Et si pour sortir de la crise démocratique qui mine la société française nous refaisions de la politique ? Ce serait l’occasion de donner de l’utilité à un quinquennat perdu, avec un objectif mobilisateur : fonder ensemble la VIe République lors du prochain mandat présidentiel.
D’ici quelques jours, le président de la République et le gouvernement vont présenter une réforme territoriale d’envergure, qui dessinera la nouvelle carte politique de la France. Cette réforme est fondamentale, encore qu’elle ne soit pas urgente. Il n’y a aucune raison de se précipiter. La situation ne s’y prête pas : une réforme politique fondamentale nécessite un vrai débat de fond. Le discrédit qui frappe notre système politique, la faiblesse morale et intellectuelle de nos gouvernants, la vacuité idéologique, le rejet des grands partis traditionnels qui meurent dans le déshonneur, confrontés à leur impuissance, la reproduction incestueuse d’une oligarchie technocratique incapable de produire du sens politique au-delà de ses intérêts, avec les tares ordinaires d’une fin de règne : la corruption, l’arrogance, l’aveuglement, la trahison ; enfin la grève électorale chronique de citoyens qui ne se retrouvent plus dans la république : rien ne nous prédispose à un bouleversement territorial, fût-il nécessaire. La crise démocratique que nous traversons, qui est moins marquée par l’installation de l’extrême droite que par le rejet massif du système représentatif, appelle à un courage politique d’un autre ordre.
De toute évidence, au terme d’un cycle qui a débuté dans les années 70 (après-68, congrès d’Épinay, réformes giscardiennes, crise économique, crise politique morale, fracture technologique), la France a besoin d’un débat de fond, d’une redéfinition de la république, des raisons que nous avons ou pas de vivre et de croire ensemble à un avenir. Le vieux modèle a vécu, notre pays n’est plus celui des années 50 et 60, dans un monde en mutation géopolitique, écologique, économique et technologique. Jusqu’à nos valeurs historiques qui ne soient remises en question ici ou là…
La Ve République a bien mérité de la patrie mais elle ne fonctionne plus. L’État n’est plus respecté, parce qu’il ne joue plus son rôle protecteur, en tout cas parce qu’il ne donne plus l’impression de protéger ses citoyens en difficulté, dans une société de plus en plus inégalitaire, ou tout simplement parce que ses représentants ne sont pas toujours respectables. Le roi est nu, le peuple a peur. La crise démocratique que nous traversons est l’occasion à saisir pour engager des « États généraux », une période « constituante » en vue d’une VIe République. Il est clair que la nécessité de réformer notre structure territoriale ne peut se faire sans une réforme de nos institutions politiques.
Tout est à repenser, à redéfinir, pour consolider une maison en péril dans un environnement dangereux. Les Français ont besoin de reprendre confiance dans leur système démocratique pour reprendre confiance en eux-mêmes. Ils ont besoin de discuter entre eux pour renouer. Loin des calculs politiciens, un grand débat national permettrait à chacun de se (re)situer dans la société française. Où en sommes-nous ? Que voulons-nous ? Comment vivre ensemble, à quelles conditions, avec quel contrat ? Un grand débat national permettrait d’intégrer au système de valeurs des personnes qui ne trouvent pas de repères aujourd’hui, ni par le mérite, ni par l’envie, encore moins par la fierté d’appartenance. La fameuse intégration républicaine est une illusion. Il ne s’agit surtout pas de refaire le coup lamentable du débat sur « l’identité française », qui n’était qu’une machine à diviser pour mieux régner. Il nous faut au contraire un débat qui invente un nouveau contrat républicain, avec un objectif à atteindre, l’idée d’une création collective.
Un débat de cette envergure serait la possibilité d’une réhabilitation des partis politiques. Ce serait aussi un acte politique majeur de nos gouvernants, sans lequel ils vont continuer à s’enliser et nous avec eux. Un acte de courage propre à recréer de l’histoire. Ce serait enfin l’occasion de préciser la place que souhaite prendre la France dans l’union européenne, à quelles conditions, dans quel dessein.
Les questions ne manquent pas, du fonctionnement de l’État à l’instauration d’une démocratie locale qui reste à inventer, loin des gadgets participatifs. Faut-il maintenir un Premier ministre qui n’est plus qu’un directeur de cabinet ? Le parlement doit-il accroître ses pouvoirs dans un système présidentiel quinquennal ? Doit-on conserver des départements à l’heure de la mondialisation ? Quelle fourchette de revenus est acceptable entre les plus riches et les plus pauvres ? Comment préserver nos valeurs de tolérance, de laïcité, de fraternité ? Y a-t-il trop de lois, trop de règlements ? L’école, la santé, la mobilité, la culture, certains secteurs économiques stratégiques, etc, sont-ils à sanctuariser ?
Le fonctionnement d’un tel débat requiert de la volonté. Il pourrait être le point d’accroche de la prochaine élection présidentielle, dans la perspective d’un changement constitutionnel. Deux à trois ans ne semblent pas de trop pour développer cette période « constituante ». Les partis, mais également tous les citoyens seraient appelés à organiser et à nourrir ce débat, chacun à sa façon, à son échelle, avec originalité. Les médias comme les politiques y retrouveraient peut-être une légitimité.
Voilà qui changerait de la médiocrité qui étouffe la vie démocratique et qui nous conduit à une catastrophe en 2017 si rien ne change. L’horizon d’une VIe République serait un remède contre l’inculture et la veulerie de la caste techno-politique actuellement au pouvoir, des vitamines pour les citoyens, le goût retrouvé d’un avenir collectif. Enfin de la politique, de la vraie, qui couperait l’élan des marchands de slogans populistes, loin d’une simplicité démagogique trompeuse comme loin d’une complexité technocratique illisible, loin du cynisme des uns et des autres, à l’opposé d’une société qui s’annonce plus violente à mesure qu’elle n’avance plus. Il ne s’agit pas encore de faire la révolution, qui de toute façon ne se décrète pas, mais de tenter une fête pacifique de la démocratie.
Quel président osera cet acte ? Quelle formation politique prendra ce risque ? Quels citoyens imposeront ce débat ? Il est temps de refaire de la politique.
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