La sociologie ne consiste pas à faire la chasse aux sorcières mais à débattre
Point de débat, le salut viendra des anathèmes et des sanctions. Telle est la manière dont les analyses questionnant l’innocuité du vaccin anti‐covid par le sociologue du CNRS Laurent Mucchielli sont traitées depuis quelques semaines. Un texte a été retiré le 4 aout par Mediapart qui héberge son blog et le CNRS s’est désolidarisé des propos du chercheur. Dernière attaque en date, huit sociologues réclament des sanctions à l'encontre de leur collègue « dans une tribune parue dans Le Monde le 20 août ». En cause, cet article « dépublié » de plusieurs auteurs, dont L. Mucchielli, faisant état de « la dangerosité des vaccins anti‐covid ». Ces huit sociologues refusent toute discussion des arguments avancés au motif qu’ils s’appuieraient sur une démarche frauduleuse conduisant inévitablement à l’accusation de complotisme. Cette condamnation violente s’apparente à une véritable chasse aux sorcières. Que l’on partage ou pas les analyses de L. Mucchielli, elle est problématique à plusieurs niveaux, tant pour la controverse scientifique que pour le débat démocratique.
Tout d’abord, la lecture du texte de L. Mucchielli et de ses coauteurs par ces sociologues est réductrice. Elle laisse en effet penser que L. Mucchielli ne ferait pas la différence entre causalité et concomitance : la corrélation entre l’augmentation du nombre de morts suite à la vaccination anti‐covid ne signifierait pas la responsabilité dudit vaccin. Or, L. Mucchielli et ses co‐auteurs (dont certains sont spécialisés en pharmacovigilance, ce qu’omettent de souligner les huit sociologues) écrivent bien qu’il faut prendre des précautions avec ces données et qu’il est donc « très difficile de déterminer la cause exacte d’un effet indésirable ». Ils précisent que ces décès seraient « potentiellement liés » à la vaccination et parlent même de « présomption de causalité ». Ils appellent simplement à mieux examiner ces données en ouvrant le débat sur les interprétations. Ainsi, loin de clore la discussion, le travail de Laurent Mucchielli permet d’entrebâiller la porte à une controverse légitime et habituelle en sciences sociales. Malgré cela, les huit sociologues claquent la porte de toute discussion au motif d’une publication de nature complotiste. Anathème bien pratique pour ne pas discuter le fond des arguments mobilisés par l’article.
Pourtant, l’une des vocations de la sociologie est de déconstruire le social et donc de mettre à jour des mécanismes relativement invisibles. Peut‐on soulever le risque de la nocivité des vaccins susceptibles d’être masqués par des enjeux commerciaux ou industriels sans immédiatement passer pour un dangereux conspirationniste ? Accuserait‐on les lanceurs d’alerte à propos du Mediator ou du glyphosate de complotistes ? Un tel procès empêche d’interroger l’innocuité des vaccins anti‐covid, comme si cette question était interdite ou définitivement réglée. Là encore, L. Mucchielli appelle à en débattre et ses contempteurs préfèrent la stigmatisation. Et ce d’autant plus que la mise en doute permanente et la critique de toute forme de certitude, voire de dogme, est bien le propre de la méthode scientifique. Quant au reproche de confondre une analyse objective avec l’expression d’une opinion publique, les sciences sociales ont depuis longtemps montré et admis les inextricables entremêlements qui résident entre science et idéologie. D’ailleurs, l’orientation politique que semblent partager nos huit « justiciers de la sociologie » n’a‐t‐elle jamais influencé leur propre production scientifique ?
Enfin, afin d’empêcher toute discussion, il faut sévir car « les balivernes [de L. Mucchielli et consorts] peuvent avoir des conséquences dramatiques ». Cet appel à des sanctions est symptomatique d’une partie du milieu académique qui ne tolère plus de pensées se démarquant de la doxa dominante : les chercheurs critiquant le lien systématiquement établi entre islam et terrorisme sont jugés coupables des attentats ; ceux questionnant les effets des vaccins sont considérés responsables de la pandémie. En conséquence de quoi, des enquêtes sont ouvertes, des rappels à la loi de la République sont formulés, des chercheurs sont vilipendés sans que jamais les éléments de fond ne soient discutés. Punir plutôt que débattre, voilà la conception de la sociologie pour ces huit sociologues.
Fabrice Colomb et Gaëtan Flocco (Sociologues, enseignants‐chercheurs à l’université Evry‐Paris Saclay)