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Billet de blog 27 octobre 2024

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Les arguments de Guillaume Kasbarian pour la suppression de la GIPA : la manipulation

Lors de son audition à la commission des lois ce mercredi 23 octobre, le ministre de la « fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique » a argumenté pour justifier sa volonté de supprimer la GIPA (garantie individuelle du pouvoir d'achat). Or il s'agit en fait d'une succession d'arguments fallacieux et manipulatoires. L'IFRAP n'allait même pas aussi loin.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A. SES PROPOS

- C’est à partir de 1h 33 min 55 s (voir lien), les voici en intégralité :

« C’est un dispositif qui a été créé en 2008, et à l’époque il a été créé pour une durée de 2 ans. Et quand on échange avec d’autres de mes prédécesseurs, il n’avait jamais été question de la (sic) pérenniser ad vitam aeternam. Son cout a été en 2023 de 146 millions d’euros, et le dispositif n’a pas été forcément, dans son mode de calcul, satisfaisant, puisque contrairement à ce que j’ai pu entendre, elle profite surtout aux agents de catégories A : 56 % des bénéficiaires sont de catégorie A. A l’inverse elle bénéficie peu aux catégories C.

Etant donné que l’inflation est en décroissance, étant donné que tout le monde ne la touche pas bien évidemment, étant donné qu’elle bénéficie surtout aux agents de catégorie A, étant donné aussi qu’elle concerne aussi ceux qui sont en fin de carrière, ceux qui ont atteint le plafond de leur grade, heu … qu’on est dans une situation qui est très particulière, j’ai proposé et je l’assume, dans l’agenda social, la question de la suppression de la GIPA et nous en discuterons avec les organisations syndicales ».

Avant d’analyser les différents éléments, il y a une observation à faire, quelque chose d’assez surprenant au premier abord.

Et c’est déjà la devinette n°1 : quel est cet élément ?!

Toujours pas ? Si ?

Donc ce qui est surprenant, c’est qu’à aucun moment le ministre ne va dire à quoi sert cette GIPA. Alors c’est a priori évident pour tous les députés qui l’auditionnent, mais on verra que cela n’est probablement pas un hasard.

B. ANALYSONS DONC CE QUI EST CENSÉ ETRE SES TROIS PREMIERS « ARGUMENTS »

1) « à l’époque il a été créé pour une durée de 2 ans. Et quand on échange avec d’autres de mes prédécesseurs, il n’avait jamais été question de la (sic) pérenniser ad vitam aeternam »

Oui, cette partie est censée être un argument, surtout de par le ton employé. C’est plus facile d’ailleurs à faire passer cela comme un argument que justement le but de ce  « dispositif » n’avait pas été explicité. Donc en gros, on a déjà fait tellement de rab, hin …

2) « Son cout a été en 2023 de 146 millions d’euros »

Il semble aussi que cela soit présenté comme un argument : cela coûterait donc cher – on suppose que c’est l’idée – et d’où la nécessité de la suppression ?! Hum …Remarque : il n’a en fait donné que le cout concernant uniquement la FPE … sans le savoir ? On verra ça …

3) « le dispositif n’a pas été forcément, dans son mode de calcul, satisfaisant, puisque contrairement à ce que j’ai pu entendre, elle profite surtout aux agents de catégories A : 56 % des bénéficiaires sont de catégorie A. A l’inverse elle bénéficie peu aux catégories C »

C’est une partie intéressante à plus d’un titre, et de loin la plus importante, avec un argument très fallacieux, et trompeur. Et nous allons remonter temporellement aux origines – double, ancienne et récente - de l’utilisation de ce genre d’argumentation. Là, ça va prendre un peu de temps.

C) LA COUR DES COMPTES EN 2015

1) La CC et le contexte du rapport

En fait ce genre de statistiques avait été utilisé pour la première fois - a priori – au sujet de la GIPA par la Cour des Comptes (CC pour les intimes) en 2015 dans un rapport sur « la masse salariale de l’Etat : enjeux et leviers » (p. 78, voir lien). Plus précisément, il s’agissait de proposer des « leviers » permettant de réduire la masse salariale des fonctionnaires de l’Etat. J’ai déjà parlé de ce rapport, puisque c’est dans celui-ci que la CC proposait ce levier d’ « année blanche », une année de gel des avancements des fonctionnaires, pour faire pas mal d’économies.

