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Billet de blog 11 mars 2015

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Consultation sur la fin de vie : ce qu'en ont fait les députés

Voilà, le rapport de la Commission des affaires sociales chargée d'examiner la proposition de loi sur la fin de vie est paru le 6 mars dernier. Il retranscrit les débats qui ont eu lieu au sein de la Commission et, par là-même, ce qui a été fait des 11922 contributions déposées par les internautes sur le site de l'Assemblée nationale.

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Voilà, le rapport de la Commission des affaires sociales chargée d'examiner la proposition de loi sur la fin de vie est paru le 6 mars dernier. Il retranscrit les débats qui ont eu lieu au sein de la Commission et, par là-même, ce qui a été fait des 11922 contributions déposées par les internautes sur le site de l'Assemblée nationale.

Tout d'abord, rappelons ce qui avait été promis par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, en octobre dernier : " Nous expérimenterons […] pour la première fois une consultation numérique des citoyens sur un projet de loi. Ce ne sera pas simplement un débat participatif mais un échange éclairé grâce à des données qui seront librement mises en ligne. Le débat aboutira à un rapport de synthèse qui sera versé aux documents mis à la disposition du rapporteur."

Finalement, quel est le résultat ?

Une synthèse rudimentaire

Tout d'abord, pour trouver la synthèse des contributions promise, il faut bien chercher ! Rien sur le site de la consultation elle-même, rien dans le sommaire du rapport… Après avoir appelé les services de la Commission des affaires sociales, nous avons enfin découvert cette "synthèse" intégrée au rapport de la commission sous la forme d'un petit paragraphe d'une vingtaine de lignes, en fin d'introduction.

Pourtant, les contributions, ont, selon ce même rapport, bien fait l'objet d'un long travail de tri et d'analyse quotidien "afin de permettre une information régulière des rapporteurs". Mais visiblement ce travail n'est pas destiné à être rendu public. Les membres de la Commission eux-mêmes n'y ont pas eu accès comme s'en est plaint la députée Isabelle Le Callenec lors des débats en commission : "Nous autres, commissaires aux affaires sociales, nous aimerions prendre connaissance de ces contributions qui sont censées alimenter nos travaux parlementaires."

Les députés et les citoyens ont donc droit à une synthèse très rudimentaire qui a peu de chances d'enrichir le débat public et qui pourrait même servir d'épouvantail à ceux qui auraient l'idée de reproduire l'expérience.

 Que nous apprend cette "synthèse" ?

D'abord, que le nombre de contributions supprimées a été faible, moins de 1%. Ce qui, apparemment, devrait être une bonne nouvelle pour tous ceux qui craignent d’habitude la participation citoyenne : pas de troll, pas d'insultes, pas de détournement… Les contributeurs ont pris l'exercice au sérieux.

La synthèse ne précise pas, par contre, combien de contributeurs ont participé. Seul est précisé le nombre total de contributions (11922). On a du mal à savoir, de ce fait, de quoi les auteurs de la synthèse parlent exactement quand ils évoquent "la majorité des commentateurs".

Les auteurs nous dressent ensuite un bref tableau binaire des contributions générales proposées par les internautes sur le texte :

  • d'un côté les partisans de l'euthanasie que regrettent que le texte n'aille pas assez loin et qui sont, selon les auteurs de la synthèse, constitués pour moitié de commentateurs qui 's'identifient explicitement comme membre de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD)
  • de l'autre les opposants à l'euthanasie qui regrettent que le texte aille trop loin et dont, selon les auteurs, « certains […] se revendiquaient de la Fondation Lejeune ou des Associations familiales catholiques. " On ne saura pas à combien de contributeurs cela correspond exactement.

Et les auteurs d'ajouter : "Il faut noter que dans les derniers jours d’ouverture de la consultation, la majorité des contributions étaient des copiés-collés de textes envoyés par diverses associations à leurs membres."

En ce qui concerne les contributions plus ciblées sur un article en particulier, voire un mot ou une expression, les auteurs de la synthèse nous indiquent que : "Les rapporteurs en ont reçu une analyse détaillée mais leur nombre et leur diversité empêchent de les développer davantage ici."

Dommage ! Peut-être les auteurs auraient-ils pu mettre cette analyse dans un fichier PDF à part, comme ils l'ont fait pour le PDF de 4514 pages comportant l'intégralité des contributions… Mais non, le seule chose qui ressort de la synthèse c’est que la phrase "la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement" (article 2) est "discutée" et "contestée", sans aucune précision sur les différents arguments avancés par les contributeurs et qu'il y a eu "un nombre significatif de critiques sur certains termes utilisés tels que « fin de vie digne et apaisée » (article premier), « prolonger inutilement » la vie (article 3), « délai raisonnable » (article 5), soulignant que ces termes non définis laissaient trop de place à la subjectivité et à l’interprétation."

