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Billet de blog 21 septembre 2024

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Simulateurs des pensions des fonctionnaires/enseignants : la tromperie implicite

A partir du moment où la méthode de calcul de la future pension des fonctionnaires est connue, et que le gel du point d’indice (PI) perdurera sous les gouvernements libéraux, il y a une conséquence importante - en fait une erreur systématique - qui apparait évidente sur les montants prévisionnels des futures pensions donnés par les simulteurs. Pourtant, il n'y a jamais d'indication dans ce sens.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une première chose importante à remarquer, d’autant plus qu’il est extrêmement surprenant de constater qu’il n’y a jamais d’indication à ce sujet dans les simulateurs.

 « Les montants estimés par les simulateurs sont-ils en euros actuels/courants, ou bien en euros au moment du versement de la première pension (donc qui seraient « actualisés ») ? »

D’aucuns diront que « la question, elle est vite répondu » !

Car pour que les montants estimés puissent l’être en euros au moment de la retraite, il faudrait que les inflations  (ou indice des prix …) des futures années – voire mois ! – soient connues, ce qui est évidemment impossible. Et s'il y avait une estimation faite de cette inflation, cela serait nécessairement indiqué, avec les valeurs utilisées.

Ce sont donc évidemment des montants en euros actuels/courants qui sont donnés. Et donc cela n’est pas précisé pour autant.

Et là vous me dites : si c’est évident que c’est en euros actuels/courant pourquoi se prendre la tête, puisque cela est donc valable pour tout le monde, et même d’ailleurs pour les salariés du privé ?

Justement parce qu’entre les estimations des montants de pensions des fonctionnaires, et celles d’un salariés du privé, cela occasionnera une grosse différence de fiabilité. Et spoiler : au détriment évidemment du fonctionnaire.

Prenons l’exemple de ce qu’il se passe pour le privé :

Comme la plupart le sait, le calcul de la pension s’effectue à partir des 25 meilleures années de salaires, primes et indemnités comprises (avec quelques exceptions). Supposons qu’un salarié fasse une estimation de sa pension pour un départ dans 10 ans. J’imagine que, comme pour les fonctionnaires, on lui demandera une estimation du salaire de départ, avec possiblement plus de détails, et pourquoi pas même année par année puisque cela affinerait d’autant plus l’estimation. Dans le calcul seront nécessairement prises les 15 meilleures années, déjà connues, au moment de la simulation, déjà connues. Concernant les 10 années restantes, elles seront donc, en général, celles qui sont à venir, et dont les rémunérations seront donc approximativement données (en euros actuels) par le salarié. Le logiciel va ensuite effectuer un calcul avec ces 25 meilleurs années, en prenant évidemment en compte les paramètres de calcul de la pension (nombre d’annuités, âge de départ etc).

Je passe sur les étapes d’actualisation (conversion en euros actuels) des salaires (les 15 meilleures années connues).

Ce qu’il faut donc surtout comprendre, c’est que le montant donné sera une estimation d’autant plus précise que les rémunérations des dernières années, supposément les meilleures, auront été données avec le plus de précision. Et quasiment uniquement de cela, pour une raison simple : les salaires du privé suivent – au moins ! – l’inflation. Même s’il y a parfois des périodes d’adaptation, on sait qu’en moyenne les salaires du privé  depuis très longtemps sont revalorisés au-dessus de l’inflation. En conséquence on pourra donc considérer que l’estimation donnée sera même un peu en-deçà de la valeur réelle.

Donc si le simulateur donne un montant de 2000 € de pensions nette pour la retraite, ces 2000 € correspondent donc à 2000 € actuels. Et dans 10 ans, en considérant que tout s’est passé sans énorme surprise – donc surtout avec un salaire plus ou moins indexé sur l’inflation - ces 2000 € actuels correspondront à peut-être 2200 ou 2300 € au moment de la retraite.

On peut faire une estimation chiffrée, avec par exemple comme hypothèse les salaires des 10 prochaines années qui auraient suivi l’inflation, et en considérant une inflation de 1,5 % tous les ans. A la pension estimée de 2000 € actuels correspondra alors dans 10 ans un montant de la future pension, dont le calcul revient à lui appliquer cette inflation.  Le calcul donnant le montant actualisé donc : 2000*1,0015^10 = 2321 € actuels environ.