A propos si on devait résumer le principal objectif de la CC, c’est celui de faire des économies. Sur le dos fonctionnaires avant tout évidemment – parfois  façon justifiée – mais avec une plus grande motivation encore s’il s’agit en plus des enseignants pour lesquels leur objectivité est souvent toute relative, mais c’est un autre sujet. Il n’en reste pas moins que sur ce sujet de réduction de la masse salariale des fonctionnaires en général, la CC n’hésite pas – quel que gage d’objectivité qu’elle soit supposée d’inspirer – à manipuler les statistiques pour servir son argumentation, comme on va le voir ici …

2) Argumentation orientée de la CC

Donc pour la citation : «65 % des montants versés en 2013 dans la fonction publique d’État ont bénéficié à des agents de catégorie A et concernent pour les trois quarts des agents de plus de 50 ans. ».

J’invite les curieux à aller voir la teneur du rapport, pour se rendre compte que le ton est généralement orienté, partial. Donc ici on pourrait considérer que l’âge serait un argument qui jouerait contre l’intérêt de cette GIPA, sinon pourquoi l’avancer de cette façon ?!

En fait on peut comprendre en creux que, comme ce sont les fonctionnaires les plus âgés qui gagnent nécessairement le plus, cette GIPA serait d’autant plus superflue …

Evidemment.Il faut préciser que, hormis les montants de la GIPA utilisés, la CC n’utilise pas d’autres données statistiques. Donc pourquoi, dans un discours manifestement orienté, la CC s’appuie-t-elle sur celles-ci en particulier? Alors il faut remarquer qu’il s’agit de données sur la FPE, ce qui est a priori normal, puisqu’il s’agit d’un rapport sur la masse salariale de la FPE. Et donc, c’est le versant de la FP auquel nous appartenons.

Et en rappelant que, malgré notre salaire, nous sommes de catégorie A, de ceux, donc, qui en sont les moins bien payés !

Et petite devinette n°2 : à votre avis, parmi les trois versants de la FP, lequel comporte – et de loin – le plus d’agents de catégorie A ?!

Et même sans compter les enseignants c’est évidemment la FPE est – et de loin – avec 56 %, après la FPH (40 %) et la FPT (13%). Voir les images 2 et 3, tableau et l’infographie pour les répartitions de 2021, et évidemment il y a 10 ans les choses ne pouvaient pas être beaucoup différentes …

Illustration 1
Tableau de répartition des personnels de la FP par catégories
Illustration 2
Infographie répartition des catégories dans la FP

Et à l’époque, nous étions déjà pas mal paupérisés ! La CC compte donc dans la catégorie A des personnels qui étaient déjà plus rémunérés comme des catégories B, que A. Mais donc, et surtout, on parle du versant de la FPE où en 2021  il y a 56 % de « catégorie A », dont plus de la moitié (52 %) sont des enseignants !

Lorsque l‘on est conscient de cela, il apparait beaucoup moins surprenant que « 65 % des montants versés en 2013 dans la fonction publique d’État ont bénéficié à des agents de catégorie A » ! On peut donc alors considérer qu’il y a bien volonté de manipuler, puisque les répartitions des catégories ne sont pas données, et donc de façon opportune.

Mais le pire concerne l’implicite, car utilisé en creux comme argument principal : il faudrait donc comprendre que si ce sont les agents les mieux rémunérés – en tout cas en théorie – qui touchent la plus grande partie de la GIPA, alors cela serait un argument contre la légitimité de cette GIPA.C’est éluder implicitement le point principal : la GIPA est censée compenser une perte en pouvoir d’achat !

Or, il n’y a pas besoin d’entrer dans les détails de la méthode de calcul de la GIPA pour comprendre ce qui devrait être une évidence : plus les salaires sont élevés, plus les pertes dues à l’inflation non compensée seront élevées – question de proportionnalité – et plus les montants de cette GIPA doivent alors être plus élevés ! Laisser penser qu’il ne serait pas normal – juste – que les plus hauts salaires « captent » la majeure partie de cette GIPA revient alors à considérer qu’il est normal que les plus hauts salaires perdent en pouvoir d’achat, mais pas les plus bas salaires. Sur le principe, c’est donc un gros problème, et on est bien dans de la manipulation implicite.En fait Il y a alors implicitement amalgame volontaire entre ce que représente la GIPA, c’est-à-dire la compensation de perte en pouvoir d’achat (pour simplifier) et ce qui serait des revalorisations salariales, qu’il faudrait donc, c’est ce que l’on comprend en creux, partager – au moins -  équitablement ! Or, cela n’a absolument rien à voir.

Donc, à moins de ne pas savoir de quoi l’on parle, il y a une volonté manifeste d’avoir une argumentation trompeuse.

3) La petite partie qui rattrape … ou pas

En fait la CC avait rajouté, entre les deux parties de la phrase citée précédemment :

« (en revanche les bénéficiaires sont très largement de catégorie C dans la FPT) ».

