsi pour M. Foucault « le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert, s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse échapper ; le pouvoir s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles »2 D’ailleurs pour Montesquieu « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »3

Pour Max Weber le pouvoir politique c’est à dire l’État réussit a s'imposer non seulement par l’usage de la violence et de la répression (dont elle a le monopole légitime ), mais surtout et de plus en plus par le consentement à l’obéissance qui repose sur le fait que l’ordre reçu est considéré comme légitime. La violence n’est plus le seul moyen de la domination, il existe aujourd’hui des moyens plus subtiles.

Pour Errico Malatesta : « Tout au long de l'histoire, tout comme à l'époque actuelle, le gouvernement a été synonyme soit de la domination brutale, violente, arbitraire d'un petit nombre d'individus sur la population, soit un instrument destiné à garantir domination et privilège à ceux qui, par force, ruse ou héritage, ont accaparé tous les moyens d'existence, dont la terre, et s'en servent pour tenir le peuple en esclavage et le faire travailler pour leur propre compte. On opprime les hommes de deux façons: directement, par la force brutale, par la violence physique, ou indirectement, en leur enlevant leurs moyens de subsistance et en les réduisant ainsi à l'impuissance. La première façon est à l'origine du pouvoir, c'est à dire du privilège politique, alors que la seconde est à l'origine de la propriété, c'est à dire du privilège économique. »4

Pierre Clastre, interroge également la notion de pouvoir dans son livre, La société contre l’État. Pour lui la question du pouvoir se pose dans toutes les sociétés, même là où l'institution politique est absente. Il explique que les sociétés primitives tendent à disparaître lorsque le pouvoir et le respect de celui-ci y sont instaurés c’est à dire, le pouvoir politique donc 1'État. Or pour lui c’est cette première division, entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui le subissent, qui fondent toute les autres. C’est parce que certains exercent leur pouvoir sur d’autre que le travail deviens aliénation de la population (afin de produire des biens que ces premier accumulent) et que coexistent désormais des dominants et des dominés, des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités. En effet pour lui : « La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d 'exploitation. Avant d'être économique, l'aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l' économique est une dérive du politique, l' émergence de l' État détermine l'apparition des classes. » et ajoute « c'est toujours par force que les hommes travaillent au-delà de leurs besoins »5. Pour lui a l’inverse des marxistes ce n’est pas les classes sociales qui engendre l’État ni l’existence du travail aliéné mais le contraire.

Enfin il affirme que dans les société « primitive » comme celle des Guayaki, l’absence de pouvoir coercitif (donc de ce qu’il nomme État) résulte de la volontés politique de ces membres et non d’un défaut d’évolution de ces sociétés. De plus cela ne signifie pas pour autant absence de pouvoir, celui-ci est bien détenu, mais il est le fait de la société tout entière et non seulement du cheffe Guayaki. Ce dernier, n’est que le lieu supposé et apparent du pouvoir et si il est amené a le désirer un peut trop, la société l’abandonne ou le tue. Pour Clastre l’impuissance du chef et son absence d’autorité participent de la volonté (de ces sociétés) de dénier au pouvoir politique sa qualité de Pouvoir. Le pouvoir est exactement ce que ces sociétés ont voulu qu’il soit, c’est-à-dire un refus radical de l’autorité et une négation absolue de celui-ci.

Mary Parker Follet propose de distinguer le « pouvoir avec », c’est à dire le pouvoir que l’on développe avec les autres qui est basé sur la coopération non sur la coercition, du « pouvoir contre» , qui lui est basé sur le contrôle, la coercition et la domination sur les autres.

