Cet impératif ne doit pas nécessairement emprunter le chemin proposé ici mais doit nécessairement prendre celui d’un vaste débat pour faire droit à l’universelle conviction qu’il va falloir vivre autrement. Ce qui suppose, à un moment ou un autre, de contrarier le non moins universel refus de changer quoi que ce soit. Un vrai débat vivant pour administrer du poison au fatalisme, devenu le point cardinal de nos pensées. Même si les plus sinistres augures deviennent réalité, rien n’oblige à aller à leur rencontre avec la tête des souffrances qu’ils nous promettent. Au contraire, profitons de nos derniers moments de gaieté, c’est ainsi que nous courrons le risque de les prolonger.
Il faut un quart d’heure pour lire ce texte, autant dire mission impossible ! Je ne plaisante pas, pour ma part la simple vue d’un tel format me détourne de la lecture si je ne suis pas favorablement disposé envers son auteur. Dans le «Pot pourri» du billet du 13 mai, j’ai réuni quelques interventions faites sur ce site. Il est possible d’y picorer des fragments pour vérifier, avant d’entreprendre cette lecture, que mon état d’esprit est compatible avec le vôtre. Evidemment le grand enjeu de la politique n’est pas d’être d’accord sur tout mais de découvrir des points d’accords suffisants pour agir. Encore un conseil, imprimer le texte, le garder sous la main, le lire à son moment me semble la meilleure façon de l’aborder. Puis revenir donner un avis, quel qu’il soit. Grand Merci d’avance.
Ca ne peut pas continuer comme çà !
Ou comment faire passé un propos qui n’engage à rien pour une forte conviction. Une antienne qui vole de bouche en bouche, de celle du pilier de comptoir à celle du philosophe le plus distingué, en passant par celles des hommes politiques de toutes tendances, comme si le lien le plus ferme de la société résidait dans son rejet.
Coté constats, l’accord est général et bavard. Les descriptions détaillées des innombrables problèmes qui font que çà ne peut pas continuer comme çà, alimentent notre quotidien d’aperçus désolants sur le désastre en cours sans omettrent de nous avertir qu’il n’est qu’une maquette à petite échelle de celui qui s’annonce. Coté actions, c’est plus compliqué. La variété, l’immensité, la complexité des problèmes nous égarent, nous empêchent de prendre une direction.
Repenser le travail
Chacun sait que c’est l’enjeu principal et que repenser le travail c’est repenser notre mode de présence sur terre.
Pour repenser le travail nous avons besoin de repartir de sa fonction, de sa valeur. Que nos formes de travail soient très éloignées de ce qu’elle étaient à leur naissance ne doit pas nous dispenser d’éclairer nos pensées actuelles à la lumière de cette naissance. Le travail est consubstantiel à l’homme. C’est un ajout à la nature, qui n’a pu survenir sans des amorces de pensées, par lequel l’homme s’est affranchi de la condition animale. Il est devenu quasiment biologique tout en restant soumis à des lois d’organisations sociales qui se heurtent aujourd’hui à d’immenses contradictions.
La difficulté d’obtenir un travail nous enferme dans une domination par le travail qui nous éloigne de sa fonction : nous affranchir et non nous soumettre. Elle nous enferme dans un sérieux excessif, dans un individualisme forcené. Un sérieux, un enjeu personnel qui nous dissimulent la dimension universelle et unificatrice du travail, art de se comporter sur terre propre à l’espèce humaine. Elle ne cessent d’éloigner notre regard des lieux ou nous pourrions le ressourcer. Nous en sommes empêchés par le fractionnement du travail, qui n’était à l’origine qu’un moyen de sécuriser l’approvisionnement alimentaire. Fractionnement venu du travail lui même à mesure qu’il emmagasinait du savoir faire, rendait nécessaire la spécialisation, introduisait la hiérarchie, donnait à l’homme sa figure principale. Si bien qu’on se sent professeur, médecin ou déclassé avant d’être membre d’une humanité qui manifeste sa présence sur terre par le travail. Dés lors, le travail, ressenti seulement depuis le destin personnel et non celui de l’humanité, ne fait que renforcer un individualisme mal tempéré. Il n’est évidemment pas possible d’affranchir le travail de l’individualisme mais il est possible d’y réintégrer une dimension plus vaste. Cette idée sous-tend les propositions qui suivent, propose de nous souvenir de la naissance du travail pour apprendre que de vielles formes meurent et sont remplacées.