Il y a donc tout de même une part d’honnêteté, puisque le fait de mentionner que dans la FPT les bénéficiaires les plus nombreux de la GIPA joue en faveur de cette GIPA.Par contre on peut quand même y voir une petit bémol, sans trop vouloir verser dans la paranoïa !Car cela est-il étonnant ?

D’où, vous l’attendiez, la petite devinette n°3 : dans quel versant de la FP y a-t-il le plus – et de loin – d’agents de catégorie C ?

Pas le droit à l’erreur … ;)

Evidemment dans la FPT, avec 75 % !!! Après vient la FPH (34 %) et la FPE (21 %). Or lorsque la CC mentionne que « les bénéficiaires sont très largement de catégorie C dans la FPT », elle fait très certainement référence aux effectifs – des valeurs absolues- en comparaison avec les autres versants, et non aux taux d’agents de catégorie C concernés dans leur catégorie. Le fait de ne pas préciser qu’ils y sont les plus nombreux et que cela paraitrait alors logique en premier abord, pourrait justement laisser à penser que cela puisse justement être en proportion des agents de catégorie C, ce qui n’est donc pas le cas ici.

Or, il est fort probable qu’il y ait les mêmes proportions d’agent touchant la GIPA dans les deux autres versants, simplement ils sont moins nombreux de par leur proportion bien plus faible. Et en utilisant ces taux, la CC aurait pu alors tout aussi bien indiquer : « le taux d’agents de catégorie C qui profitent de la GIPA est significatif dans toute la FP » …

On peut donc considérer qu’il y a implicitement une volonté de ne minimiser les bénéficiaires de la GIPA dans la catégorie C.Il aurait été en fait plus transparent de donner par exemple les proportions d’agents de catégorie A et C touchant la GIPA dans chaque catégorie.

4) Conclusion sur cet extrait du rapport de la CC

Au final la CC utilise deux statistiques qui non seulement ne sont pas contextualisées – les proportions des catégories ne sont pas données – mais avec le principe de la GIPA qui semble volontairement « oublié ». Il y a donc volonté manifeste de construire malhonnêtement un argumentaire pour convaincre quant au peu d’intérêt de cette GIPA.

Cependant la CC avance aussi dans une autre partie des arguments dont la pertinence est évidente, ce que j’avais déjà mis en avant dans précédente publis : à partir du moment où la méthode de calcul de la GIPA ne prend pas en compte les primes/indemnités, on a des cas – déjà à l’époque – où des agents qui avaient des rémunérations – Traitement indiciaire + primes/indemnités – augmentées au-delà de l’inflation pouvait toucher la GIPA. C’est d’autant plus le cas maintenant pour les enseignants des premiers échelons qui auront été fortement revalorisés par des primes dégressives.

Par exemple et comme déjà montré dans une précédente publi, des enseignant qui seraient, entre décembre 2019 et 2023, passés du 2° au 3° échelon, ou bien du 3° au 4°, devraient toucher un peu plus de 1000  € de GIPA 2024, alors que leur rémunération a bien augmenté au-dessus de l’inflation pendant cette période …

En précisant qu’il s’agit juste ici d’une critique objective concernant la cohérence avec ce que la GIPA est censée représenter, et le mode de calcul utilisé. Inutile de me faire des procès d’intention sur le sujet, la question des revalorisations salariales étant un autre sujet.

D) L’ARTICLE DE L’IFRAP SUR LA GIPA

Passons maintenant à cet article de l’IFRAP– complètement orienté et biaisé que j’avais debunké, voir publi – du nom explicite « Pourquoi la "prime" pouvoir d’achat des fonctionnaires (GIPA) doit être supprimée » de mai 2024. ». Dans cet article assez long, les statistiques similaires) celles utilisées par la CC avaient été utilisées dans un paragraphe en particulier – avec les valeurs pour la GIPA 2023 – que l’on va scinder en deux parties pour une meilleure analyse :

1) « On relève par ailleurs que la GIPA jouera en 2023 une nouvelle fois en faveur des agents les mieux rémunérés (elle bénéficiera à 63% aux catégories A dans la FPE qui ne représentent que 55,2% des effectifs). »

Vous comprenez pourquoi je passe par cet article de la GIPA : on a ici le même « argument » que celui utilisé par la CC 9 ans plus tôt et qui est aussi en rapport avec celui du ministre, mis au jour et toujours pour la FPE, mais avec ce que l’on peut considérer comme une surprise : la proportion des agents de catégorie A est donnée !

