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Billet de blog 6 octobre 2023

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L’interview de G. Attal par Le Monde (05/10/23) : la question salariale

D’après Le Monde, ce qu’il ressort de cet entretien sur la question de l’attractivité, c’est que la priorité n’est plus à la hausse des salaires. G. Attal va ici une nouvelle fois faire croire, en utilisant des ficelles plus ou moins grosses, à faire croire que les enseignants ont été suffisamment "revalorisés" ...

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L'article :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/05/gabriel-attal-nous-devons-engager-une-bataille-pour-le-niveau-de-notre-ecole_6192600_3224.html

Ici on a typiquement le genre de déclaration trompeuse qui justifierait d’une tribune de nos OS. Une tribune qui n’arrivera évidemment, jamais. Ce n’est pas la première fois qu’un ministre – ou tout autre membre du gouvernement – manipule l’Opinion publique sans que cela ne déclenche une quelconque réaction syndicale que ce soit.

Pourquoi ? Tout simplement parce que nos OS se contentent d’accompagner notre déclassement salarial, en se satisfaisant généralement de négocier la répartition des miettes que le gouvernement aura de toute façon déjà décidé de nous donner.

Notre déclassement n’est pas le fruit du hasard, il est la conséquence d’une stratégie claire de tassement salarial et de quasi gel indiciaire, scrupuleusement appliquée par les gouvernements successifs, et encore plus sous celui d’E. Macron, où ce déclassement s’est même accéléré, malgré ce que veut évidemment faire croire ce gouvernement.

N’en déplaise à ceux de nos représentants/délégués syndicaux qui ont une propension incroyable à inventer une réalité parallèle, ce que je viens de dénoncer clairement et simplement, ils ne l’ont jamais dénoncé de la sorte. Se contentant de dénoncer les conséquences, et non les causes, ce qui non seulement ne permet pas de remobiliser une profession sur ce sujet crucial de la question salariale, mais facilite d’autant la communication des différents représentants gouvernementaux pour mettre à mal leur argumentation toujours superficielle. A l’instar de l’intervention récente d’Attal à l’assemblée qui répondait à P. Vannier, député LFI qui nous « défendait ». Les députés calquant leurs « argumentations » sur celles de syndicats … mêmes causes, mêmes conséquence.

Mais revenons-en à ce que dit G. Attal :

- « Entre avril 2022 et janvier 2024, les salaires des enseignants auront augmenté en moyenne de 11 %. Ce n’était pas arrivé depuis le début des années 1990. »

Ça parait être une formulation simple, et pourtant c’est très recherché, avec évidemment une façon de présenter des chiffres - exacts – de telle façon qu’au final on est dans la manipulation.

D’abord, effectivement ce n’était pas arrivé depuis le début des années 90, mais ça fait plus de 30 ans qu’il n’y avait pas eu une inflation aussi importante ! Et toute augmentation doit être mis au regard de l’inflation sur la même période. Ce n’est évidemment jamais fait, d’autant plus quand l’inflation est galopante, comme c’est le cas depuis plus de 2 ans maintenant. Ainsi, si l’on prend l’inflation depuis l’ère Macron, on en sera à près de 20 % d’inflation en janvier 2024. Avec une compensation de cette inflation de seulement 5 % en indiciaire via les deux dégels (3,5 et 1,5 %) du point d’indice. On approchera un maximum de 7 % avec les 5 points qui seront rajoutés en janvier 2024, et en incluant les quelques autres points qui avaient été rajoutés en début de quinquennat. Alors bien sûr il faut rajouter les trois revalorisations (les 2 primes Grenelle et la revalorisation de septembre 2023), mais sous formes de primes/indemnités dont la dégressivité systématique sera masquée par ces moyennes de pourcentages systématiquement utilisées, et on verra plus précisément pourquoi.

Cette manipulation est plutôt simple mais n’est pas vraiment dénoncée, pas du tout clairement en tout cas. Elle est similaire à celle faite par S. Guérini et O. Grégoire à l’issue de la revalorisation du point d’indice de 3,5 %. Une manipulation démontée à l’époque par …. France info :

https://www.francetvinfo.fr/economie/inflation/vrai-ou-fake-la-hausse-du-point-d-indice-de-la-fonction-publique-cache-t-elle-une-perte-de-pouvoir-d-achat-pour-les-fonctionnaires_5228794.html

Sans même parler de ce qu’avait osé O. Grégoire : rajouter à ces 3,5 %, les 1,5 % moyens de GVT (gains via changements d’échelons en majeure partie), considérant ainsi implicitement que les augmentations de salaire dues à l’ancienneté devaient donc servir à compenser l’inflation …

https://twitter.com/oliviagregoire/status/1542056909003522048

… ça ose tout. En même temps, cette vision correspond plutôt bien à celle du gouvernement, qui vise à nous rémunérer par un quasi fixe pour toute ancienneté, + primes / indemnités dont bien sûr avant tout le pacte qui sera, comme l’avait déclaré implicitement G. Attal, l’unique moyen de revalorisation pour les prochaines années.

Et donc, G. Attal restreint la période à celle qui l’arrange, celle correspondant au début du deuxième quinquennat Macron et qui concentre le plus de revalorisations : les deux dégels du point d’indice, la revalorisation de septembre 2023 et les 5 points d’indice qui seront rajoutés en janvier 2024. Une période qui permet aussi, fallacieusement, de faire croire que la promesse de Macron aura bien été tenue : ainsi les « 10 % pour tous les enseignants », censés avoir été compris comme pour chaque enseignant, et en septembre 2023, glissent vers un « 11 % en moyenne pour les enseignants », sur le début du second quinquennat Macron … et en plus on est au-dessus de 11 % … un coup de maître ! Ce qui permet d’autant plus à G. Attal d’affirmer dans d’autres interventions que « la promesse du président a été respecté » … what else !?

