"Cette classe [celle de 1917] a été mal dressée, mal instruite et arrivée dans les unités du front avec un assez mauvais esprit. Les hommes sont plus conscients de leurs droits que de leurs devoirs." (Colonel Martenet, 2 juin 1917)
Centenaire de la guerre, centenaire d'une trahison -l'Internationale qui vole en éclats-, horizon quotidien d'une autre trahison, moins grave, plus attendue, banale dans sa médiocrité, je voudrais adresser un clin d'oeil à ceux qui osèrent, au péril de leur vie, dresser le poing, les mutins de 1917.
Le contexte, c'est l'échec de la grande offensive finale de Nivelles, 350.000 morts, et on se retrouve comme avant. Sauf qu'en Russie, il y a la révolution. Et qu'à Stockholm, on parle de paix. L'initiative de Stockholm revient au parti socialiste américain, lilliputien, et à un socialiste belge, Camille Huysmans. C'est loin d'être un illuminé ou un utopiste. L'homme, la guerre suivante, rejoindra Londres, sera premier ministre par la suite. Il n'a pas digéré ce qu'ont fait les sociaux-démocrates en Allemagne, France et Belgique, voter les crédits de guerre.
28 mai 1917, le congrès de la Sfio décide de participer à la conférence, le Soviet de Petrograd l'avait fait le 15 mai. Bien sûr, les autorités allemandes et françaises interdirent à leurs ressortissants d'y participer, ne délivrèrent pas les passeports, la conférence fut finalement annulée. Il n'y avait donc plus aucun espoir que la guerre prenne fin. C'est dans ce contexte que surgirent les mutineries.
Ces mutineries commencèrent en mai 1917, s'achevèrent le mois suivant, les archives sont toujours secrètes, beaucoup d'incidents ont été occultés, il est donc difficile d'établir leur ampleur. Il n'y a cependant pas de doute que leur portée fut immense, ne serait-ce que dans le soudain souci que mit Pétain à préserver le sang des troupes et à renoncer aux attaques imbéciles.
Je me contenterai de citer un extrait d'une lettre saisie par la censure militaire :
"Juste au moment de la soupe, il fut décidé dans tout le 3e bataillon et le 2e bataillon aussi que personne ne monterait. Les officiers ayant eu vent de cette rumeur passèrent dans leurs compagnies à la soupe afin de sonder les poilus et les exhorter au calme et à monter quand même. Rien à faire, tout était décidé : à 17 h., heure du rassemblement, tous sortirent dans la rue en veste et calot et entonnèrent l'Internationale. Les fusils mitrailleurs étaient braqués et prêts à tirer si une compagnie avait le malheur de monter. Commandant, colonel et général de corps vinrent supplier les hommes : ce dernier fut hué au cri de "à mort". Vous voyez d'ici le tableau." (lettre d'un soldat, 30 mai 1917)
De ces mutineries, il reste une chanson, la chanson de Craonne, dont voici le refrain :
"Ceux qu'ont le pognon, ceux-là reviendront
"Car c'est pour eux qu'on crève
"Mais c'est fini, nous, les troufions
"On va se mettre en grève
"Ce sera vot' tour messieurs les gros
"De monter sur le plateau
"Si vous voulez faire la guerre
"Payez-la de votre peau
(J'aime beaucoup la version d'Henry Poulaille : http://www.youtube.com/watch?v=z-yRaEYQNQs)
Les citations sont tirées de André Loez, 14-18. Les refus de la guerre, une histoire des mutin, Folio Histoire, Paris 2010 ; des infos complémentaires sont consultables en ligne : http://crid1418.org/doc/mutins.html