Oh, pour ceux qui trouveraient la forme quelque peu absconse, elle l’est ! Donc je précise qu’il faut comprendre « elle bénéficiera à 63 % aux catégories A» par « 63 % du montant de la GIPA bénéficiera aux catégories A ». Sinon cela n’aurait pas de sens ou ne serait incohérent avec les valeurs connues.

Et donc ici on joue sur la différence entre la proportion du montant de la GIPA, et la proportion des agents qui font partie de la catégorie de ceux qui bénéficient de 63 % du montant de la GIPA ! Car, ces 55,2 % correspondent bien – voir mêmes infographie et tableau – à la proportion de personnels de catégorie A dans la FPE. Et non la proportion de bénéficiaires de catégorie A … C’est d’autant plus ballot que donner le pourcentage uniquement du personnel de catégorie A qui touche ces 63 % du montant de la GIPA aurait été certainement plus dans le sens de l’argumentaire. Et donc la remarque est la même que pour la CC, mais ici de façon plus directe : 63 % du montant de la GIPA pour 55,2 % des effectifs, ce n’est pas du tout choquant, lorsque l’on se rappelle aussi à qui correspond réellement cette GIAP. Le journaliste aurait même dû même s’abstenir d’utiliser cet argument qui s’avère plutôt contreproductif …

2) Pour ne pas alourdir davantage cette publi, j’ai mis l’analyse de la deuxième partie en commentaire, comme elle n’a pas d’intérêt direct concernant l’exposé fait ici.

E) BILAN DES ARGUMENTAIRES DE LA CC ET DE L’IFRAP

Donc si on résume :

- La CC a utilisé argué que 65 % du montant de la GIPA avait bénéficié aux personnels de catégorie A dans la FPE, et dans une formulation trompeuse puisque sans préciser que les personnels de catégorie A représentaient dans cette FPE dans les plus ou moins 55 % du personnel.

Par contre la CC a quand même le mérite de mentionner le fait qu’une bonne partie de la catégorie C de la FPT bénéficie de cette GIPA, même si cet élan d’ « honnêteté » est à relativiser, puisque la CC ne mentionne pas par contre que c’est dans cette FPT qu’il y a – et de loin – le plus de personnels de catégorie C …

- L’IFRAP a utilisé une formulation moins trompeuse, car en précisant le pourcentage de personnels que « représentaient » les bénéficiaires de la GIPA, mais par contre, et comme pour la CC, ils ont volontairement voulu faire paraitre comme anormale la disproportion entre les bénéficiaires aux rémunérations les plus élevées et la part de la GIPA dont ils bénéficiaient, alors que cela est des plus logiques et même légitimes sur le principe même de la GIPA …

F) RETOUR SUR LE TROISIEME « ARGUMENT » DE G. KASBARIAN

Après avoir intégré les éléments précédents, on peut aborder ce fameux troisième argument du ministre sous des abords plus avisés. D’ailleurs, il est judicieux je pense de le rappeler. Et cela mérite même de le scinder en deux.

- Donc la première partie : « le dispositif n’a pas été forcément, dans son mode de calcul, satisfaisant, puisque contrairement à ce que j’ai pu entendre, elle profite surtout aux agents de catégories A : 56 % des bénéficiaires sont de catégorie A. »

Les plus avisés d’entre vous doivent avoir alors compris : G. Kasbarian a choisi d’utiliser deux données dans la formulation la plus trompeuse qui soit !

Mais explicitons :

D’abord rappelons qu’il n’avait pas précisé du tout qu’il parlait des personnels de la FPE. Même s’il s’agit du versant qui est le seul concernant directement les dépenses de l’Etat, cela n’est pas du tout une raison valable, la GIPA concernant donc tous les agents publics.Ces 56 % de bénéficiaires de catégorie A sont donc des plus trompeurs – surtout en les donnants sans contextualiser -, puisque c’est, comme on l’a vu c’est dans la FPE, et de loin, qu’il y a le plus d’agents de catégorie A (56 % en 2022).

Si le ministre avait donné cette proportion, c’eut été différent, et personne n’aurait été surpris d’entendre alors que :«56 % des bénéficiaires sont de catégorie A, alors qu’ils représentent 55,2 % des personnels de la FPE ». !!! Ca aurait fait beaucoup moins son petit effet, n’est-ce pas ….En faisant remarquer qu’il y a donc une différence avec la donnée utilisée par l’IFRAP : ici les 56 % correspondent donc bien au pourcentage de bénéficiaires (en considérant évidemment qu’il s’agit bien du bon chiffre), quand l’IFRAP se contentait de donner le pourcentage des personnels de catégorie A dans la FPE.

