Définition de la démocratie, un enjeu de lutte
De quoi parle-ton lorsqu'on utilise le mot démocratie ? Le terme démocratie signifie étymologiquement pouvoir du peuple, demôs, le peuple et cratos, le pouvoir. Il existe deux sens au terme "démocratie".
(1) La « démocratie » peut être tantôt employée pour qualifier une forme d'organisation politique définit selon la formule d'Abraham Lincoln, comme le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Elle est fondée sur le principe d'égalité entre les citoyens, sans qu'il y ait de distinctions entre eux dues à la naissance, la richesse, ou la compétence... En règle générale, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s'exerçant par l'intermédiaire de représentants désignés lors d'élections au suffrage universel. Elle nécessite plusieurs caractéristiques : la liberté des individus, la règne de la majorité, la séparation des pouvoirs législatif exécutif et judiciaire, la pluralité politique.
(2) On peut aussi la désigner comme un processus permanent. Ici la démocratie n’est plus considérée comme une forme de gouvernement, mais comme une manière de vivre. La démocratie est un régime de la volonté générale, ce qui se construit dans le temps. C’est le fait d’élaborer un projet, une histoire collective et pas simplement de dire oui ou non, ou de choisir une personne. La démocratie n’est pas simplement un régime de la décision instantanée, mais elle est l’expression d’une volonté dans l’histoire. Pour Rancière, la démocratie ne doit donc être comprise ni comme une forme de gouvernement, ni comme une forme de société, mais comme un processus, une lutte.
Pour Philippe Corcuff, la démocratie n’est pas une « donnée naturelle » des sociétés humaines, elle n’est pas non plus « un mouvement inéluctable », mais elle apparaît bien plus comme : « une construction historique fragile, partielle, lacunaire, toujours inaboutie, toujours à recommencer et à améliorer, dans un écart nécessaire entre un idéal et des réalisations toujours limitées et déformées ».
Par ailleurs, il n’existe pas une seul forme de « démocratie » mais plusieurs, en témoigne ces différentes incarnations et apparences dans le monde. En effet les « démocraties » ont élaborées des systèmes politiques extrêmement divers. L'agencement des pouvoirs et les manières d'organiser la représentation sont, dans chaque pays, spécifique. Il peut s'agir de variantes dans les modes de scrutin, ou dans les rôles et la place accordées a chaque institutions. Il en va de même pour la définition de la citoyenneté qui est le produit de conflits et de compromis entre des conceptions diverses, entre des groupes sociaux opposés, selon les rapports de forces qui s'établissaient entre eux. Ainsi les formes sont variables d'un pays à l'autre. Et c'est en tant que produit de l'histoire propre à chaque pays que les conceptions que ce soit de la démocratie ou de la citoyenneté ont évoluées au cours du temps et continuent de le faire en même temps que changent les institutions.
Il existe de grandes variantes conceptuelles de la démocratie :
La démocratie "représentative". Ici la souveraineté s'exerce directement ou par l'intermédiaire de représentants élus. On parle alors d'avantage de République, cela ne suffit pas à en faire un État démocratique
La démocratie "participative", désigne l'ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d'augmenter l'implication des citoyens dans la vie politique et d'accroître leur rôle dans les prises de décisions. C'est un système mixte dans lequel le peuple délègue son pouvoir à des représentants qui proposent et votent des lois, mais conserve cependant le pouvoir de se saisir lui-même de certaines questions.
La démocratie délibérative. L'idée principale de la démocratie délibérative, est inspirée par les théories de John Rawls et de Jürgen Habermas. Celle-ci à la différence de la démocratie participative, met l’accent sur l’exigence de débats argumentés, et l'organisation de la délibération publique entre citoyens égaux.
La démocratie "directe", correspond a un « système » politique dans lequel le peuple exerce directement le pouvoir sans intermédiaires. Exemple d'institutions ou de mécanismes qui relèvent de la démocratie directe ou semi directe : le référendum, l'assemblée citoyenne, les initiatives populaires, les pétitions ...
Pour la démocratie (directe), on peut ici aussi parler d’anarchisme, en effet l’anarchie a deux significations soit elle signifie l’absence de toute forme de gouvernement (le chaos) ou a lors l’absence de toute forme de chefferie et de domination. Pour David Graeber : « anarchisme et démocratie sont ou devraient être des notions prou ou peu identiques. ». La différence résiderait dans le fait qu’en démocratie la délibération aboutit a un vote majoritaire (le gouvernement de la majorité sur la minorité) alors que l’anarchie privilégie la recherche du consensus (le gouvernement de tous par tous), évitant par principe toute forme de domination, ici celle de la majorité sur la minorité garantissant du même coup l’égalité et la liberté de toutes et tous.
Pour Francis Dupuis-Déri nous sommes victimes d'un abus du mot démocratie, ce terme évoque aujourd’hui tout et son contraire. Cette confusion quant au sens du mot « démocratie » est le résultat de véritables luttes politiques, une manière habile de légitimer le régime électorale dit représentatif en jouant sur les mots. Or « notre système (les « démocraties » occidentales) ne peut s'appeler démocratique et le qualifier ainsi est grave, car ceci empêche la réalisation de la vraie démocratie tout en lui volant son nom.» En réalité les pères fondateur n’ont jamais prétendue fonder une démocratie bien au contraire ils y était opposé et ne souhaitais pas que le peuple puisse se gouverner seul. Si par la suite tous les politiques se revendiquent comme étant démocrate c’est purement par marketing électorale. Pour David Graerber : « La plupart des hommes politiques ne faisaient en définitive que substituer un terme a un autre, « démocratie » au lieu de « république », sans changer la signification »
Or la démocratie (représentative) semble universellement considérée comme une idée politique sacrée, qui tend à devenir le système politique dominant dans le monde (un produit que l’on cherche a exporter partout sur le globe), a tel point que le simple fait de la questionner est presque devenu un tabou. Il semble aujourd’hui impossible de penser hors du doublon démocratie-dictature. Ainsi le dépérissement de la « démocratie » serait synonyme de l’avènement des ses opposés, c’est à dire le fascisme ou à la dictature.
L’école (avec l’élection des présidents de classe, l’éducation civique), les médias et le discours du pouvoir en général, présentent l’actuel régime démocratique comme le meilleur, la plus haute échelle du progrès humain (la fin de l’histoire), tout ce qui peut succéder à la « démocratie » sera nécessairement pire. Très vite, le citoyen est amené à penser que la démocratie est la condition première et nécessaire à la liberté. Pourtant la « démocratie » se fissure partout et semble néanmoins toujours prêt à imploser sous ses contradictions. Les démocraties savent être aussi racistes, nationalistes, impérialistes et militaristes que les dictature. Ce qui distingue peut être les « démocraties » des autres systèmes, c’est qu’elles oppriment et aliènent en obtenant le consentement des citoyens. Ce qui lui permet de se présenter comme résultant de la volonté collective et la rend d’autant plus insidieuses et efficaces.