Un rappel de ce qu’il s’est passé à partir d’avril, et particulièrement à partir du 20 avril, date du débat du second tour des présidentielles. Par contre, avec la présentation récente du budget de l’ « enseignement scolaire » pour 2023, on se rend compte que ce scandale se fait finalement en deux actes :
1) De avril à septembre : faire croire aux « 10 % pour tous les enseignants »
Macron a fomenté une stratégie de manipulation, au sujet du fameux environ « 10 % » de revalorisation inconditionnelle pour les enseignants, dans le but de faire croire qu’il sera question de 10 % de revalorisation EN PLUS pour TOUS les enseignants. Cela a été motivé par l’échéance des élections présidentielles : il fallait un argument à la hauteur de ceux de ses challengers, qui eux – quasiment tous - annonçaient des revalorisations conséquentes pour les enseignants.
Et cette stratégie aura été très largement rentabilisée ! En effet cela lui a permis, en plus :
- de récupérer quelques milliers de voix enseignantes de façon mesquine, que ce soit pour les présidentielles ou pour les législatives.
- d’instrumentaliser les médias qui, après que Macron a bien réussi son numéro de dupe, ont bien – dans leur grande majorité, titré « TOUS les enseignants seront revalorisés de 10 % » …
- d’ainsi tromper l’Opinion publique en générale, faisant passer les enseignants pour des futurs « choyés », les rendant ainsi inaudibles quant à d’éventuelles revendications au sujet des salaires …
- d’assurer une rentrée des enseignants paisible, sans appel à la grève, puisque de toute façon les syndicats se sont laissé avoir, malgré les preuves évidentes de cette manipulation.
Quelles sont ces preuves ? les interventions/déclarations de Macron qui ont suivi le débat (interview sur France Inter le 22 avril, devant les recteur le 25 aout, puis le mail envoyé au personnel enseignant), celle de Montchalin (surtout sur Public Sénat), et plus récemment celles de Pap N’Diaye. Macron et Montchalin ont utilisé une rhétorique trompeuse et des stratagèmes divers pour ne pas avoir à reconnaître que non, TOUS les enseignants n’auraient pas 10 % en plus. En fait ils n’ont donc pas vraiment menti, ils étaient de manière évidente dans la manipulation. Concernant Pap N’Diaye, dans un premier temps il a plus caché volontairement, que tenté de tromper. Pas encore le niveau … mais récemment il se met à mentir, faisant croire par exemple sur LCI que « la revalorisation (inconditionnelle) pourrait atteindre, pour des enseignants avec 5 ou 6 ans de carrière, les 14 %, et sans utiliser le futur antérieur …
Mais la preuve irréfutable, c’est l’interview de l’équipe de campagne de Macron par des journalistes du Nouvel Obs, le 22 avril, et qui ne laissa alors plus aucune place à quelqu’ambiguïté que ce fut : il était bien prévu, en fait, une troisième prime Grenelle pour rehausser le salaire des échelons 2 à 2000 € nets. Et à l’époque, il manquait 131 € à cet échelon pour y arriver. Concernant les 10 %, il est apparu de plus en plus évident que, en décryptant la rhétorique de Macron, il s’agissait d’une moyenne qui prenait en compte TOUT ce qui AURA ETE rajouté aux « salaires nets » (en fait traitements de base + ISOE/ISAE + prime informatique), pour arriver à ces 2000 € nets.
Et le pire, c’est que ces « environ » 10 % incluront alors la revalorisation du point d’indice ! Car ces 3,5 % ont bien permis de se rapprocher des 2000 € nets …
Ainsi ce que Macron a fait est un véritable scandale. Mais ce n’est que la première partie en fait, d’un scandale plus global.
2) Depuis septembre : continuer à instiller le doute pour démobiliser
Imaginons que le budget présenté ait été « sincère ». C’est-à-dire un budget qui présentait une revalorisation inconditionnelle en année pleine d’environ 300 M€ (400 grand max), donc ce qu’il manque réellement pour atteindre les 2000 € nets échelon 2, sous la forme d’une troisième prime Grenelle. La supercherie aurait donc été complètement révélée ! Y aurait-il eu alors un réel début d’indignation, et donc de réelle mobilisation possible des enseignants ?! On ne le saura jamais …
Car le budget présenté est de 1,9 Mds année pleine ! Ce qui correspond à peu près à 8 % en moyenne de revalorisation des « salaires » des enseignants, si par « salaires » on entend les traitements indiciaires … 8 % de la part d’un banquier, ça équivaut bien à 10 %, non ?!