- La deuxième partie :- « A l’inverse elle bénéficie peu aux catégories C »

Là encore la manipulation est évidente, et du même niveau que la précédente, puisque …

Oh mais … devinette n° 4 !!! : dans quel versant de la FP y a-t-il le moins de personnels de catégorie C ?!

Là, j’imagine que les courageux qui sont arrivés jusqu’ici auront bien deviné ! Donc la FPE, évidemment ! Avec – voir la même infographie/tableau – seulement 21 % des personnels, contre 40 % pour la FPT et 75 % pour la FPT. Quelle surprise, n’est-ce pas ?

C’est sûr que, dans ces conditions, la GIPA ne peut que « bénéficier peu aux catégories C » !

On a donc un peu le même principe de manipulation vu pour la CC – supposé pour elle – concernant cette catégorie C, en raisonnant en effectifs absolus, mais sans préciser les taux.

Et qui donc aurait alors été étonné si Kasbarian avait dit, dans un souci d’honnêteté :« « A l’inverse elle bénéficie peu aux catégories C, qui ne représente que 21 % des personnels » ?!

Et cela, sans que l’on ait besoin de savoir si les taux de bénéficiaires dans les autres versants sont importants ou non pour la catégorie C …On a donc clairement et sans aucun doute possible, une volonté de tromper l’auditoire – en l’occurrence ici les membres de la commission des lois – en réussissant l’exploit d’utiliser - avec seulement deux données ! – des formulations plus trompeuses encore que l’IFRAP ou la CC …

G) SUITE DES ARGUMENTS DU MINISTRE

4) « étant donné que l'inflation est désormais en décroissance »

Le faux argument par excellence ! Et je pense finalement le pire. Car la méthode de calcul de la GIPA se base sur 4 années, et c’est donc l’inflation non compensée sur ces 4 années qui compte. Or cette inflation a été très peu compensée ces dernières années, ce qui a comme conséquence que les montants de la GIPA 2024 seront, comme montré dans une autre publi, les plus élevés jamais distribués, correspondant ainsi à des pertes en pouvoir d’achat d’autant plus grandes !

Mieux encore, enfin plutôt « pire » : une estimation réaliste de 2 % d’inflation sur l’année 2024 impliquera des montants de GIPA 2025 plus élevés encore !

D’ailleurs à l’occasion du debunkage de l’article de l’IFRAP, j’avais procédé à une estimation par extrapolation des montants de la GIPA 2024 et 2025 (voir image 4 graphique) on passerait alors de 267 millions de GIPA 2023 à plus de 400 millions de GIPA 2024 et plus de 500 millions pour la GIPA 2025 …Et il faut en plus préciser que « inflation en décroissance » ne signifie pas que l’inflation soit négative, mais que l’inflation ralentit, donc que les prix continuent d’augmenter : c’est la manipulation classique !Ainsi si le point d’indice n’est pas revalorisé, comme pour cette année, on a nécessairement des pertes en pouvoir d’achat en salaires de base lorsqu’il n’y a pas de passage d’échelons.On a ici dans un argument confondant dans sa  grossièreté et son extrême pauvreté.

Illustration 3
Extrapolation montants GIPA prévisionnels

Remarque : cet « argument » explique certainement pourquoi le ministre n’a pas voulu abordé la question du budget et de son évolution. Contrairement à l’IFRAP qui avait choisi l’exact contraire, en allant même jusqu’à extrapoler de façon insensée les futurs montants de la GIPA, d’où les extrapolations que j’avais faites, plus sensées a priori. Or, à partir du moment où on a compris que l’augmentation des montants de la GIPA reflètent surtout la paupérisation des fonctionnaires en général, on comprend que, contrairement à l’IFRAP, on puisse éviter de s’aventurer sur ce terrain pour bâtir un argument pour la suppression de cette GIPA.Ainsi évoquer les augmentations à venir du budget de la GIPA aurait été contreproductif pour le ministre, et même se transformer en contre argument …

5) « étant donné que « tous les agents ne la touchent pas »  

On approche ici le niveau de l’’ « argument » précédent. Le principe de la GIPA c’est de compenser les pertes en pouvoir d’achat !  Si tout le monde la touchait, cela signifierait qu’il y a un énorme problème ! Au contraire c’est si personne ne la touchait qu’on aurait un argument pour la supprimer, et non l’inverse !

On tombe réellement dans la bêtise crasse tellement cet argument ne rime à rien, tellement il s’agirait en fait plutôt d’un argument en faveur du maintien de la GIPA !

