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Billet de blog 20 juillet 2015

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Le IVe Reich

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« Eh bien moi, je le hais, ce peuple de Vandales,

de reitres, de bourreaux, - tous ces noms sont les siens ;

je le hais, je maudis dans leurs races fatales

la Prusse et les Prussiens ! »

Paul Déroulède

Je suppose sans grand risque que si d’aventure, dans le feu de la polémique, quelqu’un en arrivait à comparer Jean-Luc Mélenchon à Jacques Doriot, ou à Marcel Déat pour rester dans une filiation plus conforme, l’homme à l’écharpe rouge prendrait assez mal la plaisanterie. Connaissant notre ombrageux tribun, cela serait imprudent, mais surtout, outre insulter l’avenir, cela serait faux, grossier et pour tout dire malhonnête. Alors pourquoi insulter le présent avec des images passées et, souhaitons-le, dépassées ?

L’hebdomadaire Marianne coiffe la chancelière allemande d’un casque à pointe. Avec un mot : « Diktat », dont serait victime le peuple grec inconsciemment ramené au rang de métèque, de Juif errant à nouveau victime de la barbarie teutonne. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, n’a pas hésité à parler des « pays de l’Axe » après avoir ressorti Bismarck de son tonneau*. Selon le leader du Parti de gauche, l’Allemagne serait en train de détruire l’Europe « une troisième fois », sans doute par une sorte de déterminisme furieux qui serait la marque infâme de ce peuple. D’autres commentateurs rappellent subtilement à l’Allemagne qu’elle a pu s’en sortir, elle, grâce à la générosité des plans Marshall et Schumann – à bon entendeur, salut ! Nous n’en sommes pas encore à traiter nos voisins en birkenstock de « Boches », mais peu s’en faut que ça reparte comme en 40, voire comme en 14 ou 70.

Bref, rien n’a vraiment changé dans le décor en carton pâte de la vieille Europe - un peu comme ces ruines factices qui égayèrent les belles années du romantisme. Mitterrand a eu beau prendre la main d’Helmut Kohl, la vieille haine est toujours là, prête à surgir, nourrie des pires fantasmes. Sur Internet, on appelle cela la loi de Godwin : plus un débat s’éternise, plus il y a de chance qu’on appelle à la rescousse les fantômes d’Hitler et du IIIe Reich. Ce qui n’a pas manqué avec la Grèce.

Si la crise européenne s’envenime, ce qui est hélas probable, gageons que nos fiers bateleurs médiatiques retrouveront bientôt des accents barrésiens. Oublié, Lazare Ponticelli, le der de la Der des ders qui refusa ses obsèques nationales et qui n’aimait pas porter ses décorations ; retour à la case Paul Déroulède, le poète revanchard qui pondait des « chants du soldat » pour envoyer arrière-grand-papa se faire étriper au champ d’honneur.

« J’en sais qui croient que la haine s’apaise ;

Mais non ! L’oubli n’entre pas dans nos cœurs !... »

(Le Clairon)

écrivit ce va-t-en-guerre (qui mourut dans son lit en 14).

Il faut croire que la rime belliciste reste à la mode. La vieille haine n’est pas oubliée. Attendons-nous à ce que ressortent les rumeurs des enfants et des jeunes femmes aux mains et aux seins coupés par les « Pruscos », et pourquoi pas le temps où les ministres allemands servaient dans la division Das Reich ! Les « atrocités allemandes » nées dans l’imaginaire français et belge après la guerre de 70, savamment entretenues par les officines de propagande alliées, rappelait l’historien Marc Bloch, n’eurent d’autre but que de remobiliser la troupe et l’arrière « après le décrochage moral de la fin de l’année 1916 ». Certes, il y eut des atrocités, toutes sortes d’horreurs de part et d’autre, propres à toutes les guerres et à toutes les armées, mais jamais de mains d’enfants coupées… Or le symbole du casque à pointe, si facile, nous ramène au moins cent ans en arrière.

Il ne s’agit pas d’oublier la barbarie nazie, ni aucune horreur des guerres du passé, jusqu’aux uhlans si l’on veut. Il s’agit de ne pas se tromper de combat en usant d’un art poussif de la caricature. Les politiques ou les médias qui usent de telles images défraîchies nous renvoient surtout un reflet piqué de vers, et desservent la cause dont ils se prétendent les hérauts. Que l’Allemagne soit aujourd’hui le pivot d’une politique économique et sociale intolérable n’autorise pas à rebombarder Dresde.

Comment s’attaquer efficacement à la politique de Mme Merkel si c’est pour le faire avec d’aussi bêtes arguments qu’un casque à pointe ou une petite moustache ? Autant baisser les armes tout de suite et abandonner les Grecs à leur sort. Faire un procès en sorcellerie à la chancelière allemande revient à lui dérouler le tapis rouge ; la coiffer d’un casque à pointe ou parler d’ « Axe » pour désigner ses alliés européens, à ne plus pouvoir combattre sa politique d’anti-solidarité européenne. Traiter à tout bout de champ ses adversaires politiques de « fascistes » ou de « nazis », fût-ce par le truchement d’images, vide de sens ces mots effrayants et déconsidère toute lutte politique et sociale qui s’y fourvoie. Un peu comme traiter un CRS de SS ne fait pas de vous un Résistant, juste un joueur de mirliton.

Depuis soixante-dix ans, les Européens ont réussi à construire un espace de paix. Malgré tout. Ce qui n’était jamais arrivé depuis les invasions franques, nos sympathiques ancêtres germains. Malgré tout, malgré les erreurs politiques, malgré l’euro, malgré Srebrenica, malgré un élargissement précipité, malgré la vacuité et souvent la lâcheté de nos dirigeants... La crise de la dette grecque est une catastrophe européenne qui appelle des solutions démocratiques contre l’emprise des mâchoires financières. En aucun cas de redéclarer la guerre aux Allemands ou en soufflant sur des braises mal éteintes, comme le font Marianne et Mélenchon le Hutin. N’est pas Le Téméraire qui veut – qui fut quand même mangé par les loups.

Il se trouve que c’est l’Allemagne qui joue aujourd’hui le rôle du méchant dans la crise européenne. Que n’eût-on dit si c’étaient nos amis anglais, qui se sont bien gardés d’entrer dans la zone euro et qui, s’ils l’eussent fait, auraient été plus intraitables encore que nos amis allemands, en parfaits libéraux ? Marianne et Mélenchon auraient-ils invoquer Jeanne d’Arc, Waterloo et Mers el-Kébir, ou les accointances fascistoïdes des Windsor avant-guerre ? Avec de tels avocats français, nos amis grecs sont bien aidés.

*Libération, 20 juillet 2015.

 Lire aussi sur mon blog etatsetempiresdelalune.blogspot.fr

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