Et, comme par hasard, si on inclut les 500 M€ de cumul des primes Grenelles 1 et 2 pour les enseignants, les environ 1,1 Mds€ de revalorisation du point d’indice pour les enseignants, on arrive à 1,6 Mds, et il manque ainsi … 300 M€ pour compléter ce budget ! Voir graphique joint en commentaire pour une compréhension visuelle.
Le budget présenté est donc bien évidemment présenté de façon « insincère », et même carrément trompeuse, il inclut TOUT ce qui a déjà été versé de façon « inconditionnelle », ce qui ne serait pas la première fois. Mais ce serait une première dans un but de tromper les enseignants pour leur faire croire à des augmentations de salaires qui n’auront jamais lieu, avec des sommes aussi importantes en jeu !
3) Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ?
Macron pourrait-il avoir changé d’avis et décidé de dépasser allègrement les 2000 € nets prévus depuis avril ? Bien sûr que non, c’est absolument inimaginable, et si tel avait été le cas, tout aurait été bien sûr explicité de façon claire.
On pourrait aussi supposer que la revalorisation ne serait pas dégressive, mais avec environ le même montant pour les enseignants concernés, c’est-à-dire de l’échelon 2 jusqu’à l’échelon 10 ou 11. Par exemple, 75 € nets pour tous ces échelons ? Si on suppose que cela correspond à 65 % des enseignants, on aurait alors : 75/0,85 * 12*870000*0,65 = environ 920 M€. Soit la moitié du budget annoncé.
Pourrait-on croire que Macron aurait décidé d’augmenter de façon progressive les échelons à partir de l’échelon 2 ? Là encore c’est inimaginable, et cela contreviendrait avec la stratégie évidente de tassement des traitements indiciaires, initiée depuis probablement Sarkozy, et continuée rigoureusement par Macron depuis la première prime Grenelle … d’ailleurs, augmenter les enseignants du même montant contreviendrait là encore à cette stratégie. Il y a d’ailleurs déjà eu une augmentation par montants croissants des enseignants, c’était avec le dégel du point …
Bref, il ne fait absolument AUCUN DOUTE que le budget présenté est trompeur, « insincère », pour continuer d’instiller le doute en vue de démobiliser le plus possible sur ce sujet de la revalorisation. Cette tromperie historique est à la hauteur des économies que Macron réalisera sur le dos des enseignants : plus de 1,5 Mds par rapport au budget annoncé.
Comment est-ce possible ? Il s’agira vraisemblablement de jouer sur la refonte prévue de la grille indiciaire. On aurait une manip consistant à « annuler » d’une certaine manière ce qui aurait été versé depuis la première prime Grenelle, au 31 aout 2023, pour créer un nouveau budget au 1° septembre … cela semble être la seule possibilité pour avoir une telle présentation trompeuse.
4) La stratégie de tassement de la grille indiciaire
C’est d’ailleurs probablement le point principal à comprendre : Macron ne déviera plus jamais de cette stratégie de tassement de la grille indiciaire, car elle permet de faire d’énormes économies : directement par la masse salariale économisée, ou indirectement – et de façon plus importante – par la baisse induite des montants des futures pensions. C’est d’ailleurs probablement la raison principale pour laquelle les budgets ne sont jamais présentés avec « CAS » (budget de pensions), les économies faites sur le dos des enseignants seraient trop évidentes (réaction des syndicats sur ce sujet ?) …
Une stratégie qui amène à un déclassement complet du métier d’enseignant, en supprimant finalement progressivement les gains du passage à l’ancienneté. Car jusqu’à maintenant, le passage d’échelon permettait de ne pas perdre en pouvoir d’achat, et de gagner un peu en niveau de salaire. Ainsi, revaloriser les débuts de carrière, et laisser l’inflation écrêter les fins de carrière permettait un tassement de la grille indiciaire, à la fois forcée, et « naturelle », mais à un rythme assez lent et, donc, sans perte en pouvoir d’achat.
Mais nous sommes dans une période d’inflation exceptionnelle, et cela change la donne. D’ailleurs il faut prendre conscience de la forte augmentation à venir de cette inflation dès janvier 2023, avec le plafonnement tarifaires des énergies (gaz, électricité …) à 15 % au lieu des seulement 4 % de l’année précédente. Pour rappel la France a été préservée d’une trop forte inflation grâce à ce bouclier tarifaire, qui a évité une augmentation des prix de l’énergie qui aurait dû atteindre les 100 % !