En fait, et c’est là que je rebondis sur une remarque faite au tout début, concernant le fait que G. Kasbarian n’avait pas reprécisé à quoi servait cette GIPA : il faut aussi y voir une volonté de faire l’amalgame avec de simples revalorisations salariales. Et quand bien même, cet argument ne tiendrait pas beaucoup plus la route. D’autant plus qu’il n’y a que ça, dans la FP, surtout la FPE : des revalorisations catégorielles, et on sait au détriment de quel autre catégorie la plupart des cas …

6) « étant donné qu’elle bénéficie surtout aux agents de catégorie A »

Déjà commenté … Il aurait fallu au moins voir ce qu’il en est en prenant tous les versants de la FP, mais c’eut été certainement moins probant que de se contenter du versant comportant le plus d’agents de catégorie A, sans même comme on l’avait vu, le mentionner …

7) « étant donné aussi qu’elle concerne aussi ceux qui sont en fin de carrière, ceux qui ont atteint le plafond de leur grade »

Ainsi donc il serait normal que les personnels qui ont atteint leur échelon sommital doivent perdre en pouvoir d’achat … pas plus de commentaire à faire je pense !

8) « on est dans une situation qui est très particulière »

Evidemment, la situation « particulière », faisant allusion au contexte économique, la dette, cette impérieuse nécessité de faire des économies … l’argument ultime et censé être irréfragable !

Ce n’est pas le sujet, mais le fait d’avoir augmenté considérablement la dette donne le meilleur argument pour pouvoir passer toutes les réformes libérales encouragées par l’UE et bien sûr le « monde économique » en général. C’est peut-être aussi pour cela que les agences de notation sont très bienveillantes avec la France : elles savent certainement qu’un processus est engagé, en pensant qu’il ira suffisamment loin pour libéraliser beaucoup plus la France. Un « ajustement » bien engagé …

H) CONCLUSION

Il n’y a pas de doute, nous avons un ministre de la FP plutôt compétent ! Puisque dans le monde politique, et plus encore lorsqu’il s’agit de faire passer des mesures « impopulaires » en général, la compétence principale consiste à maitriser parfaitement la manipulation, en réussissant l’exploit de faire pire que la CC, et pire encore que l’IFRAP, dont il s’est visiblement inspiré.

Mais sur ce point de la compétence à manipuler, on peut être partagé si on se base sur cet argumentaire pour mieux faire accepter la suppression de la GIPA : certains arguments sont tellement grossiers dans leur volonté de tromper, qu’ils devraient en devenir contreproductifs, voire se retourner contre celui qui en a fait usage.

Mais qui confrontera le ministre sur le sujet ? Que les syndicats de fonctionnaires fassent éventuellement leur job sur ce sujet … ou pas, voire les remarques.

Toujours est-il que ce ministre – ou ses conseillers - s’était vraisemblablement manifestement inspiré des écrits de la CC et de l’IFRAP sur cette GIPA pour établir une partie de ses arguments. Quelle surprise …

REMARQUES :

1) Des articles sont parus avec des erreurs, comme par exemple celui de France bleu :

« La garantie individuelle du pouvoir d'achat (Gipa), indemnité versée chaque année en octobre aux fonctionnaires dont la rémunération a progressé moins vite que la hausse des prix » : même si on est dans un article plutôt grand public, il eut fallu quand même préciser que c’est le traitement indiciaire uniquement qui est pris en compte dans le calcul. Ce qui fait d’ailleurs – comme pour certains échelons d’enseignants – on peut avoir gagné en pouvoir d’achat mais tout de même toucher la GIPA. De plus il n’est pas précisé que la période prise en compte est de 4 ans.

« Cette indemnité, versée en une fois, varie de 1.500 à 2.200 euros » : Autant pour les 2200 € on n’est pas trop dans l’erreur, car le journaliste a dû se référer aux derniers montants connus, c’est-à-dire ceux de la GIPA 2022, où on en est effectivement proche (en réalité un peu plus de 2500 €). Par contre quand on connaît la relation entre inflation non compensée et montant de la GIPA, et que l’on sait donc que cette inflation non compensée ne fait qu’augmenter, on sait que les montants de la GIPA ne vont cesser d’augmenter (voir le même graphique, et calculateurs), pour la GIPA 2023 et celle de 2024 si elle avait dû être versée comme le montrent les calculateurs, et comme cela aussi le cas pour la GIPA 2025 … En l’occurrence le montant max de la GIPA 2024 flirtera avec les … 5000 €, comme vu dans une précédente publi sur le sujet. Il eut donc fallu préciser que ces montants seraient nécessairement en forte augmentation. Après, le journaliste a probablement retranscrit purement et simplement ce que le ministère lui aura répondu …

Concernant les 1500 € par contre c’est une grossière erreur : on peut avoir des montants de GIPA de quelques euros voire de quelques centimes d’euros ! Et à l’heure où le gouvernement met en œuvre des revalorisations de 6 centimes d’euros pour une partie de ses fonctionnaires, on ne peut pas ne pas le faire remarquer !!!

