Un ami, avec qui j’aime trinquer à La Perle – maison honorable du centre de Nantes – a subi une agression particulièrement violente, dont il n’a réchappé que par miracle. Ce fait divers n’aurait pas plus d’intérêt que n’importe quel fait divers si la victime, grièvement blessée, n’avait réagi avec une intelligence qui dénote singulièrement dans le lamento des refrains sécuritaires.
L’agresseur, interpellé sur place, avait 3,4 grammes d’alcool dans le sang. Alcoolique grave, 31 ans. Il a été condamné à 18 mois de prison ferme assortis de 18 mois de sursis avec mise à l’épreuve. Chacun jugera de l’utilité d’une année et demie d’enfermement, dans l’état et la promiscuité lamentables du système carcéral français.
Cette triste histoire s’est déroulée le 10 août. Je n’en ai pris connaissance que récemment, à la lecture de deux articles de Presse Océan parus les 15 et 21 août. Leur parution a forcément échappé à beaucoup de personnes absentes en cette période estivale. Voici donc le second article. Il relate excellemment l’affaire et donne à mon ami l’occasion, dont il se serait bien passé, d’exprimer avec une belle humanité les convictions que nous lui connaissons.
E.C.
Cet article est signé Jérôme Jolivet et Anne-Hélène Dorison.
Il a l’œil droit injecté de sang. Un hématome court de sa pommette opérée jusque sous sa mâchoire. Sa dentition ne tient que par un rafistolage provisoire. Un moindre mal. Samedi 10 août, G.A., 51 ans, a été projeté contre un tramway en marche. C’était à l’arrêt Commerce, à Nantes, par un homme ivre à qui il venait de refuser une cigarette. C’est « un miraculé », dit de lui son avocate.
Dans un café du centre-ville, G.A. a accepté de se confier sur cette mésaventure dont il n’a gardé que peu de souvenirs. « J’ai été assommé net, avoue cet homme au physique frêle. Jusqu’à ce que je me réveille dans l’ambulance des pompiers, c’est un grand vide ». Depuis, grâce à des témoins et à des coupures de presse, il a « mis quelques images inventées » sur un épisode qu’il n’a « pas vécu ».
Des connaissances viennent le saluer au comptoir. Prennent de ses nouvelles. Dans son entourage, beaucoup ont réclamé une peine exemplaire contre son agresseur. Pas lui. « Je refuse toute victimisation, dit-il, digne et convaincu, presque militant. Je suis une victime, certes, mais mes droits ont été défendus par un avocat, les siens par un autre avocat. La peine est celle que les juges ont estimée juste ». Il refuse d’abord de la commenter puis finit par lâcher qu’il la trouve « sévère ».
Mercredi, G.A. n’a pas assisté au procès à l’issue duquel son pousseur a été condamné à 18 mois de prison ferme. « Ça n’a pas de sens ni d’intérêt de montrer combien je souffre et je ne cherche pas à soutirer de l’argent à ce type, argumente-t-il. Ça ne ferait qu’ajouter à son malheur. La justice est là pour réparer dans la sérénité ».
Le jeune homme qui l’a poussé lui a présenté des excuses depuis son box. « Je les accepte, réagit le quinquagénaire. C’est un être humain avant tout. Ça ne veut pas dire que je vais m’en faire un ami. Mais quand il aura purgé sa peine, il redeviendra un citoyen comme les autres et j’espère qu’il aura une belle vie ». Aucune haine ne transpire malgré ce « sentiment d’être passé à côté de quelque chose de bien pire ».
Il comprend d’ailleurs l’émotion suscitée par ce triste fait divers : « Ça aurait pu être n’importe qui. Ça met en exergue qu’on est mortel de plein de manières, pas seulement à cause de l’âge, mais aussi d’un accident ou d’un meurtre ».
G.A. pense surtout à sa compagne. « Elle m’a vu baignant dans mon sang et m’a cru mort. C’est assez difficile à oublier… ». Et se montre reconnaissant envers les usagers du tramway et les professionnels de la Tan. « D’un point de vue civique, leur réaction à tous a été remarquable ».