Et la "synthèse" de se terminer sur une recommandation, on ne peut plus légère, à l'ensemble des contributeurs : "La lecture du présent rapport, et notamment des débats en commission, permettra aux internautes de trouver une réponse à nombre de leurs interrogations."

Cette recommandation a le mérité de traduire assez exactement la conception de la délibération démocratique que se fait le secrétariat de la commission des affaires sociales : des citoyens qui s'interrogent, des députés qui fournissent les réponses.

Les auteurs de la synthèse n'ont donc visiblement pas trouvé grand-chose d'intéressant, dans les 11922 contributions citoyennes, qui mérite d'être mentionnés dans le rapport mis à disposition des parlementaires pour améliorer la loi.

Mais qu'ont pensé les rapporteurs de cette consultation, eux qui ont eu la chance d'avoir entre les mains, au jour le jour, l'analyse détaillée des contributions réalisée par le secrétariat de la commission des affaires sociales ? Cela a-t-il enrichi leur travail législatif ?

 L'exploitation des contributions par les rapporteurs

A vrai dire, les deux co-rapporteurs semblent pour le moins dubitatifs à l'égard de cette consultation citoyenne.

Lors des débats en commission, le député Claeys commence bizarrement par prendre la peine de préciser que cette consultation ne le choque en rien. Ce qui ne doit donc pas être le cas de tout le monde.

Alain Claeys reconnaît que "sur de tels sujets, un éclairage peut être utile au législateur" mais il ajoute : "Cependant, comme je l’ai dit au président Bartolone, les contributions seront d’autant plus utiles qu’elles reposeront sur des avis éclairés. Chacun n’ayant pas le même niveau d’interprétation sur des sujets parfois complexes, un accompagnement me paraît nécessaire."

Le député Claeys partage donc visiblement le manque d'enthousiasme des auteurs de la synthèse et précise le diagnostic : les contributions des citoyens soumises sur le site de l'Assemblée ne sont pas utiles faute pour le député Claeys d'être des "avis éclairés". Ils proviennent pourtant, si on en croit les auteurs de la synthèse, pour beaucoup de citoyens engagés dans des associations militantes qui sont généralement très au courant des débats et ne manquent pas d'information. Qu'entend exactement Alain Claeys par "éclairé" ou par "niveau d'interprétation sur des sujets parfois complexes" ? De quel "accompagnement" parle-t-il ?

En des termes tout aussi diplomatiques, le député Leonetti dresse un constat similaire, non sans une pointe d'ironie à destination du président Bartolone qui a imposé cette consultation aux rapporteurs : "Sur la consultation citoyenne, je réserverai la primeur des analyses au président de l’Assemblée. Alain Claeys et moi, respectivement président et rapporteur d’une mission d’information sur la révision des lois bioéthiques, avions, dans ce cadre, lancé une telle consultation sur internet, d’ailleurs assortie de nombreuses auditions ouvertes au public. Cette opération avait permis de rassembler des panels de citoyens sur l’ensemble du territoire.(1) Je rappelle aussi que c’est l’un de nos amendements à la loi sur la bioéthique de 2011 qui a rendu ce type de consultation obligatoire. On peut toutefois regretter que celle dont nous parlons arrive trop tard, et surtout qu’elle ne s’appuie sur aucun support, comme l’a noté Alain Claeys. Ce faisant elle a donné un écho à l’avis, non de l’ensemble de nos concitoyens, mais plutôt de ceux d’entre eux qui, organisés en associations, ont des convictions souvent tranchées sur ces sujets. Bref, une telle expérimentation avait déjà eu lieu, et dans de meilleures conditions puisque, d’une durée de six mois, elle s’était faite sur la base d’un support énumérant les différents courants de pensée sur le sujet : cela avait permis des échanges fructueux entre informations et contributions."

Les auteurs de la synthèse et les rapporteurs nous présentent donc une consultation réduite, faute d'information préalable objective et contradictoire, à une forme de débat stérile entre deux types d'opposants au texte uniquement capables de tenir un discours "partisan".

On n'est donc pas étonné de ne retrouver dans les comptes-rendus des débats en commission que cinq brèves allusions aux 11922 contributions citoyennes.

Sur ces cinq allusions, deux seulement mentionnent des idées précises émises par des contributeurs (améliorer la formation des médecins et faire inscrire la personne de confiance sur la carte vitale). Les trois autres évoquent, de manière très floue, des contributeurs qui "s'interrogent" sur le sens des mots de certains articles de loi ("dignité", "inutiles", "disproportionnés") ou réagissent en nombre à certaines expressions (« la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement »), sans que le contenu même des argumentations ou objections ne soit repris par les rapporteurs pour être analysé et discuté. Pour les rapporteurs, ces réactions sont simplement le symptôme que "quelques éclaircissements apparaissent nécessaires" ou que telle phrase "mérite quelques explications, afin que chacun puisse bien mesurer sa portée."

