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Billet de blog 27 août 2025

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2 - Explications détaillées des surcotisations et de leur instrumentalisation

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En avril 2024 un économiste révélait dans un article du Monde - resté discret – que les dépenses publiques étaient gonflées par des surcotisations de pensions qui n’avaient rien à voir avec les services concernés. Ensuite pendant une période comprise environ entre novembre 2024 et mars 2025, d’autres économistes ont déterré ce sujet. Dont un en particulier – Sylvain Catherine – qui a même proposé une méthode donnant des estimations de ces surcotisations, et donc des niveaux de gonflement de la dépenses publiques d’éducation en particulier.

Enfin le 30 juin dernier l’Institut des politiques (IPP) sortait un travail rigoureux sur le sujet, dans le but d’estimer le montant de ces surcotisations pour tous les services publics. C’est le budget de l’Education Nationale qui comporte le plus de surcotisations, et donc qui a le budget le plus gonflé artificiellement, en pourcentage et en valeur absolue : pour un budget officiel « pensions incluses » de 81,3 milliards d’euros (Md€), l’IPP estime à 10,6 Md€ le montant de ce gonflement, soit un budget réel de 70,7 Md€.

Un travail et des résultats de l’IPP restés là encore très discrets, malgré leur importance, car relayés par seulement 4 articles presse, qui plus est consultables uniquement en ligne pour 3 d’entre eux …

Mais comment cela est-il possible ? D’où viennent ces surcotisations ?

Lorsqu’en général, un salarié et son employeur paient des cotisations de pensions, les montants versés correspondent à des ouvertures de droits pour les futurs montant de retraites que le salarié touchera une fois retraité. Les montants de cotisations versés correspondront peu ou prou et en moyenne aux montants de pensions qui seront perçus pendant la retraite, et ce avec généralement, comme en France, une participation de l’Etat. C’est d’ailleurs - point important – ces montants que l’OCDE demande officiellement aux différents Etats de communiquer pour présenter et comparer ensuite leurs dépenses d’éducation, notamment via leur publication notoire « Regard sur l’Education ».

Concernant les fonctionnaires, c’était à peu près le même principe jusqu’en 2005 avec un taux de cotisation – sur leur seul traitement indiciaire - inférieur à celui d’aujourd’hui, et un taux de contribution de l’Etat (sur l’indiciaire uniquement aussi) qui était de 35,15 %. Les montants que l’Etat devait payer en plus, par exemple pour financer les régimes dérogatoires des catégories superactives de la FPE (militaires, policiers, gardiens de prison …) faisaient l’objet de subvention séparée.

Lors de la présentation des budgets «pensions incluses », ce sont ces montants correspondant aux ouvertures de droits de pensions qui étaient logiquement déclarés, avec une présentation en adéquation avec l’investissement réel de l’Etat français dans son système éducatif. Et donc, au niveau international, en conformité avec les demandes de l’OCDE, rendant ainsi les dépenses d’Education comparables entre elles.

Mais en 2006 l’Etat français instaure le système de comptabilité budgétaire appelé CAS (compte d’affectation spécial), dont le «CAS pensions ». Et cela change tout !

Depuis, et pour simplifier l’explication, plutôt que l’Etat garde un taux de contribution de 35,15 % (« contribution de base ») qui correspondait donc peu ou prou à des ouvertures de droits des fonctionnaires, il ajuste approximativement ce taux de telle sorte que les montants correspondants permettent de payer l’intégralité de toutes les pensions (masse des pensions) des fonctionnaires. Si le taux prévu à l’avance était insuffisant, alors l’Etat verse le complément en piochant dans un fonds virtuel (le solde du CAS). S’il était trop élevé, alors la différence alimente ce fonds.

Les conséquences sont alors importantes, à partir du moment où l’Etat français va choisir de présenter systématiquement ses budgets en incluant les montants de ce « CAS pensions ». Il aurait pu choisir de continuer malgré tout à séparer ses contributions d’ouverture de droits – comme le fait régulièrement remarquer un certains Jean-Pascal Beaufret – mais non, il inclut systématiquement ce CAS pensions.

Il faut alors comprendre une première conséquence : de par cette fixation d’un taux pour les seuls fonctionnaires d’Etat, le montant total des pensions à payer est réparti proportionnellement au traitement indiciaire de tous les fonctionnaires. En fait avec deux taux différents : celui des civils, et celui des militaires, largement supérieur.

