Invité par France Inter le 18 décembre, le Ministre de la Santé Olivier Véran a présenté le variant Omicron comme une menace qui justifie de prendre des mesures plus sévères, notamment à l'encontre des non-vaccinés. Les arguments qu’il a apportés ne résistent pourtant pas à l’analyse.
M. Véran, qui sait qu’en Afrique du Sud le variant Omicron a fait exploser le nombre de « cas » de Covid sans que la moindre hausse des décès ne soit signalée, a avancé que cela s’expliquait par le fait que la population sud-africaine était jeune, peu vaccinée et qu’elle avait été dévastée par les vagues précédentes.
La dévastation de l’Afrique du Sud ne semble pas manifeste : selon OurWorldInData, en 20 mois le Covid-19 aurait emporté 0,15 % de sa population, c’est-à-dire un peu moins que pour la France (0,18 % de la population selon le même site — tandis que d’après l’INSEE, dans le même laps de temps, l’ensemble des causes de décès emportaient 1,7 % de la population française.)

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L’argument du faible taux de vaccination des Sud-Africains pour expliquer l'absence mortalité due au nouveau variant reste assez mystérieux et, faute de le comprendre, on s'abstiendra d'y répondre.
Quant à la jeunesse de l’Afrique du Sud, elle est indéniable, mais cela n’a pas empêché une certaine proportionnalité entre le nombre de cas et le nombre de décès lors des vagues précédentes. En quoi la jeunesse expliquerait que soudain la proportionnalité et la mortalité induite disparaissent pour le variant Omicron ?

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Son autre argument s’appuie sur l’exemple danois. Selon M. Véran, le Danemark a avec le variant Omicron un taux d’hospitalisation aussi important qu’avec le variant Delta.
D’où M. Véran tire-t-il de telles affirmations ? Il y a actuellement au Danemark une hausse des « hospitalisations Covid » (à des taux bien plus faibles qu’en France), hausse qui a commencé avec l’arrivée de l’hiver, comme à peu près partout en Europe, et bien avant l’apparition du variant Omicron au Danemark : la (petite) vague d’hospitalisations et de décès « Covid » au Danemark a débuté mi-octobre, tandis que les premiers variants Omicron sont détectés depuis la fin novembre, et n’ont pas encore supplanté le variant Delta au Danemark.

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De façon assez étonnante, l’apparition d’Omicron coïncide même avec un infléchissement du taux d’hospitalisation, suivi une semaine plus tard d’une baisse des décès (voir aussi cet article.)

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La hausse des hospitalisations danoises dont parle M. Véran n’a donc rien à voir avec le variant Omicron, et son argument est, là encore, déconnecté des faits.
En définitive, M. Véran a cherché à nous faire peur avec le variant Omicron, en inventant pour cela des arguments fallacieux, et nous a bel et bien désinformés.
Un Premier Ministre éloigné des données
La veille de l’intervention de son Ministre de la Santé sur France Inter, dans une déclaration télévisée du 17 décembre 2021, le Premier Ministre français avait prononcé une phrase insupportable, tant sa logique — et ses conséquences si on la suivait — sont dévastatrices.
M. Castex a en effet affirmé que le Président de la République et lui « [assument] de faire peser la contrainte sur les non-vaccinés, car les services de soins critiques et de réanimation de nos hôpitaux sont remplis pour l’essentiel de personnes non vaccinées. »
Il s’agit d’abord d’un énorme mensonge. L’immense majorité des patients en soins critiques et en réanimation ne sont pas atteints de Covid, mais sont hospitalisés pour de toutes autres raisons. Le fait qu’ils soient ou non vaccinés contre le Covid ne change donc rien à l’affaire.
Combien de patients sont actuellement en réanimation et en soins critiques en France pour diverses causes ? Il est difficile de le savoir précisément si on n’a pas accès aux données hospitalières, mais on peut s’en faire une idée approximative, grâce aux rapports de l’ATIH (ici et là)
En 2020, nous dit l’un ces rapports, 645 328 journées d’hospitalisation en Soins Critiques (SC) ont été effectuées par 45 732 patients pour cause de Covid, et ces 645 328 journées ont pesé pour 8% du total des journées de SV en France. On en déduit par une règle de 3 que le nombre total de journées de SC sur l’année 2020 a été approximativement de 8 millions.
Même si les 5 % de « patients Covid » passaient en moyenne plus de temps en SC que les 95 % d’autres patients, on peut estimer que ce nombre de 8 millions de journées en SC par an est proche de la valeur habituelle (d’autant que l’autre rapport de l’ATIH nous informe que le nombre de séjours en SC — année atypique et perturbée — a été en baisse en 2020, de 5,9% par rapport à 2019.)
On calcule aisément que 8 millions de journées par an, cela veut dire environ 22 000 journées par jour (c’est-à-dire 22 000 lits de SC occupés en moyenne chaque jour de l’année.)
[Correction du 23/12/2021 : un document de la DREES indique que, fin 2019, il y avait 19 604 lits de Soins Critiques en France. Même s’il n’est pas resté inchangé depuis, on peut supposer que l’ordre de grandeur est resté le même : environ 20 000.]
Or, Santé Publique France nous indique que depuis 6 mois, le nombre de personnes hospitalisées pour Covid en Soins Critiques est resté en-dessous des 3000. Il vient d’atteindre 3000 — sur environ 20 000 lits de SC occupés —, mais l’inflexion est déjà visible et — sauf surprise — le pic pourrait bientôt être atteint.

