Eric SAIZEAU

Abonné·e de Mediapart

57 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 juin 2025

Eric SAIZEAU

Abonné·e de Mediapart

Les manipulations sur les dépenses d'Education : la Cour des Comptes

Eric SAIZEAU

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Publi que j’ai voulue la plus courte et pédagogique possible pour illustrer – expliquer – les manipulations auxquelles la Cour des Comptes (CC) participe sans aucun scrupule, si l’on peut dire. Une manipulation consistant à présenter des budgets - alloués au système éducatif - qui sont gonflés artificiellement. C’est ce qu’elle vient de refaire avec le dernier rapport sur l’enseignement du primaire. Mais je suis tombé sur un précédent rapport, sur lequel d’ailleurs elle s’appuie en partie dans son dernier, et qui permet je pense de mieux expliquer le stratagème.

Donc sur l’image 1 nous avons le tableau comparant à euros courants – sans prise en compte de l’inflation -  les évolutions des budgets pour différentes « missions » de l’enseignement scolaire.

Illustration 1

Et là, c’est flagrant, comme le souligne les commentaires de la CC (image 2) : le public, surtout le budget du premier degré, a subi des augmentations indécentes … « deux fois plus que pour le secteur privé sous contrat » !!

Illustration 2

Alors il y a plusieurs explications justifiant des augmentations de budget. Mais THE explication, l’explication principale, vous ne la trouverez JAMAIS écrite dans un document de la CC, ni même de l’INSEE, de la DEPP … et évidemment dans aucune publication du MEN. Cette explication est volontairement et systématiquement « omise » de toutes les publications de ces organismes depuis je dirais au moins 10 ans, et encore il faut chercher dans des documents plutôt réservés aux spécialistes.

Et pourtant dans ce rapport la CC liste toute une série d’éléments qui expliquent des augmentations à la hausse. En faisant d’ailleurs remarquer que lorsque la CC parle de « revalorisations », elle fait comme le gouvernement, elle omet de la préciser au regard de l’inflation. Evidemment.

Bref, l’explication principale :

Pour simplifier, depuis 2006 les budgets des différentes missions de l’Etat, dont celles des « dépenses d’Education », sont données avec des cotisations retraites. En fait cela était le cas avant, mais avec un gros changement. Avant il y avait un taux approximatif, appliqué au traitement indiciaire, qui devait correspondre à ce que les cotisations du fonctionnaire lui rapporteraient comme droits à la penskon. Logique. Dans le privé, c’est le cas on va dire par construction et approximativement, et  c’est environ 28 % du salaire brut pour les cotisations salariés + employeurs.

En 2006, voici comment l’Etat a calculé son taux de cotisation qu’il allait alors appliquer à TOUS ses (vrais) fonctionnaires :

- il part du montant prévisionnel TOTAL des pensions à payer pour TOUS les fonctionnaires de l’Etat.

- il en retranche les cotisations prévisionnelles des salariés (11,1 % de notre brut actuel, en

 2006 c’était 7,85 %), mais aussi certaines cotisations provenant d’autres administrations publiques, et quelques compensations aux faibles montants relatifs.

- Puis il va répartir ce montant dans ses cotisations employeurs, proportionnellement aux salaires de chaque fonctionnaire. « Proportionnellement », donc via un taux de contribution qui sera le même pour tous les fonctionnaires civils (un autres tau plus important pour tous les fonctionnaires militaires).

Arrivés là, si vous avez bien compris, vous me diriez « rien de plus logique » a priori. En gros ça se passe comme pour les autres caisses de retraites.

Sauf que …

Sauf qu’il y a d’énormes montants, des « surcotisations » qui n’ont rien à voir avec des montants qui correspondraient à des ouvertures de droit de pension. Je n’en donne pas ici le détail pour ne pas alourdir l’ensemble. Il faut juste comprendre (pour l’instant) que lorsque par exemple on parle du budget de l‘enseignement primaire, l’Etat y inclut des montants – énormes - qui n’ont absolument RIEN à voir avec les personnels éducatifs, leurs droits ouverts à la pension. Pire, on a une partie de ces cotisations qui sont même virtuelles. En précisant que ces surcotisations  sont celles qui font débat de la part de politiques et économistes pour des finalités plus ou moins charitables …

Et donc, à la limite, quand on a compris cela on pourrait se dire : bon ok, il y a des surcotisations, ça gonfle donc les montants. Mais au moins ça ne joue pas sur les évolutions de ces budgets. N’est-ce pas ?

D’abord, même si le taux de contribution de l’Etat restait le même, s’agissant de proportionnalité, ces surcotisations augmenteraient de Facon proportionnelle à la masse salariale, en fait à la masse indiciaire. Mais c’est évidemment pire, comme l’illustre l’augmentation constante de ce taux de contribution de l’Etat entre 2006 (49,90 %) et 2014 (74,28 %). Ces surcotisations ont donc augmenté drastiquement entre les deux premières années prises en compte dans le tableau, puis ont donc continué à augmenter avec la masse indiciaire. Et comme beaucoup le savent déjà, ce taux vient de ré augmenter depuis le 1er janvier 2025 (78,28 %).