Et il faut surtout comprendre la deuxième conséquence suivante : Plus la masse des pensions à financer augmente « anormalement » pour une raison ou pour une autre, plus cela fera augmenter les montants que l’Etat devra compléter en plus de ce qu’il aurait dû pour les simples ouvertures de droits : on aura donc des « surcotisations », correspondant à ce qui est alors payé au-delà des droits ouverts. Et donc plus ces surcotisations, inclus in fine dans les dépenses publiques, augmenteront sans qu’elles n’aient – de lien direct avec les ouvertures de droits des personnels concernés.

A l’instauration de ce CAS pensions en 2006, le taux de contribution (civil) de l’Etat permettant de financer la masse de pension avait été fixé à 49,90 %, soit déjà bien au-delà des 35,15 %  jusque-là utilisés, avec ainsi déjà des surcotisations importantes incluses dans les budgets. Comme on l’aura compris, le montant de ces surcotisations sera d’autant plus important que le taux de contribution Etat fixé sera élevé. Et ce taux n’aura fait qu’augmenter tous les ans entre 2006 et 2013 pour atteindre les 74,28 % encore appliqués avant janvier 2025.

Mais pourquoi une augmentation aussi importante pendant toute ces années ?

De façon générale, il faut comprendre le mécanisme suivant : la masse de pension à financer se répartissant proportionnellement sur les seuls fonctionnaires, plus la masse indiciaire des fonctionnaires baissera par rapport à la masse des pensions à financer – ou plus la masse des pensions augmentera par rapport à la masse indiciaire – et plus cela fera augmenter les surcotisations pour compenser les manques à gagner.

Plus précisément :

a) La privatisation d’Orange (2004) puis celle partielle de La poste (2010) a eu pour conséquences que l’Etat français doive financer de plus en plus « seul » les montants de pensions des retraités – et futurs retraités – de ces entreprises. En effet depuis ces privatisations, non seulement les nouveaux embauchés – de statut de droit privé – ne cotisent plus pour l’Etat, mais les sommes d’argents (soultes) qui avaient été prévues en compensation auront été largement sous-estimées. On en est alors, aujourd’hui au point où l’Etat paie « seul » la quasi-totalité des pensions de ces retraités, ce qui fait donc augmenter ces surcotisations.

b) Le financement de l’Etat concernant certains avantages professionnels (donc professions superactives mais pas que) des fonctionnaires retraités fait augmenter ces surcotisations.

c) La politique de « modération de la masse salariale » - nommée ainsi sobrement par le COR, et qui regroupe :

- Les moindres recrutements d’agents publics en général – surtout chez les enseignants – et donc surtout des fonctionnaires, avec une politique sous N. Sarkozy de non remplacement d’un départ à la retraite sur deux : cela a créé des manques à gagner pour les cotisations et contributions de l’Etat, donc augmentations des surcotisations.

- La politique de contractualisation menée par les gouvernements successifs ou de plus en plus de contractuels sont recrutés à la place de fonctionnaires : en conséquence manque de cotisations/contributions car les contractuels ne cotisent pas pour la « caisse de pension» de l’Etat.

Remarque : des mécanismes dits de « compensation démographique » permettent a priori de procéder à des équilibrages de cotisations d’une caisse de retraite aux autres, lorsqu’un personnel qui cotisait pour une caisse est remplacé par un autre cotisant pour une autre. Mais, comme l’a révélé l’IPP dans son rapport, ces mécanismes sont très mal calibrés et ne permettent pas du tout de compensations suffisantes. Au final cette compensation démographique est prise en charge par l’Etat à hauteur de plus … 18 milliards d’euros.

- Politique de paupérisation indiciaire, accélérée depuis le gel du point d’indice en 2010, créant des manques à gagner tous les ans, et donc des augmentations de surcotisations pour les compenser.

d) Une revalorisation quasi systématique de la masse des pensions au niveau de l’inflation, ce qui creuse l’écart entre les cotisations/contributions récoltées et les pensions à financer.

On peut donc dire que lorsqu’une politique à tendance néolibérale est appliquée, cela fait augmenter mécaniquement ces surcotisations.

Il faut aussi et surtout remarquer que c’est lorsque la masse de pensions avait commencé à augmenter de plus en plus par rapport aux cotisations/contributions, que le CAS pension a été mis en place, permettant ainsi de traduire opportunément et dès le début en dépenses publiques des surcotisations qui n’avaient donc rien à y faire …

Remarques :

- Depuis 2021/2022, alors que l’inflation a été galopante, le point d’indice a été très largement sous revalorisé, quand la masse de pensions des fonctionnaires a continué à être revalorisée au niveau de cette inflation. Cela explique que le taux de contribution de l’Etat, qui n’avait pas changé depuis 2013 a été à nouveau augmenté en janvier 2025 pour passer à 78,48 % pour les civils.