2) Le ministre n’a pas utilisé l’argument essentiel : le mode de calcul ne prend pas en compte les primes/indemnités ! Or c’est ce qui aurait dû être l’argument principal, qu’il n’a même pas utilisé. Mais l’explication est certainement la suivante : cet argument n’est pertinent que dans le cadre d’une volonté de changement du mode de calcul de cette GIPA, pour que son principe soit plus respecté. Or, il s’agit pour le gouvernement de supprimer purement et simplement cette GIPA, sans aucune contrepartie, et c’est cela le vrai scandale.

3) Les syndicats, plutôt que de demander le maintien de la GIPA aurait dû demander son adaptation, puisque comme déjà dit, et plus encore pour les enseignants, sa méthode de calcul amène à des contradictions où des personnels ayant vu leur rémunération plus que l’inflation toucheraient tout de même la GIPA, et parfois même avec des montants relativement élevés. Et a minima le maintien du principe pour ceux des collègues qui sont les plus lésés, ceux donc aux échelons sommitaux.

Surtout et avant tout évidemment, que « nos » syndicats LUTTENT CONTRE NOTRE DECLASSEMENT SALARIAL ! Ce qu’ils se refusent à faire, pour des raisons désespérément évidentes quand on a compris le contexte général …

J’aurai l’occasion d’exposer de manière exhaustive mon argumentation sur ce sujet …

4) Le changement de la méthode de calcul consisterait alors évidemment à prendre en compte les primes/indemnités. Mais la CC, en 2015, craignait que dans les années suivantes la stratégie de rémunérations des fonctionnaires purent changer, avec des primes qui auraient alors pu baisser de plus en plus. Un argument plutôt surprenant, probablement pour mieux justifier cette autre proposition, l’un des nombreux « leviers » qui permettrait de réduire la masse salariale, en changement le mode de calcul de la GIPA de la façon suivante :

« La limitation du bénéfice de la garantie individuelle du pouvoir d’achat aux agents dont le traitement indiciaire brut ET la rémunération globale primes et indemnités récurrentes incluses ont évolué moins vite que les prix. »

A l’époque (GIPA 2014), la CC avait estimé par contre que, si seule avait été prise en compte la rémunération totale, cela aurait alors réduit le budget de la GIPA d’environ un quart …

5) Donc pour info complémentaire et subsidiaire, l’analyse de la deuxième partie de l’argumentaire chiffré de l’IFRAP :

« Les rémunérations supérieures à 70.000 euros/an représenteraient 4,5% des agents titulaires de la FPE mais 12% de la dépense de GIPA, soit avec une dépense attendue de 140,7 millions d’euros, pratiquement 16,9 millions d’euros. En bas de l’échelle salariale, les fonctionnaires de l’Etat avec une rémunération en deçà de 30.000 euros/an représentent 8,3% des agents, mais ne bénéficieraient que de 3% de la GIPA soit 4,2 millions d’euros. »

Précisions : … en s’appuyant de sources… « internes » !

Mais peu importe, ces données semblent réalistes. Quoique …

On a donc ici l’argumentaire basé sur le même principe que le précédent : montrer que les plus aisés touchent la plus grande partir de la GIPA, en considérant que cela n’est pas normal. Ce qui est donc une aberration, comme déjà expliquer, d’après le principe même de cette GIPA. Il y a en fait ici deux lectures à avoir.

a) Partie 1 et 2 : en première lecture :

- « Les rémunérations supérieures à 70.000 euros/an représenteraient 4,5% des agents titulaires de la FPE mais 12% de la dépense de GIPA, soit avec une dépense attendue de 140,7 millions d’euros, pratiquement 16,9 millions d’euros. »

Bon déjà on ne parle évidemment pas des enseignants ! En fait il s’agit probablement de la statistique qui aurait été la plus impactante, car même si elle date de 2013 il doit logiquement y avoir son équivalente pour 2022/2023, puisque concernant les fonctionnaires a priori exclusivement les cat A qui étaient bloqués à l’échelon sommital, et donc touchant évidemment les plus grands montants de la GIPA. En précisant que, de façon analogue, ce ne sont pas les pourcentages de bénéficiaires qui sont donnés ici, mais des pourcentages d’effectifs de la catégorie à laquelle ils appartiennent.Si G. Kasbarian ne l’a pas utilisée, c’est peut-être parce qu’elle ne représentait pas des proportions suffisamment significatives à son gout (ou à celui de ses conseillers).