 Prenons maintenant le cas d’un fonctionnaire, et donc par exemple d’un enseignant :

Comme chacun ici normalement le sait, la méthode de calcul pour les enseignants (et tout autre fonctionnaire, avec quelques variantes parfois) est radicalement différente : le montant brut de la pension se calcule en prenant 75 % du dernier traitement indiciaire (TI) avant le départ à la retraite, et perçu pendant au moins 6 mois. Ensuite on applique des paramètres de façon comparable à un salarié du privé.

Et cela change absolument TOUT dans la précision de l’estimation des futurs montants. Pour deux raisons essentielles :

- De tous les salaires perçus pendant notre carrière, seul donc comptera donc ici le dernier traitement indiciaire pour le calcul.

- Le point d’indice n’est plus, comme chacun le sait,  revalorisé – sauf exceptions où il l’est très partiellement (comme lors de cette période d’inflation exceptionnelle ces dernières années) - puisque les gouvernements successifs appliquent un quasi gel indiciaire permettant d’énormes économies au niveau justement des futurs montants de pensions. Sans même donc parler du tassement salarial appliqué sciemment par les gouvernements, sans que cela soit clairement dénoncé par nos syndicats, qui fait du métier d’enseignant LE métier (de la FP) qui aura été le plus déclassé et permettant, rappelons-le, la revalorisation d’autres catégories de fonctionnaires.

En conséquence les montants estimés par les simulateurs (de l’ENSAP ou d’autres) des futures pensions donnent des résultats erronés qui ne correspondront donc pas, comme cela devrait l’être, à des sommes actuelles.

Mais prenons un exemple :

Un collègue actuellement à l’échelon 3 HC, avec donc un TI de 3313 € bruts actuels. Il veut estimer sa retraite pour dans 10 ans. Sur le simulateur de l’ENSAP est indiqué par défaut l’échelon actuel.

Avec donc cette petite parenthèse : « oui », à la question posée dans une précédente publi, il faut en première idée en tout cas, mettre l’échelon prévu a priori d’avant départ à la retraite.

Le collègue met donc l’échelon qu’il prévoit, et on va considérer qu’il s’agira du dernier échelon de la HC, soit indice 826, soit 4066 € bruts actuels.

Si on considère que le collègue est dans un cas classique et a tout validé pour avoir sa retraite à taux plein, le simulateur va alors donner comme montant prévisionnel de la future pension de 4066 * 0,75 = 3050 € bruts environ, et surtout ACTUELS. Soit environ 2772 € nets.

Or, et c’est donc le point important à comprendre, ce montant donné, donc en euros actuels, ne serait fiable uniquement si PI serait ensuite revalorisé à hauteur de l’inflation.

Et évidemment, ce « détail », cette indication pourtant essentielle n’est absolument pas mentionné dans le simulateur.

On a par exemple :

« La simulation est délivrée en l'état actuel de la réglementation et des données présentes dans votre compte. »

Avec, bien évidemment : «  Elle ne prend pas en compte les règles qui pourraient s'appliquer dans le futur système universel de retraite. Elle n'engage pas le Service des Retraites de l'Etat. »

Mais, et vous pouvez chercher, RIEN sur l’effet d’une non revalorisation du PI à hauteur de l’inflation sur la fiabilité du montant estimé, censé pourtant être à euros actuels.

Mais alors quelle différence cela aura-t-il concrètement sur les montants de la future pension ?

Considérons que le point d’indice ne sera pas revalorisé du tout pendant ces 10 prochaines années, avec la même inflation de 1,5 % par an. Si le collègue atteint bien l’échelon prévu, le montant correspondant de 4066 € bruts n’aura pas changé. Le montant de pension prévisionnel qui était censé être « actuel » 10 ans auparavant serait alors le même au moment de la retraite, et son montant correspondant à nos euros actuels serait de : 3050 * 1,015^-10 = 2628 € bruts environ, actuels. Soit 2389 € nets actuels.

Soit près de 400 € nets de différence avec le montant prévu initialement par le simulateur.