Le « Pouvoir sur » ou « pouvoir comme domination », signifie l’imposition par les dominants de leur volontés, il sous entend nécessairement une inégalité et divise la société en deux ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. « Les agoraphobe craint que le peuple exerce son pouvoir sur, c’est a dire s’impose comme tyrannie de la majorité dominant et opprimant les minorités (les riches, entre autres). Il importerait alors qu’une élite éclairée exerce légitimement un pouvoir sur le peuple, pour le bien commun ». 6

Le « pouvoir faire » ou « pouvoir de » désigne la capacité d’action, être capable de... Le pouvoir faire est créateur et s’exerce souvent comme « pouvoir avec », c’est à dire collectivement. Il s’apparente au pouvoir que nous avons chacun sur nous même et que nous pouvons exercer avec les autres, d’où l’inquiétude des agoraphobe face au coalitions populaire. Celui-ci peut aussi être développé en résistance au « pouvoir sur ». Ce pouvoir suppose la possibilité de se tromper et d’apprendre de ses erreurs. En effet si rien ne dit que le peuple prenne toujours les décision justes ou les plus efficaces, cela n’ai pas différent pour les élites politiques. « L’agoraphilie politique désire que le peuple exerce le pouvoir faire c’est a dire décide de ce qu’il veut (autonomie) et fait ce qu’il décide. »

Enfin le « pouvoir du dedans » développé par Starhawk s’apparente a une force spirituelle, une connaissance de soi et des autres, à des caractéristiques psychologiques comme la volonté, la détermination, la résilience ... Celui-ci se définit comme une « compétence » une « intelligence » politique, et évoque la question de l’autonomie réelle (l’audéfinition, l’autoréalisation, l’autodétermination). Elle peut se développer par la pratique du débat en assemblées, en revanche, elle ne peut s’exercer ou que difficilement en situation d’aliénation, d’apathie, de peur, ou de haine de soi. Or sans « pouvoir du dedans » selon Starhawk il ne peut y avoir de « pouvoir faire ».

« En résumé, par peur ou par haine du peuple (se) gouvernant, l’agoraphobie politique propose qu’une élite exerce son pouvoir sur le peuple (domination), alors que l’agoraphilie politique désire que le peuple exerce un pouvoir faire (autonomie), qui est a la fois un pouvoir avec (pouvoir collectif) et un pouvoir du dedans. »7

Pour Francis Dupuis-Deri, « Les jeunes et les vieux, les femmes et les hommes, les pauvres et les riches, les athées et les croyants, les immigrants et les autochtones etc. Ces divisions du sociale ont un sens politique dans la mesure où certains veulent y dominer c'est à dire exclure du partage du pouvoir pour mieux contrôler une institutions et les ressources symboliques et matérielles. Les hommes tirent des avantages inconstitutionnels symboliques et matériels réels de leur domination individuelle et collective sur le femmes. »8 Ainsi il n'est donc pas paradoxale de prôner l'anarchie/ la démocratie et de chercher à dominer en prônant par exemple le patriarcat. Dans les deux cas la question centrale est celle du pouvoir qu'il soit conçu comme pouvoir avec les autres ou pouvoir sur les autres. Dans ce jeu, il n'est pas rare que les dominants se représentent comme dominés, et donc comme « le vrai », « le bon peuple » qui serait menacé par les autres. Ce sont les organisations sociales et la position politique que l'on occupe ainsi que les luttes sociales et l'influence de la socialisation et de l'éducation qui déterminent quelle conception du « peuple » l’emportera. D'où les critères d'inclusion et d'exclusion de l'agora ou de la rue. L'enjeu est de statuer sur qui est le peuple, et qui peut statuer.

Pour les anarchistes chaque être humain est habité par deux instincts : un désir de domination et un désir d'autonomie. L'être humain n'est pas naturellement bon et c’est justement parce qu'il tend a devenir mauvais dès qu'il peut accéder à une position de pouvoir, qu’il doit exister des contres pouvoirs et que les structures doivent être au maximum horizontales.

1 Francis Dupuis-Déri, La peur du peuple Agoraphobie et agoraphilie politique, Humanité, 2016, cit. p.299.

2 Dits et écrits, tome.III, édition. Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1994, p. 794

3 Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748

4 Errico Malatesta, L’anarchie, LUX

5 Pierre Clastres, La Société contre l’État, les éditions de minuit, 1974, 192 pages

6 Francis Dupuis-Déri, La peur du peuple Agoraphobie et agoraphilie politique, Humanité, 2016, cit. p.55

7 ibid, cit. p.59

8 ibid

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