Ainsi, lorsque par exemple on compare des évolutions des dépenses d’enseignement – publics - on a nécessairement une bonne partie qui n’a rien à y faire, et qui non seulement va les gonfler, mais aussi et surtout va amplifierer ses augmentations éventuelles.

C’est d’ailleurs facile à retenir pour les montants récents, et pour prendre un exemple concernant toujours la CC, et son rapport récent sur l’enseignement primaire : quand elle dit qu’il y a 8,9 milliards de « retraites » des enseignants inclus dans le budget, d’abord elle se « trompe » en parlant « des enseignants » - car loin, très loin de ne concerner que les enseignants – mais surtout y sont inclus près de la moitié, soit dans les 4,5 milliards de surcotisations. Une paille.

Evidemment, ces manipulations – je crois qu’il n’y a pas plus adéquat  permettent alors à la CC de s’indigner du niveau « inacceptable » des élèves du primaire, car « La baisse du nombre et du niveau des élèves s’accompagne, paradoxalement, d’une augmentation continue de la dépense, publique comme privée, consacrée à l’enseignement du premier degré. ». Et j’en passe.

Non seulement la CC ne mentionne pas ces surcotisations, mais elles en profitent cyniquement pour instrumentaliser les augmentations artificielles de budgets produites …

Difficile à croire, non ? Et pourtant on en est bien là. Et ce n’est pas la première fois que la CC pratique ce « jeu », évidemment.

Bref, et pour revenir à notre exemple « pédagogique », et donc au tableau initial.

Une conséquence directe et simple à voir, de ce qui a été expliqué ici, c’est que les évolutions des budgets sont à relativiser fortement. D’autant plus, donc, quand on part de 2012, année où ensuite le taux de contributions de l’Etat allait encore augmenter les deux années suivantes. Mais surtout donc le montant réel du budget !

A propos et sans entrer dans les détails, l’OCDE, qui utilise ces dépenses d’Education dans le cadre de comparaisons internationales, réalise des « normalisations » de cotisations patronales de retraite. Preuve en est, en 2022 la France ne fait alors même pas partie des « 7 pays où plus de 15 % des dépenses de rémunérations des personnels des établissement publics sont consacrées aux cotisations patronales de retraites ». Quand avec ces surcotisations on doit dépasser les 40 % au total … Raison pour laquelle dans ce même dernier rapport la CC reconnait paradoxalement que « en dépit des efforts consentis ces dernières années, notamment à travers le dédoublement des classes pour certains publics dits prioritaires, la France dépense moins que les autres pays dans l’enseignement élémentaire. Par rapport à la moyenne de l’OCDE, on observe ainsi une contribution moindre de l’État (1,3 % du PIB contre 1,5 % en 2020) ». Par contre « à l’inverse de la ressource affectée pour l’enseignement secondaire (2,6 % contre 2,0 %). ». Evidemment, quand on ne compte pas les surcotisations, cela change la donne.

Mais pour en revenir à notre exemple, le « meilleur » pour la fin ! Car quelle comparaison la plus trompeuse, manipulatoire, peut-on faire, quand on a compris les points précédents ?

C’est de donner pour comparaison des budgets d’enseignement public – qui contiennent donc ces surcotisations – avec celui de l’enseignement privé – qui n’en contiennent pas, ou de façon dérisoire.

Car nos collègues du privé cotisent à la CNAV, pas à la « caisse » de l’Etat. Leur taux de cotisation global appliqué qui est donc d’environ 28 % actuels n’aura que très peu évolué (un peu moins de 27 % en 2006) ! Il est donc complètement normal que le taux d’augmentation du budget correspondant soit bien inférieur à celui des enseignements primaires … ce que donc, évidemment, la CC n’aura jamais expliqué, ne l’a jamais fait, et ne le fera jamais.

Sauf si … ?!

Le rapport dont est issu le tableau : Rapport Cour des Comptes juillet 2023

PS : - Ne pas hésiter à poser des questions le cas échéant, il est vraiment important de comprendre ce qui est expliqué ici, dans un premier temps.

- Toujours pas de réaction syndicale – aucune – sur ce sujet de l’instrumentalisation des surcotisations pour gonfler les dépenses publiques. Toujours pas d’explications à ce silence.

- Elaboration en cours d’une publication exhaustive avec chiffrage. On parle d’éléments qui devraient constituer un argument primordial des syndicats pour contrer non seulement les mesures délétères qui seront annoncées en juillet, mais surtout pour négocier un rattrapage salarial.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.