Ensuite G. Attal parle donc d’une moyenne de pourcentages. Comme on l’a vu lors de la production du tableau de revalorisation de septembre 2023 par le MEN, le pourcentage moyen d’augmentation est calculé à partir de la moyenne des pourcentages d’augmentation pour chaque échelon … une moyenne archaïque et qui n’a pas vraiment de sens mathématiquement, mais qui a la mérite, vous le devinez, de présenter les choses de manière très avantageuse …

Et c’était bien sûr le même stratagème qui avait été utilisé pour la moyenne des pourcentages de revalorisation (5,5 % par rapport à septembre 2022, ou un peu plus de 11 % par rapport à 2020) dans le tableau présenté en avril 2023.

Car, mathématiquement, lorsque l’on procède ainsi les pourcentages d’augmentation ont le même poids quel que soit l’échelon, les plus petits ou les plus grands. Quand ils ne correspondent pas du tout aux mêmes montants. Mais surtout, quand on a des revalorisations dégressives, comme ce fut donc le cas en septembre 2023 (mais aussi lors des 2 premières primes Grenelle évidemment), cette moyenne de pourcentage est alors maximisée par rapport aux montant total distribué. Si la revalorisation avait été progressive, c’eut été l’inverse : le pourcentage moyen aurait été minimisé.

Présenter les revalorisations par la moyenne des pourcentages d’augmentations est donc la façon la plus opportune pour le gouvernement, permettant de tromper tout le monde !

Voir la démonstration simple s: un même montant distribué (exemple pris de 1000 €) de différentes manières donnera une moyenne de pourcentages d’augmentation la plus élevée dans le cas où la répartition aura été dégressive. Dans l’exemple on a pris 5 échelons fictifs dont les rémunérations correspondantes (en fait les « salaires de base ») vont de 1000 à 3000 €.

Illustration 1
Démonstration à partir d'un exemple : variation de la moyenne des pourcentages pour un même montant suivant le type de révalorisation

Ce stratagème qui doit permettre de grappiller 1 à 2 % aurait dû être dénoncé par les OS dès la parution du tableau sus-mentionné, mais tel n’a évidemment pas été le cas …

- « Depuis cette rentrée le salaire de nos professeurs est supérieur à la moyenne de l’OCDE, en début et en fin de carrière »

Comme c’est arrangeant de comparer à la moyenne de l’OCDE. Faut quand même savoir qu’ainsi on se compare à des pays comme le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Turquie …

Voir les salaires des enseignants de l’OCDE en 2020 à différents moments de leurs carrière, et suivant le niveau d’enseignement.

Illustration 2
LEs salaires des enseignants de l’OCDE en 2020 à différents moments de leurs carrière, et suivant le niveau d’enseignement.

Par contre, si on s’était « contentés » de faire une comparaison avec les pays comparables économiquement, vous imaginez bien que nous serions évidemment en queue de peloton pour toute ancienneté !

Mais il y a plus insidieux : la formulation faite laisse planer le doute – via le « depuis » - sur le fait que les salaires des enseignants de fins de carrière (mais aussi de début de carrière) pourraient être passés au-dessus de la moyenne de l’OCDE à partir de ce mois de septembre, autrement dit grâce aux revalorisations. Ce qui est évidemment faux, ce n’est pas avec l’augmentation de la prime ISOE/ISAE que cela aurait été possible …

Enfin, comment G. Attal peut-il produire une telle affirmation, quand les études de l’OCDE paraissent au mieux en fin d’une année pour des valeurs de l’année précédente ? G. Attal saurait-il de surcroît quelles ont été les revalorisations éventuelles en septembre (ou les mois précédents) dans les autres pays de l’OCDE ?

Ça ne rime à rien …

Bref, on a une nouvelle fois de la communication gouvernementale, concise mais très bien travaillée et qui permet de manipuler une fois de plus l’Opinion publique en toute impunité … Qui, hormis les enseignants, savent que les enseignants n’ont pas du tout été revalorisés de 10 % en fin de carrière ?! On mériterait peut-être de ces tribunes, de ces déclarations claires et nettes dans la dénonciation de ce qui nous est infligé, mais rien de tout cela, malheureusement, pour le plus grand bonheur des membres du gouvernement qui peuvent continuer tranquillement leur communication fallacieuse qui confine souvent d’ailleurs avec la tromperie voire le mensonge.

Cela à une période où TOUS les syndicats semblent avoir passé l’éponge sur ces stratégie de manipulation des « 10 % pour tous les enseignants » (voir publi sur la concertation sur le métier enseignant, ou celle sur la table ronde avec les députés), fomentée rappelons-le par Macron en personne, à des fins d’abord électorales (présidentielles et législatives), mais permettant aussi de tromper l’Opinion publique et les médias, rendant par la même toute revendication salariale enseignants inaudible, tuant dans l’œuf de fait toute velléité de blocage de la rentrée de septembre …

Bon, si les syndicats avaient voulu dénoncer l’évidence de cette manipulation (on le savait dès le début avec l’article de l’Obs, avec d’autres confirmations qui ont suivi, voir … une trentaine de publis) les choses auraient pu évoluer autrement, mais nous avions alors plutôt eu droit à un aveuglement syndical collectif, permettant aux syndicats de se complaire dans leur posture habituelle concernant la question salariale : l’attentisme !

Mais j’imagine que toutes ces « négligences » ne sont dues qu’à de « trop faible nombre de syndiqués » ... ou à « l’individualisme des enseignants »… que sais-je encore qui sortira une nouvelle fois de l’imagination de certains de nos représentants/délégués syndicaux …

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