Les évolutions techniques, résultantes du travail, ne cesse de modifier l’organisation sociale, par leur simple existence, en dehors de toute volonté humaine. Elles continuent ainsi la marche d’un travail qui n’a pas été réfléchi par l’homme, qui est venu à lui par suite de dispositions que les sciences nous décrivent. Elles nous placent, nous autres humains, riches frères humains, devant un moment nouveau, un moment où nous nous voyons contraint de penser nous même notre avenir, de ne pas abandonner cette tâche aux choses produites par le travail.
Chaque phrase de cette introduction exigerait de pleines brassées de feuilles imprimées pour rendre compte des enjeux. Il suffit d’aller les chercher. Elles sont déjà écrites des milliers de fois. Les descriptions de nos misères sont déclinées sur tous les tons, tous les supports et tous les jours, avec un luxe de détails si déprimants et des argumentaires si intelligents qu’il est permis de se demander si ces avalanches de mots ne contribuent pas à nous immobiliser ou pire s’ils n’ont pas cette fonction.
N’est ce pas en produisant de plus en plus de motifs de protestation que la société préserve ses chances de durer sous une forme accablante qui nous paralyse ? Une question pour rire et pour pleurer. Pour ramasser en quelques mots l’étonnement que procure la vision de moyens immenses et d’agitations intenses avec l’inaction.
CHANGER LE STANDARD DE L’EMPLOI
Il faut situer la question sur le plan de la souffrance individuelle, c’est elle qui nous commande d’agir. Le traitement par lequel nous transformons des souffrances et des injustices en pourcentages de population nous rapproche de la fameuse formule de Staline : un mort c’est un drame, beaucoup de morts c’est de la statistique. Ces statistiques, ces pourcentages donnent aux commentaires sur leurs légères variations un air de sérieux qui atteint des sommets de cynisme quand il est fait état d’un «ralentissement dans la progression», ou quand face un à problème qui requerrait toute notre énergie, nous trouvons consolation dans le fait que c’est pire ailleurs.
La réflexion est dans une impasse bornée par des parois logiques. Pour lutter contre le chômage il faut créer des emplois, pour créer des emplois il faut de la croissance. Tous les moyens sont mis en oeuvre pour l’obtenir au détriment de ceux qui seraient nécessaires pour vivre ensemble sans la croissance.
Pour réorienter ces moyens, il ne faut pas rechercher le plein emploi pour tous, en permanence, dans des activités productrices. Il faut inciter à la création de multiples filières qui permettent à chacun d'organiser sa vie en y intégrant les périodes d'activités variées en genre et en quantité.
Deux dispositifs qui permettraient à ces filières de se développer :
1 - Qu'il ne soit proposé sur le marché du travail que des emplois à mi temps pour permettrent à chacun d'exercer un ou deux mi-temps dans la même ou dans deux entreprises, dans la même ou dans deux professions.
2 – Qu’une vaste entreprise d'Etat régulant le marché du travail par l'apport d'emplois (toujours à mi temps), destinés à couvrir une foule de besoin aujourd'hui mal satisfait, soit instituée avec mission d’assurer à tous un emploi Entreprise par ailleurs destinée à accueillir un service civil obligatoire.
1 – Emplois à mi-temps
C’est la proposition principale, l’autre lui est liée mais sa mise en œuvre est modulable dans les dispositions et dans le temps. L’essentiel est d’accepter un principe simple qui amorce le travail de recomposition que nous nous accordons tous à juger indispensable. Ce principe lui même n’est pas traumatisant, il est conçu pour atteindre en souplesse une situation meilleure de la répartition du travail et de la consommation responsable.