- « En bas de l’échelle salariale, les fonctionnaires de l’Etat avec une rémunération en deçà de 30.000 euros/an représentent 8,3% des agents, mais ne bénéficieraient que de 3% de la GIPA soit 4,2 millions d’euros. »

Pour ponctuer ce qui est supposé être au final une démonstration, pour résumer : les plus rémunérés touchent le plus, les moins rémunérés touchent le moins, donc c’est nécessairement injuste.

Ou comment, comme déjà dit, faire comme un amalgame entre la GIPA et des revalorisations – et encore cela ne serait pas non plus cohérent – et comment, surtout, légitimer en creux qu’il soit normal que les plus fortes rémunérations subissent des pertes en pouvoir d’achat.

b) Partie 1 et 2 : en deuxième lecture :

En fait le nombre d’agents concernés par la GIPA n’est jamais donné, et comme cela a été dit, les pourcentages correspondent toujours ici aux pourcentages que représentent ceux des effectifs de la catégorie incluant les bénéficiaires de la GIPA concernés … ouf ! Et si cela ne pose pas trop de souci lorsqu’il s’agit de ne parler que d’une catégorie en particulier, cela en pose lorsqu’il s’agit d’en comparer une avec une autre.

Donc il est bien dit dans la première partie que dans la FPE il y a 4,5 % des agents titulaires (d’ailleurs pourquoi ne parler que des titulaires ?!) qui touchent plus de 70 000 €, et que parmi ceux-ci une partie touchera 12 % du montant du total de la GIPA, mais on ne sait donc pas à quel pourcentage – absolu ou relatif -cela correspond !

Et il en est bien sûr de même avec « En bas de l’échelle salariale, les fonctionnaires de l’Etat avec une rémunération en deçà de 30.000 euros/an représentent 8,3% des agents, mais ne bénéficieraient que de 3% de la GIPA soit 4,2 millions d’euros. » 

Alors cela pose un très gros problème sur le principe : tout ce qui est dit n’est en fait pas du tout exploitable comme on l’a fait dans la première partie, et comme l’auteur voulait évidemment que cela soit compris.

Pour éclaircir ce qui vient d’être dit : on pourrait très bien considérer que parmi les 55,2 % des cadres A de la FP, tous bénéficient de la GIPA. Ben oui, on n’a pas les chiffres, donc tout est possible. Et surtout on pourrait considérer que parmi les 8 % des salaires inférieurs à 30 000 €, seule une petite partie toucherait la GIPA. Dès lors la proportion entre le nombre d’agents touchant la GIPA suivant qu’ils ont une forte ou une faible rémunération s’équilibrerait !

Bref, l’extrait dans son entièreté, c’est du flan.Alors pourquoi ne pas avoir donné les chiffres ou les pourcentages de ceux qui touchaient réellement la GIPA ? On peut raisonnablement penser que c’est pour la simple raison que ces données n’étaient pas disponibles.

Et il y a autre chose : il n’y aura que « 8,3 % » des agents de la FPE qui toucheraient moins de 30 000 € ?! C’est tout simplement impossible, au moins parce que, comme on l’a vu, il y a quand même 21 % d’agents de catégorie C, même si cela représente le taux le plus faible des trois versants. Et même en raisonnant en bruts, même en rajoutant les primes, on aurait peu d’agents dépassant ces 30 000 € annuels. L’auteur aura peut-être alors, sans le savoir, utilisé le pourcentage de bénéficiaires, cela sera plus cohérent mais donc encore moins comparables à l’autre pourcentage des mieux rémunérés.

LIENS :

- Audition de G. Kasbarian à la commission des lois.  Voir à partir de 1h 33 min 55 s pour la GIPA :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.15608092_67190db884232.commission-des-lois--m-guillaume-kasbarian-ministre-de-la-fonction-publique-sur-la-politique-du--23-octobre-2024

- Rapport de la CC de 2015  sur « la masse salariale de l’Etat : enjeux et leviers ». Voir page 78 pour la partie consacrée à la GIPA :

https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/194000239.pdf

- Rapport annuel de la FP 2023 (dont est issu le tableau de répartition des catégories de la FP):

https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/publications/rapport-annuel/cc-2023-web.pdf

- Article de France bleue :

https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/la-garantie-individuelle-du-pouvoir-d-achat-ne-sera-pas-versee-aux-200-000-fonctionnaires-concernes-cette-annee-1355179

- Publi sur la GIPA 2024 :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/080824/gipa-2024-rappel-du-principe-calculateur-sera-t-elle-reconduite-cette-annee

- Publi de debunkage de l’article de l’IFRAP :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/080824/debunking-dun-article-de-lifrap-argumentant-pour-la-fin-la-gipa

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