Que change cette forte inflation par rapport à cette stratégie de tassement des traitements indiciaires dont le gouvernement ne veut absolument pas s’écarter ? Elle permet simplement de l’accélérer. Et en parallèle cela a accéléré aussi l’objectif des 2000 €, dont l’échéance était plutôt initialement (certainement en début du premier quinquennat) prévu pour 2026.
Mais ce n’est pas tout, car deux menaces – pour ne pas dire deux certitudes - planent : d’abord la non reconduction de la GIPA, l’indemnité qui permet de compenser les pertes éventuelles en pouvoir d’achat des fonctionnaires. Il y avait engagement du gouvernement à reconduire cette indemnité pour les années 2021 et 2022, mais pas pour les années suivantes. Et c’est ce qui sera(it) la pierre angulaire de la stratégie de manipulation de Macron, associée au deuxième point : la non revalorisation du point d’indice , la loi de programmation ne prévoyant qu’une augmentation de 0,1 % par an sur le deuxième quinquennat … ainsi ces concours de « circonstances » permettront de faire réellement d’énormes économies, en n’ayant pas à compenser les grosses pertes en pouvoir d’achat. Une grande partie des fonctionnaires – et surtout, donc, les enseignants – seront ainsi les premiers à financer les boucliers tarifaires …
5) Les réactions syndicales : toujours en deçà au regard de la réalité des choses
Et le problème, le gros problème qu’une majorité semble sous-estimer, c’est que les syndicats se complaisent dans une attitude qui confine à la schizophrénie. Ou au en même temps : le budget NE PEUT PAS correspondre à ce que les enseignants recevront, mais ils font comme si cela pouvait être le cas. Ainsi on a généralement de timides récriminations du genre « le budget est en deçà des revalorisations qui étaient prévues » devant les médias. Alors certes il y a aussi « la tromperie de la revalorisation prévue » et même des suspicions de « manœuvres à des fins électorales » pour le plus virulent, mais … ça reste à l’écrit seulement, et pas dans les déclarations officielles …
En tout état de cause, ça reste bien en-deçà de la réalité. Voici ce que pourrait être la communication des syndicats pour en être à la hauteur :
« E. Macron a trompé tout le monde depuis le mois d’avril au sujet de la revalorisation inconditionnelle prévue, en utilisant une stratégie de communication trompeuse, appliquée de la même façon par les membres du gouvernement, dont A. De Montchalin.
Il a ainsi trompé ses adversaires à la présidentielle avec un faux argument, fait croire à l’Opinion publique et aux enseignants qu’ils allaient être « choyés » « une fois de plus », a instrumentalisé les médias pour faire croire à « 10 % pour tous les enseignants » en janvier 2023. Or, la réalité sera une troisième prime Grenelle, compensant l’inflation pour le tout début de carrière, et rien pour les fins de carrière, avec de fortes pertes en pouvoir d’achats pour la grande majorité des enseignants.
Cette manipulation a rendu inaudible toute contestation enseignante au sujet des salaires, et a permis de démobiliser les enseignants, en évitant ainsi, par exemple, un blocage de la rentrée scolaire qui aurait pu être provoqué par des annonces clairement trop faibles concernant la réalité des revalorisations à venir. Cette façon de traiter une grande partie des fonctionnaires au service de la Nation est indigne d’un président de la République.
Pire, concernant cette revalorisation inconditionnelle E. Macron a présenté un budget 2023 de façon trompeuse, en vue de laisser persister un doute concernant la réalité de la revalorisation, dans un même but de démobiliser les enseignants, mais aussi de continuer à faire croire à l’Opinion publique que les enseignants seront bien revalorisés en septembre 2023, avec un « investissement conséquent » de la Nation (A de Montchalin sur Public Sénat), quand il s’agira en fait de l’exact contraire : dans un contexte inflationniste exceptionnel, l’Etat fera d’énormes économies avec une simple troisième prime Grenelle dérisoire.