La taille de ce manifeste ne permet pas de s’étendre, il sera temps de le faire s’il trouve un peu d’écho. Il faut pourtant insister un peu sur la «simplicité» du principe proposé qui pourrait le disqualifier sans discussion dans un temps ou la «complexité» nous est sans cesse opposée pour justifier l’inaction. Il faudrait faire un livre pour expliquer les effets possibles de la mise en oeuvre de ce principe. Les aperçus qui suivent ne constituent qu’une liste qu’allongera chacun des lecteurs convaincus que l’enjeu mérite la discussion la plus large et pas seulement des propos d’experts.
Ce marché du travail constitué pour la plus grande part d’emplois à mi temps (mi temps selon les normes actuelles mais peut être destiné à devenir le standard de l’emploi) rendrait possible d'exercer deux métiers différents, de nature différente. Sans qu’il s’agisse d’une obligation, certains métiers exigent qu'on s'y consacre entièrement, certaines personnes ne voudront pas ou ne pourront pas faire deux métiers. Mais il est certain que ces possibilités nouvelles seraient exploités. Un plombier-professeur pourrait faire, par sa nature même, un meilleur plombier et un meilleur professeur en cessant de relever d’un «unijambisme» mental qui n’est pas pour rien dans notre impotence sociale(1). Il permettrait de combiner les périodes de formation et de travail, les périodes d'occupation d'un ou de deux emplois, voire de trois. Une foule d'activités nouvelles naîtrait de cette souplesse individuelle.
Petit à petit, il ne serait plus possible qu'une personne ne dispose pas au moins d'un demi emploi, soit deux demi emploi pour un couple, précision importante car le pire scandale du chômage est le sort réservé aux enfants des chômeurs. Et si notre gouvernement rend désormais possible qu’un enfant ait pour parents deux papas ou deux mamans, il faudrait aussi qu’il interdise qu’il ait deux chômeurs
S'agirait il d'une contrainte insupportable pour les employeurs ? Les employeurs aussi ont intérêt à une décrispation de la situation, ils peuvent accepter des dispositions réglementaires si elles sont nécessaires pour atteindre ce but. Or il est nécessaire de partager l'emploi, ou si l'on veut, de partager le chômage. On admet que des règlements interdisent le vol et le meurtre. On ne l'interdit pas parce que le vol ou le meurtre sont contraires à la nature humaine, on l'interdit pour protéger les hommes, pour garantir leurs droits et leur dignité. Pas besoin de grande démonstration pour dire que ces droits et dignités sont atteints chez tous les membres de la société, qu’ils appartiennent ou non au monde des exclus. Garantir les droits et la dignité des hommes c'est aussi leur assurer une activité rémunératrice. Si pour garantir ce droit, les lois "naturelles" (l'offre et la demande) ne suffisent pas, il faut instituer des règlements. Des règlements qui, à terme, en remplacerait une foule d’autres et une quantité inouïe et absurde de dispositifs de soutien à l’emploi.
Ce dispositif ne serait pas une réduction du temps de travail qui serait compensée par des gains de productivité augmentant encore le stress généralisé. Il viserait à organiser autrement le travail afin que chacun dispose de plus de souplesse pour organiser sa vie. Il n'a trait qu'à l'organisation du travail, il ne préjuge pas du type de développement économique. Il permet une adaptation rapide aux fluctuations économiques. Si la croissance est forte, chacun dispose (ou peut disposer) de deux emplois, si elle est faible, le deuxième emploi est plus difficile à trouver mais on n’élimine pas de la scène sociale telle catégorie de personnes dont la conformation intellectuelle, estimée sur une échelle genre QI, est inadaptée. Un mode de sélection qui n'a pas grand chose à envier à l'apartheid.