Une conclusion :

Les montants indiqués par les simulateurs pour la retraite de base des fonctionnaires, et donc des enseignants, sont donc nécessairement erronés, à partir du moment où ils correspondent donc à des montants en euros actuels, et donc nécessairement supérieurs à ce qu’ils devraient être. Les simulateurs pour les salaires du privé sont bien plus fiables de par la différence du système de calcul des pensions, et du fait que les salaires suivent généralement – et cela continuera - au moins l’inflation, contrairement au PI qui lui n’est quasiment plus du tout revalorisé.

Sachant cela, l’indication claire du problème de fiabilité des montants estimés devrait apparaitre dans les différents simulateurs, ce qui n’est pas du tout le cas. On pourrait considérer que cela s’apparente ainsi soit à une tromperie volontaire, soit à de l’incompétence.

Mais on peut vraisemblablement considérer qu’il s’agisse surtout d’un des nombreux stratagèmes participant à rendre plus discret la paupérisation des pensions de retraites des fonctionnaires. Imaginez en effet s’il était bien indiqué cette indication :

« En raison de l’ « incertitude » (sic) de revalorisation future du PI, les montants estimés avec l’indice prévu au moment de la retraite par ce simulateur ne peuvent être fiables. De plus une non revalorisation du PI, ou bien une revalorisation (bien) en-deçà de l’inflation lors des années avant la date prévue de retraite, impliquera que le montant donné (en euros actuels) sera toujours surestimé. Ainsi il est conseillé de laisser plutôt l’indice actuel, le montant de pension estimé sera alors un montant un peu inférieur au montant réel ».

C’est que ça la foutrait mal … et cela donnerait une légitimité supplémentaire à « se plaindre » des fonctionnaires que l’Etat préfère évidemment éviter. Ce problème de fiabilité étant en fait l'expression directe de la paupérisation des futures pensions des fonctionnaires.

(voire remarques pour précisions supplémentaires)

A propos, même sans avoir consulté tous les sites syndicaux, je n’y ai pas vu non plus de précisions dans ce sens. Et si tel était le cas, ces informations n’auront pas eu la visibilité qu’elles méritent.

Bref, à partir du moment où le PI n’est pas revalorisé, ou alors bien en-deçà de l’inflation quand elle est importante, le montant réel (et en euros actuels) de la future pension dépendra fortement des futurs niveaux d’inflation. Avec des niveaux d’inflation qui seraient assez élevés (par exemple 2 % annuels en moyenne) et avec gel du PI, on peut considérer que le montant de la future pension sera plus proche de celle avec l’indice de l’échelon actuel. Et en tout état de cause, bien inférieure au montant estimé avec l’indice de départ à la retraite prévu, en euros actuels.

Remarques/compléments :

- il y a à rajouter le complément de retraite de la RAFP. Les montants donnés par les simulateurs donneront des montants actuels bien plus fiables, puisqu’il s’agit d’un système par capitalisation, et que le calcul consiste notamment à actualiser tous les montants de primes/indemnités pris en compte.

- si on se fie au rapport du COR de juin 2024, on trouve les hypothèses communiquées par le ministère des finances concernant l’évolution des rémunérations des fonctionnaires, notamment du PI. On sait depuis déjà plus d’un an que le gouvernement avait donc officiellement prévu la continuité du gel du PI jusqu’en 2027. Ensuite ce PI est censé suivre l’inflation (avec un exceptionnel surplus de 0,1 % !), jusqu’en 2032. Puis il devrait suivre l’inflation jusqu’en 2037. Des hypothèses d’autant plus incertaines que cela dépendra évidemment exclusivement des prochains gouvernements.

- évidemment, plus la retraite est lointaine, et plus la simulation donnera des montants supérieurs aux « vrais » montants. De la même façon, moins l’inflation sera importante les prochaines années, moins le montant prévu sera surestimé.