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Avec moins de 3000 « patients Covid » en Soins Critiques au moment où M. Castex prenait la parole, c’est donc que le Covid occupait moins de 15 % des lits de SC en France. Dans la mesure où, selon un récent rapport de la DREES portant sur le mois de novembre 2021, les patients hospitalisés en Soins Critiques pour Covid sont pour moitié vaccinés et pour moitié non vaccinés, les quelques 1500 « patients Covid » non vaccinés en SC occuperaient moins de 7,5 % des lits de SC, et sont donc très loin de « remplir l’essentiel » des services de Soins Critiques.
Pour les services de réanimation, quelques données manquent pour faire un calcul semblable. Rappelons que les "Soins Critiques" englobent les services de réanimation, les lits de surveillance continue et les services de soins intensifs. Mais Santé Publique France ne détaille pas le nombre de « patients Covid » en réanimation parmi ceux qui sont en Soins Critiques, la DREES ne donne pas la répartition vaccinés/non vaccinés pour les services de réanimation, etc.
Quoi qu'il en soit, même si la grande majorité des patients Covid en Soins Critiques sont en fait en service de réanimation (qui comptait 5500 lits en 2019 d'après la DREES), les ordres de grandeur ne seront pas renversés : avec une partie seulement des moins de 1500 « patients Covid » non vaccinés hospitalisés en Soins Critiques, "l'essentiel" des 5500 lits de réanimation ne pouvait pas être occupé par les « patients Covid » non vaccinés.
Mr Castex a dont présenté des faits absolument faux.
Un Premier Ministre qui retourne la logique des soins
Mais ce n’est pas le plus grave. Justifier une discrimination massive envers une part de la population par le fait qu’elle prendrait des risques pour sa santé et pour l’obliger à se protéger — et à se protéger d’une façon décidée unilatéralement par le pouvoir politique —, c’est du jamais vu. Jusqu’où ce raisonnement sera-t-il poursuivi par Jean Castex ? S’en prendra-t-il aux personnes âgées en leur interdisant toute sortie parce qu’elles représentent la grande majorité des personnes en Soins Critiques et en réanimation — que ce soit pour Covid ou pour autre chose ? Fera-t-il inscrire sur le pass sanitaire ou vaccinal le statut de « fumeur » ou de « non fumeur », pour interdire l’accès à la culture et aux loisirs aux fumeurs tant qu’ils n’arrêtent pas de fumer, en arguant de la place que prennent les fumeurs dans les hôpitaux ? Interdira-t-il les départs en week ends prolongés, parce que c’est à ce moment-là que les urgences doivent faire face à des pics d’accidents de la route ?
On peut certes comprendre que, si on tient mordicus à faire des économies en fermant des lits d’hôpitaux, il peut effectivement sembler judicieux de remplacer des moyens hospitaliers par une politique de tolérance zéro pour les comportements risqués — ski, escalade, mais aussi consommation de vin, de bière, de charcuterie, de tout ce qui donne du cholestérol etc. — qui risqueraient de conduire quelqu’un à l’hôpital ; et de mener des campagnes de discrimination envers tous leurs adeptes. Mais est-ce la logique que nous souhaitons voir se mettre en place ? Ou un réarmement des hôpitaux, avec une politique de formation de médecins et de personnels soignants pour assurer l’avenir, ne serait-il pas préférable ?
[En raison de la politique de dépublication pratiquée sans sommation par la modération de Mediapart sur des critères discutables et imprévisibles, à l'avenir les billets de ce blog seront simultanément publiés sur ce site : https://www.covid-factuel.fr. Ainsi ce billet est publié ici.]