On cesse de prélever massivement dans la poche des uns (par le biais d'un Etat qui ne sait faire que des gestes de mastodonte) pour donner à ceux qu'on laisse sur la touche, opération qui frustre tout le monde. Par une simple division par deux qui équivaut à une multiplication par deux des possibilités individuelles, on joue sur les potentialités de l'individu et non sur les tableaux fournis par une population statistifiée. On peut également imaginé une imposition différenciée pour les revenus des deux activités qui offrirait beaucoup de levier d’action à la collectivité. C’est un sujet trop vaste et trop prématuré, n’y insistons pas.
Les moyens destinés à porter secours sont en même temps des encouragements au laisser aller que les individus et la société paient cher. Il ne s’agit pas de dresser tout le monde. Les raisons qui poussent un homme à vivre en marge de la société ne sont ni plus ni moins honorables que celles qui le poussent à y faire son chemin, mais entre autres atteintes à la liberté des hommes perpétuées par la situation de l'emploi, on doit relever sans pouvoir décemment y insister, l'impossibilité grandissante pour un individu de faire montre d'une volonté de s'exiler de la société. Les vrais clochards sont noyés dans la masse des faux. L'enjeu de l'organisation du travail est aussi celui de la liberté. Liberté impossible pour ceux qui sont privés d'emplois, liberté sous conditions pour tous ceux qui craignent de le perdre, liberté surveillée pour les fonctionnaires regardés comme privilégiés
Dans l'immédiat une telle organisation du travail semble impossible. Il faudra pourtant y venir (sous une forme ou une autre). En gardant les codes actuels le chômage augmentera encore beaucoup et deviendra réellement insupportable.
Enfin, c’est l’essentiel peut être, une telle organisation exige l’engagement de chacun dans le travail d’adaptation à la nouvelle donne technologique, elle est un outil pour stimuler un sentiment d’appartenance qui nous fait cruellement défaut. Elle est aussi un moyen d’aborder la retraite d’une manière progressive.
2 – Une entreprise d’intégration
D’abord dispositif anti-chômage, elle deviendrait forcément, si elle se mettait en place et commençait à atteindre ses objectifs, une structure essentielle de la vie sociale. Comme pour la proposition de travail à mi temps, il s’agit de dresser le portrait d’une situation imaginaire, puis de compter sur la réalité, sur l’expérience, sur l’observation et la critique bienveillante – ce qui ne veut pas dire complaisante – pour affiner, réduire ou augmenter la voilure.
L’implantation de cette entreprise mériterait un maillage assez serré, à définir. Par exemple, une « maison commune » d’accueil et d’organisation de ses activités pour 1000/1500 habitants, si possible au plus à vingt minutes à pied des foyers les plus éloignés dans les zones semi urbaines. Soit un lieu de ressources sociales et d’échanges gratuits ou marchands toujours accessibles dont le rôle serait essentiel en cas de crise grave et dont l’aspect de sécurité civile ne serait pas négligeable.
Avec un chômage aux environs de 10 %, cette structure, chargée d’une centaine de personnes, deviendrait le point d’ancrage, le signe le plus important de la communauté et contribuerait à la recréer en lui apportant de multiples services dont la liste s’allongera des activités dont nous n’avons pas idée qui surgiront des possibilités nouvelles, de l’enrichissement des modes d’échanges.
Il faut cesser de payer des gens à ne rien faire. L'inactivité n’est pas mauvaise en soi à condition d’être choisie et non subie. Lorsque les moyens destinés au secours sont utilisés comme mode de vie, ils perdent leur sens et leur efficacité. Dans le même temps une foule de choses ne sont pas faite (ne citons que l'environnement, l'entretien du pays). De plus, il est décourageant pour ceux qui disposent des plus petits salaires et des tâches les plus ingrates de constater que leurs revenus seraient à peine moindre en ne travaillant pas. L'argent ne manque pas pour financer des postes de travail.Il parait, mais c’est peut être une erreur de journaliste, la plupart étant fâché avec le nombre des zéros, que les aides aux entreprises représentent 100 milliards d’euros ! Qu’est ce que c’est ces aides ? Si c’est pour préserver l’emploi, combien d’emploi ? 15000 euros par an permettent d’offrir un cadre de vie acceptable pour un individu, 100 milliards d’euros çà fait 6 million six cent mille fois 15000 euros ! En tout cas, il est clair qu’il suffit d’abandonner certains dispositifs de soutien à l'emploi qui n'ont ni queue ni tête, et certaines actions sociales qui ne sont pas mieux pourvues, pour dégager des moyens importants.