- cette paupérisation des montants des futures pensions est donc valable pour la très grande majorité des fonctionnaires, avec ce que l’on peut considérer comme étant une acceptation tacite des syndicats de fonctionnaires. Cela découle d’une volonté politique de réduction de la masse des pensions des fonctionnaires (mais aussi de la masse salariale évidemment), avec donc une stratégie de revalorisation des fonctionnaires par primes/indemnités exclusivement, plutôt donc qu’en indiciaire. Les projections du COR montrent ainsi une réduction constante de cette masse des pensions (avec aussi une baisse constante des effectifs) jusque dans les années 2070, et cela depuis de nombreuses années.

- La différence entre les enseignants et les autres fonctionnaires (surtout cat B, autres cadres A, et A+), c’est que leurs niveaux de salaire auront été plus ou moins maintenus depuis plus de 30 ans par ces primes/indemnités, quand les enseignants auront été constamment paupérisés, sciemment, pour pouvoir ainsi permettre l’application d’une autre stratégie simple : à masse salariale plus ou moins constante (pour un effectif donné, engagement de l’Etat depuis le début des années 80), de revaloriser d’autres catégories de fonctionnaires (revalorisations dites « catégorielles »). Et avec le gel du PI en 2011 par Sarkozy, les choses se sont évidemment empirées. Là aussi, on peut considérer que cela est fait avec l’accord tacite de nos syndicats, puisqu’il n’est jamais question de ce qui devrait être la « lutte contre notre déclassement salarial imposé par les gouvernements », tout au plus parle-t-on de la « question salariale », et sans qu’elle ne soit jamais prioritaire.

- il faut aussi (re)préciser le point suivant, pour « les moins sensibles aux chiffres » (oui je pense à vous !) : ce n’est pas parce qu’il y aurait revalorisation du PI, que les montants prévus seraient plus précis, puisqu’il faudrait alors voir la différence qui résulterait entre cette revalorisation et l’inflation. Par exemple entre janvier 2021 et juin 2024, l’inflation aura été d’un peu plus de 14 %. Avec une revalorisation d’environ 5 % du PI, donc évidemment bien en-dessous de cette inflation, et un ajout de 5 PI aux TI des fonctionnaires au 1er janvier 2024. Il y aura ainsi eu une perte d’un peu plus de 8 % du PI par rapport à cette inflation pour les fins de carrière. Pour cette seule période tout futur retraité aura ainsi perdu 8 % en estimation de sa future pension par rapport aux estimations qui auraient été faite avant cette période.

- d’aucuns diraient, comme cela s’est souvent vu ici : « on n’a de toute façon pas à se plaindre, notre système de calcul est bien plus avantageux que dans le système privé ». Or, cela est de moins en moins vrai, et même faux dans de plus en plus de cas, du fait de l’augmentation du taux de primes/indemnités – non prises en compte dans le calcul de la pension – dans la rémunération totale (finale) des fonctionnaires, et donc des enseignants - comme dernièrement avec le doublement de la prime ISAE/ISOE, au lieu d’une revalorisation indiciaire. Cela a été démontré dans plusieurs études, notamment du COR et de la DREES. Cela explique aussi, en tout cas en partie, pourquoi le gouvernement n’aura pas insisté pour aligner, comme cela était initialement prévu, le système de calcul de la pension du public sur le système du privé …

- ce problème de fiabilité, qui est donc le reflet direct de la paupérisation des futures pensions des fonctionnaires, a un équivalent concernant notre « paupérisation salariale indiciaire », qui est donc implicitement liée aussi à nos futures pensions : l’augmentation croissante ces dernières années de la GIPA. Plus les montants de la GIPA sont élevés, plus cela signifie que les pertes en niveaux de salaires indiciaires auront été importants. Concernant la « GIPA 2024 », son budget devrait ainsi être le plus élevé jamais vu, mais son versement n’est pas du tout certain, et est justement censé être décidé en ce mois de septembre. Voir publis correspondantes pour plus de détails (avec calculateur).

- sans vouloir polémiquer, mais pour simplement illustrer les « quelques variantes » quant au calcul de la pension des fonctionnaires : les fonctionnaires de la police nationale cotisent non seulement sur leur TI, mais aussi sur leur plus grosses primes, l’ISSP (un peu moins de 30 % de leur TI). Ainsi l’application du calcul de leur pension se fait sur la base (TI+ISSP) plutôt que du seul TI pour la majorité des autres fonctionnaires.

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