- Point important : lorsque les fonctionnaires sont paupérisés en indiciaire, cela fera baisser les montants de leur future pension. Ce qui signifie que les montants de surcotisations engendrés pour compenser les manques à gagner de cotisations/contribution correspondent en fait à des futures – à moyen et long terme – économies pour l’Etat ! C’est le paradoxe cynique qui permet à l’Etat de gonfler ses dépenses publiques, tout en faisant de plus en plus d’économies à moyen et long terme.

- Si l’Education Nationale est le service public dont les budgets comprennent le plus de surcotisations – en absolu et en relatif - c’est parce qu’elle comporte la plus grande proportion de masse indiciaire par rapport à son budget total. De par le fait qu’elle comporte – encore maintenant – la plus grande proportion de personnels fonctionnaires dans ses effectifs.

Ainsi, et pour résumer les conséquences de l’instauration – et de l’instrumentalisation – de ce CAS pension : plus les enseignants étaient déclassés salarialement - dont en indiciaire – et plus l’Etat français faisait des économies en général dans son système éducatif, avec dégradation constante des conditions de travail, et plus cela engendrait des surcotisations qui permettaient, au niveau national mais aussi international, de masquer ce qui était en réalité des investissements insuffisants dans ce secteur éducatif, et donc de masque ce déclassement salarial.

Il faut comprendre que cela est délibéré : non seulement les gouvernements successifs pouvaient choisir de continuer à présenter leur budget en incluant uniquement les cotisations/contributions de base, mais surtout ils ont toujours fait en sorte de ne jamais préciser la comptabilisation de ces surcotisations. Ainsi tous les gouvernements – et a fortiori leurs têtes de partis – sont bien conscients de ce stratagème qui n’a donc jamais été remis en cause.

Ainsi la DEPP – qui élabore les dépenses d’éducations – mais aussi l’INSEE – qui reprend les productions de la DEPP – sont dans une instrumentalisation que l’on peut qualifier de passive, car elles commentent et analysent ces dépenses sans jamais mentionner ces surcotisations, faussant ainsi leurs analyses et interprétations concernant les montants et les évolutions de ces dépenses d’éducation.

Pire : la Cour des Comptes (CC), organisme d’Etat censé faire preuve de rigueur dans l’utilisation des chiffres, est la première à instrumentaliser sciemment ces surcotisations, en faisant une base argumentaire bisiée, procédant ainsi à une instrumentalisation active correspondant à de la manipulation. La meilleure démonstration de cette pratique quasi systématique de la CC étant son dernier rapport sur le secteur éducatif : il concernait l’enseignement primaire, et, par exemple et entre autres, le CAS pensions, dont le montant était donné, avait été présenté comme « les pensions des enseignants ». Ce qui est donc complètement faux, et permettait ainsi de tromper sur ce que cela représentait réellement …

Concernant l’international, et donc principalement l’OCDE, force est de constater que cet organisme, qui met en avant ses garanties d’exigences en toutes circonstance – dont celles de comparabilité des données, et d’imperméabilité aux pressions étatiques – accepte que la France inclue dans ses dépenses d’éducation ces surcotisations qui les gonflent. Par exemple à hauteur d’environ 15 Md€ pour celle de 2023, sur un total de 190 Md€.

Remarques :

- Parmi les pays de l’OCDE, seul le Royaume-Uni semble user d’un stratagème similaire, en déclarant des dépenses afférentes aux pensions de l’ordre de 30 % de la masse salariale superbrute de tous son personnel éducatif, largement supérieure à une valeur considérée comme référence de 15 %. Les valeurs de la France ne sont pas indiquées par l’OCDE, mais approchant les 40 % pour les enseignants, et les 35 % pour l’ensemble de la masse salariale. Un pays comme l’Allemagne en déclare environ 15 %.

- « Etrangement », la France ne fait pas partie, dans les commentaires de l’OCDE, des sept pays dont les dépenses en pensions de retraites sont supérieures à ces 15 %. Sans aucune explication possible. Et sans réponse aux sollicitations sur le sujet.

Et pour résumer :

Les gouvernements successifs ont, depuis 2006, instrumentalisé le mécanisme comptable du CAS pensions pour gonfler les dépenses publiques, surtout celle du système éducatif, permettant ainsi opportunément de masquer les grosses économies faites sur un secteur pourtant essentiel pour l’avenir d’un Etat. Des organismes d’Etats, mais aussi internationaux, cautionnent voire instrumentalisent ce stratagème comptable qui permet de servir une communication gouvernementale pro-réformes libérale/de privatisation du secteur éducatif notamment.

Lien de la publi d'intro comportant les liens vers les autres développements :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/280825/1-le-scandale-du-gonflement-des-depenses-deducation-resume-et-liens

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