En un mot, à aucun moment les rapporteurs n'acceptent d'entrer dans une véritable logique délibérative avec les citoyens qui ont pris la peine de s'exprimer sur le site de l'Assemblée.

Comment expliquer une telle attitude et est-elle justifiée ?

Les députés sont-ils capables de délibérer avec les citoyens ?

Si l'on suit la critique que fait Jean Leonetti de la consultation, il semble que le refus des rapporteurs d'entrer dans une véritable logique délibérative s'ancre dans la perception qu'ils ont de l'attitude même des contributeurs, jugée non délibérative et uniquement partisane.

La critique de Jean Leonetti peut se résumer à la double structure argumentative suivante :

Raisonnement n°1 :

  1. La consultation sur la fin de vie ne proposait aucun "support énumérant les différents courants de pensée sur le sujet".
  2. Or les citoyens avaient besoin de ces supports pour donner leur avis
  3. Donc les citoyens n'ont pas participé et seuls les citoyens organisés en association l'ont fait

Raisonnement n°2 :

  1. Les citoyens organisés en association ont des "convictions tranchées sur ces sujets"
  2. Or un vrai débat suppose d'examiner les sujets de manière non partisane en respectant les règles d'une délibération rationnelle
  3. Donc un débat avec des citoyens organisés en association ne peut pas être de bonne qualité

Les députés Leonetti et Claeys n’étant pas familiers des stratégies des communicants d’influence ni des représentants des syndicats du médicament, nous ne les soupçonnerons pas, bien sûr, de chercher à influencer l’opinion publique par la mise en place de sites de débats participatifs reposant sur la présentation d’informations préalables soi-disant objectives, comme certains lobbyistes le prônent.

Nous retiendrons plutôt que le député Leonetti définit ici deux conditions nécessaires à une bonne délibération :

  1. On ne peut pas délibérer correctement si on ne dispose pas d’une information contradictoire préalable
  2. On ne peut pas délibérer correctement si on est "partisan"

Mais Jean Leonetti est-il conscient des conséquences qu'il y a à suivre un tel raisonnement et à accepter ces deux présupposés ? Si on les acceptait tels quels, ce serait en effet les députés eux-mêmes qui devraient d’abord être tenus pour incapables de délibérer : ont-ils accès à autre chose qu'au dossier législatif fourni aux citoyens, lorsqu'ils délibèrent en commission sur les lois qui leur sont soumises ? Ne sont-ils pas eux aussi membres de "partis" porteurs d'idéologies et d'intérêts catégoriels, qui les contraint bien plus que ne peut le faire une association militante puisque leur carrière même en dépend?

Cette incapacité "structurelle" des députés à délibérer authentiquement au nom de l'intérêt commun est reconnue par de nombreux chercheurs (2) qui nous invitent à renoncer définitivement à l'idéal des révolutionnaires de 1789 et à l'utopie d'une assemblée parlementaire délibérante pour cantonner les députés à un rôle d'"avocat", ayant pour seule fonction de plaider la cause de leur parti devant le public. Charge à l'électorat de juger ensuite ces plaidoyers partisans en fonction de l’intérêt commun.

Même si notre expérience nous rend personnellement parfois pessimistes sur la capacité des députés à entrer dans de véritables logiques délibératives, il nous semblerait extrêmement préjudiciable de renoncer à l'utopie d'une démocratie délibérative permettant à la loi d'exprimer la volonté générale. Mieux vaut continuer d’être exigeants avec nos députés.

Toujours est-il qu’en accusant les contributeurs citoyens d'être des partisans incapables de délibérer, le secrétariat de la Commission des affaires sociales ainsi que les rapporteurs s'exonèrent à bon compte d'entrer eux-mêmes dans une logique délibérative avec des acteurs qu’ils disqualifient.

Notre lecture rapide d'un grand nombre de contributions nous a pourtant donné un sentiment très différent de la caricature présentée par les auteurs de la synthèse et les rapporteurs de la proposition de loi : beaucoup de contributions riches, précises, informées, nuancées et de remises en question légitimes de la proposition de loi…. Que cette richesse, collectée de manière totalement désordonnée et sur un temps très court, ait été par contre inexploitable dans le cadre des débats parlementaires de la commission, cela va de soi. Mais cette difficulté à analyser et à synthétiser les avis des citoyens trahit, non pas l'incapacité de ces derniers à participer à un débat constructif, mais le manque total de méthodologie délibérative imputable à ceux qui ont initié la consultation.

Alors, les députés : de très bons avocats incapables de délibérer avec les citoyens ?

En espérant que certains nous prouvent un jour le contraire.

(1) Jean Leonetti fait ici allusion aux Etats généraux de la bioéthique organisé en 2009 http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/

(2) voir par exemple Dominique Leydet http://www.participation-et-democratie.fr/sites/default/files/ehess2011leydet1.pdf

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