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Billet de blog 7 février 2024

Les professeurs du collège Charles Péguy à Paris refusent les groupes de niveaux

Enseignants au collège Charles Péguy Paris 19, nous refusons le système de groupes de niveau. Gabriel Attal est venu exposer son projet du « choc des savoirs » au cours d'une conférence de presse organisée dans le CDI de notre collège. Nous lui avions fait part de nos craintes et mais nous constatons que cette réforme (déjà contestable sur le fond) se fera dans des conditions déplorables.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous, enseignants collège Charles Péguy, dénonçons les effets délétères des groupes de niveaux


Le mardi 5 décembre 2023, l’ancien ministre de l’Éducation Nationale, Gabriel Attal, tenait une conférence de presse dans le CDI de notre établissement, le collège Charles Péguy à Paris 19ème. Le cabinet du ministre a choisi ce dernier en raison de résultats en augmentation.
Malgré une baisse constante de moyens, il est vrai que notre collège connait une dynamique vertueuse où des élèves d’horizons variés s’épanouissent, progressent dans leurs apprentissages et deviennent des citoyens ouverts. Nous, équipe de l’établissement, savourons quotidiennement des moments témoignant des bienfaits de l’éducation publique et de la mixité sociale. Oui, nous ressentons un peu chaque jour le précieux sentiment de contribuer à une mission fondamentale du service public.
Lors de sa visite en salle des professeurs, nous avons interpellé le ministre car, en dépit de résultats en hausse et de la qualité de notre climat scolaire, nous constatons chaque année la diminution des moyens qui nous sont alloués. Or, la mise en place de groupes de niveau tels qu’il le propose nécessite des moyens humains et financiers supplémentaires. Partageant notre constat, Monsieur Attal nous a assuré d’une dotation horaire en conséquence et de nouveaux recrutements à la hauteur des ambitions de cette réforme. Pour autant, la semaine passée, prenant connaissance de notre dotation horaire 2024-2025, nous avons constaté qu’il n’en était rien.
Nous souhaitons ici alerter l’opinion : la mise en place de ce dispositif, tant dans son principe que dans ses conditions de mise en œuvre, menace gravement la qualité de l’enseignement que nous proposons dans notre collège et remet gravement en cause le fondement même de l’école.

L’inefficacité des groupes de niveaux pour faire progresser les élèves en difficulté a été démontrée par plusieurs études. Partant de cette inefficacité, quel est le véritable but de cette réforme ? Le collège servirait-il à trier les élèves et à les former de manière plus ou moins exigeante en fonction de leurs prétendues aptitudes scolaires ? C’est la fin du collège unique que le ministre propose, et donc le renoncement à notre mission commune : permettre à un maximum d’élèves d’acquérir un socle commun de connaissances et de compétences à la fin de la troisième.
Par ailleurs, l’expression « choc des savoirs » témoigne du peu d’intérêt et du mépris envers le travail déployé par les agents de l’Éducation Nationale. Un « choc » évoque une rencontre violente entre deux corps et l’ébranlement qui en résulte. Pourquoi un ministre propose-t-il des solutions qui entrent violemment en contact avec le travail de terrain de la communauté éducative ? Faut-il réellement s’acharner à saccager ce que nous construisons patiemment et avec conviction, dans des conditions dégradées, depuis des décennies ? Faut-il détruire ce qui tente encore de tenir notre société en un ensemble solidaire, c’est-à-dire l’école, quand les politiques économiques et sociales n’ont jamais autant aggravé les disparités et détérioré les conditions de vie des familles les plus
précaires ?
Comment l’école, qui se veut garante du principe de l’égalité, peut-elle être contrainte de signifier à des élèves, dès leur entrée en sixième, qu’ils sont dans le groupe des faibles ? Comment l’école, dans ces conditions, peut-elle faire en sorte que les élèves aient confiance en eux et en l’institution ? Comment expliquer à des familles que l’école catégorise leurs enfants dans des groupes de niveaux ? Comment expliquerons-nous à des élèves et à leurs familles qu’ils sont dans le groupe des faibles ? En stigmatisant ainsi des élèves, l’école ne sera plus en capacité de remplir sa mission.

Plus concrètement, cette réforme charrie de nombreuses répercussions délétères sur la qualité de notre service. Sans augmentation de la dotation horaire de notre établissement, nous serons contraints d’abandonner dès la rentrée prochaine d’autres dispositifs (cours en demi-groupes, projets, ateliers). Puis la généralisation des groupes de niveaux en quatrième et en troisième conduira à la diminution voire à la suppression d’enseignements (travaux pratiques en sciences, latin, grec, LV2).
De plus, cette réforme sans moyens supplémentaires dégrade profondément les conditions de travail des enseignants de français et de mathématiques. Ils n’auront d’autre choix que d’enseigner pour tous les niveaux (de la sixième à la troisième). Leur temps de préparation pour des cours de qualité s’en verra accru, alors qu’une plus grande disponibilité leur sera demandée pour assurer les réunions de coordination croissantes, ou pour réaliser des heures supplémentaires en raison du déficit chronique de professeurs dans ces disciplines.
Augmenter ainsi la charge de travail des enseignants nuira nécessairement à la qualité de ce qu’ils sont capables de proposer. Annihilant leur liberté pédagogique, cela entraînera la réduction voire l’abandon de tâches pourtant essentielles à leur mission éducative : correction de projets d’écriture, coordination de projets pédagogiques, organisation de sorties scolaires et de voyages etc.
Enfin, cette réforme engendre diverses problématiques organisationnelles. Sans marge de manoeuvre pour la constitution des classes, quid de groupes uniquement construits sur le niveau scolaire sans réflexion sur les dynamiques interpersonnelles des élèves ? Cela augmentera les difficultés de gestion de classe et détériorera le climat scolaire. La constitution des emplois du temps ne s’en trouvera que complexifiée, augurant d’horaires insatisfaisants pour les élèves comme pour les enseignants. En les privant de contact avec un même groupe classe, les professeurs de français et de mathématiques ne pourront d’ailleurs plus être professeurs principaux, ce qui
pose un problème d’équité. De la même manière, sans avoir de groupe classe, ils seront dans l’incapacité d’être présents à tous les conseils de classe concernant leurs élèves. Or, l’expertise des enseignants de français et de mathématiques y est indispensable. Le suivi des élèves n’en sera que moins bon.

Nous dénonçons cette réforme qui renie le principe d’une école publique pour tous, qui dégrade tant la qualité de nos enseignements que nos conditions de travail, qui stigmatise les élèves et qui nourrit un projet délétère pour l’école et donc pour la société.

Nous réaffirmons ici que les conditions d’une éducation scolaire et citoyenne de qualité résident dans des groupes classes hétérogènes aux effectifs plus légers. Nous demandons donc des mesures allant dans ce sens.
Nous affirmons collectivement que nous nous opposons et que nous nous opposerons à la mise en place effective des groupes de niveaux.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.