Cette façon de traiter les enseignants est inadmissible et dénote un cynisme inacceptable de la part de celui qui, devant les médias, ne cesse de faire croire qu’il « sait ce que lui et la Nation doivent aux enseignants » (sur France inter le 22 avril, entre autres). Ainsi E. Macron semble prêt à toutes les bassesses pour continuer à faire des économies sur le dos des rémunérations des enseignants, alors qu’il fait croire le contraire à l’Opinion publique. Les enseignants n’ont eu de cesse de perdre en niveaux de salaires depuis plus de 25 ans, et avec E. Macron, ils n’auront jamais perdu autant. Ce gouvernement applique en fait une stratégie de tassement des traitements indiciaires, consistant à ne revaloriser que les débuts de carrière (et à un niveau restant trop faible) en délaissant les milieux et fins de carrière, ce qui a pour effet non seulement de pouvoir continuer à faire des économies sur la masse salariale enseignante, mais surtout de paupériser la profession, les futures pensions, et en obérant toute perspective d’évolution salariale à l’ancienneté.
Les annonces racoleuses sur la revalorisation des débuts de carrière ne sont donc qu’une façade destinée à tromper la réalité des perspectives salariales des enseignants, en constante dégradation. Cette stratégie les amène actuellement à des rémunérations moyennes de personnels de catégorie B, quand ils sont officiellement des cadres A …
Pourquoi une telle déconsidération, un tel mépris pour les enseignants ? »
Ca aurait de la gueule, non, de révéler la réalité de la supercherie inadmissible encore en cours, non ? Ca motiverait peut-être davantage les collègues à se syndiquer et à se mobiliser, n’est-il pas ?
En tout cas pour l’instant on est dans le mou. Apparemment c’est trop difficile de mettre le gouvernement devant ses responsabilités, de lui intimer de dire la vérité, CLAIREMENT- sur la réalité de ce qui est prévu. Même si, en fait, c’est déjà évident ! Bref, il faut ouvrir les yeux : sur cette question des salaires, de cette manipulation qui n’a que trop duré, les syndicats ne peuvent pas rester sur une communication aussi tiède, ne peuvent pas se complaire dans une expectative qui n’a plus aucune justification ! Il faut montrer au gouvernement que la supercherie est dévoilée, que cela ne saurait être impuni, de par au moins, dans un premier temps, le fait de la révéler CLAIREMENT !
On verrait alors ensuite le champ des possibilités … qui sera certainement plus important que si cette communication molle et cette attitude attentiste persistait ! Quand on voit la virulence des porte-paroles de syndicats de la grève en cours … « La CFDT a trahi les travailleurs » … « connivence entre les syndicats signataires et la direction générale et le gouvernement ». Et plus tôt un autre représentant syndical qui expliquait comment Total, avec 10 milliards de bénéfices, privilégiait les actionnaires plutôt que d’augmenter ses travailleurs … c’est beau quand les choses sont dénoncées, clairement. On est indignés et on a d’autant plus envie de rejoindre le mouvement.
Alors par contre, concernant les syndicats enseignants, comment dire … on est sur une autre planète. Un autre niveau. Celui des bisounours, en comparaison. Et ça ne risque pas d’indigner ni de mobiliser les autres collègues …
6) A propos du graphique
Mise à jour d’un graphique précédent où les valeurs n’étaient pas celles spécifiques à la revalorisation inconditionnelle des enseignants, et avec des « marches » correspondant aux revalorisations des derniers échelons concernés.
C’est bien sûr très approximatif, pour avoir plus de précision il faudrait au moins connaître les effectifs pour chaque échelon. Les syndicats auraient semble-t-il accès à ces infos, ils pourraient probablement faire quelque chose de plus réaliste ? En tout cas les montants des budgets sont, jusqu’à preuve du contraire, les bons. Les 3,5 % de dégel du point sont bien comptés dans ces « environ 10 % de revalorisation inconditionnelle », tout comme les deux premières primes Grenelle, comme le confirmait récemment un article de « Challenge ». Mais pas la prime informatique, par contre elle compte dans les montants additionnés pour atteindre les 2000 € nets.
Concernant les 1,1 Mds de dégel du point : obtenus proportionnellement à partir de la masse salariale enseignante et la masse salariale totale enseignement scolaire, pour laquelle le dégel a coûté 1,7 Mds. Ca reste bien sûr approximatif - mais à la marge - puisque les primes ne sont pas concernées par ce dégel.
Concernant les 1700 € nets : le traitement indiciaire avant dégel, auquel on a rajouté la prime ISAE (car légèrement plus faible que l’ISOE).
La réalité du budget 2023 de la revalorisation inconditionnelle des enseignants