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Billet de blog 15 novembre 2015

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Ne pas faire de cadeaux aux auteurs des attentats

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La tristesse et la sidération sont passées bien vite. Au delà des premiers moments d'émotion, le débat s'est déjà installé faisant pressentir de nouvelles défaites.

« La France est en guerre contre le terrorisme ». Cette phrase répétée en boucle par de nombreux responsables politiques et par les experts autoproclamés qui se succèdent sur les chaînes d'information continue, et avatar du bushisme des lendemains du 11 septembre 2001 devrait au minimum nous amener à nous poser la question de ce qu'est une guerre. Si on considère que la guerre est un conflit armé opposant des groupes politiques constitués comme des États, parler de guerre supposerait que la France et ses alliés (qui sont-ils vraiment d'ailleurs ?) font la guerre à un État. Or, l'EI n'est reconnu comme tel par aucun État au monde et son assise territoriale, même si elle est aujourd'hui hélas réelle, reste mouvante et non définie. Les terroristes qui ont frappé vendredi dernier devraient être en outre des ressortissants de cet État autoproclamé. Or, les premiers éléments de l'enquête semblent nous montrer que les auteurs du massacre n'avaient pour certains d'entre eux jamais mis les pieds en Syrie ou en Irak, et que les seuls liens qu'ils entretenaient avec cette région du monde n'étaient autres que virtuels et numériques.

Si on considère maintenant que la guerre peut être aussi un conflit entre deux factions d'une population d'un même pays, ce qu'on nomme communément une guerre civile, alors de quelle guerre civile parlons nous ? Certainement pas d'une guerre civile en France puisque les seuls soutiens des terroristes qui ont frappé vendredi dernier sont confinés à certains groupes archi-minoritaires rejetés par l'immense majorité de la population française, et qu'il n'y a pas eu – nulle part en France, et n'en déplaise aux adeptes de la théorie du choc des civilisations dans les banlieues, qui ne manqueront pas de compter les quelques cas de refus de la minute de silence prévue lundi – de manifestations ostensibles d'approbation des actes criminels commis à Paris.

Dès lors, parler de guerre, n'est ce pas faire un premier cadeau aux terroristes ? Ces derniers se voyaient sans doute comme des soldats. Ils n'étaient que les adeptes d'une idéologie criminelle et obscurantiste sans racines, et dont le mince verni religieux a davantage l'apparence d'un contrat que d'une quête spirituelle. Par ailleurs, parler de guerre, n'est ce pas l'autoroute qui nous mène à l'amalgame ? Celui qui consisterait à voir certaines parties du monde par nature en guerre contre la France et l'Europe. Ou celui qui nous pousserait à voir certaines parties de la population de notre pays comme différentes. Parler de guerre alors, c'est prendre le risque de ne plus voir l'essentiel, celui d'oublier que les auteurs des attentats de vendredi n'étaient qu'une bande de lâches criminels qui ont aveuglément tiré, au sens propre comme au sens figuré, sur des hommes et femmes auxquels nous pouvons tous nous identifier, parce qu'ils représentaient la société française dans toute sa diversité. C'est aussi prendre le risque de voir le monde divisé en camps, de revivre les temps de la binarité de la théorie du choc des civilisations dont la principale conséquence après 2001 a été de plonger la région qui fut le berceau civilisationnel de l'Humanité dans un inextricable chaos.

Dans ce contexte, le légitime besoin de comprendre les causes d'une telle tragédie, nourri par une compréhensible peur, peut nous mener à un autre danger, celui de la tentation sécuritaire. Déjà, démagogues et charognards, qui bien souvent sont les mêmes, appellent à une nouvelle version du Patriot Act à la française, déclarent vouloir nous abriter dans une France cadenassée, et nous somment au nom de notre sécurité de cesser de vivre comme nous le faisions avant, et pour aller vite, de renoncer à certaines de nos libertés.

Dès lors, pour échapper au terrorisme, nous n'aurions d'autre choix que de renoncer à ce que les terroristes eux-mêmes voudraient que nous renoncions. C'est comme si nous décidions de défendre la trilogie républicaine en renonçant à un peu de liberté, à un peu d'égalité et à un peu de fraternité. C'est comme si nous appelions à la rescousse, et au risque de l'anachronisme, Bonaparte pour sauver Hugo.

Tout cela semble absurde, et c'est le second cadeau alors que nous ferions aux terroristes. Que peuvent-ils espérer des crimes qu'ils ont commis ? Si on considère qu'il y avait une part de froide rationalité dans l'horreur des fusillades et explosions de vendredi, elle se trouve certainement dans la volonté d'alimenter la division. Et les appels vains et illusoires à l'unité nationale risquent de céder rapidement face à la haine et au ressentiment. Et je me risque à penser que les responsables des attentats commis espèrent et parient sur une explosion de haine qui s'en prendrait ici à l'étranger, au réfugié syrien ou d'ailleurs, et là, au musulman. Certaines déclarations peuvent nous faire penser qu'ils ont déjà un peu gagné, et le contexte délétère des semaines, des mois qui ont précédé, marqué par l'omniprésence médiatique d' « intellectuels » néo-réacs en tous genres et politiquement, d'un parti d'extrême-droite qui n'a jamais été placé aussi haut dans les sondages, ne peut que renforcer les craintes. Paradoxalement, le risque est de voir triompher ceux qui nourrissent des idées symétriques au système de pensée des auteurs du carnage.

Se défendre face aux criminels des tueries de vendredi dernier, c'est considérer que les valeurs qui fondent la République sont justes, et qu'en aucun cas nous ne devons accepter de les voir écornées, rabotées, rapiécées par une nouvelle loi liberticide, en s'habituant sans nous émouvoir à de nouvelles pratiques discriminatoires ou en acceptant au nom de la vente de quelques Rafales, d'être aveuglés face à la politique extérieure de la France.

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