A terme, l'application de ces principes risquerait d’aboutir à l'octroi de deux emplois aux personnes qualifiées et bien payées, d'un seul aux autres. L’absorption du chômage serait effectué au détriment des plus défavorisés. C'est une objection solide. Cependant de tels bouleversements peuvent entraîner une dynamique différente en permettant de nourrir et de renouveler une quantité d'échanges par lesquels vit une société.
Qu'est ce qu'une société sinon un vaste jeu d'échanges plus ou moins codifiés ?
Que font les hommes dans ce vaste jeu ? Ils participent à toutes sortes d'échanges. Chacun d'eux se tient plus particulièrement, comme une sorte de douanier, en tel lieu ou s'opèrent des échanges matériels ou immatériels, sur lesquels il prélève des taxes : son revenu. Certains douaniers plantent leurs guérites sur des passages plus rentables que d'autres mais là n'est pas, pour l’instant, la question.
Donner une loi unique à ces échanges, celle du marché, c'est les raréfier. Complexifier, multiplier les échanges, c'est forcément, et par des biais inattendus, contribuer à l'emploi des hommes. Or nous aurons besoin de cette enrichissement des échanges, car les idées développées ici pèchent par optimisme, non seulement en surévaluant la capacité des hommes à les mettre en œuvre, mais aussi en s’appuyant sur le principe que nous disposerons longtemps d’un demi emploi par personne. Faites une projection des possibilités d’automatisation d’un grand nombre de tâche et comptez... ! C’est pourquoi une telle réforme arrivera trop tard si nous attendons que la situation nous y pousse. C’est pourquoi la culture est première, la culture qui permet d’agir sous le regard de la conscience et non sous celui des contraintes.
Que chacun divise sa vie professionnelle en deux, et c'est, en plus des avantages qu'il y trouvera, multiplier l'intensité des échanges, multiplier les services, de formation en particulier. On pourrait même aboutir à une pénurie de main d'œuvre. Ce ne serait pas grave, les choses que nous voulons réaliser peuvent attendre sans dommage. Les choses ont le temps.
Ces structures indépendantes relevant d’un projet national auraient un rôle de première importance. Par exemple exercice d’un service civil, obligatoire pour tous mais dont les périodes seraient choisies. Service civil en deux temps, un pour les jeunes gens, un pour les jeunes retraités avec des possibilités d’échanges de compétences bien plus importantes que pour le service militaire. Je serai assez pour que ce service soit obligatoire pour les hommes et au choix pour les femmes pour des raisons qu’il serait trop long de dire maintenant. Autres fonctions possibles : intégration des gens dont on ose dire aujourd’hui qu’ils sont « inemployables », accueil des délinquants non dangereux qu’il est absurde de mettre en prison, personnel formé et disponible pour mettre à disposition des écoles des tuteurs permettant le retrait provisoire des classes des enfants qui les perturbent trop, personnel formé et disponible pour assister les gendarmes, les pompiers, les agents des routes en cas de situations difficiles parce qu’il est absurde d’augmenter en permanence les effectifs de corps qui répondent seuls d’obligations qui concernent toute la société, et évidemment ressource pour aider les personnes âgées, lieu de partage, de création culturelle, lieu d’écoulement d’un surplus de production du jardin… etc..ect.. Allongez vous même la liste pour d’autres rythmes dans les villes...D’autres rythmes dans les campagnes...Temps retrouvé pour se tenir plus près du monde.
Cà fait beaucoup. Il ne s’agit pas de promesses mais de projections, de propositions. Est-ce réalisable ? Est-ce souhaitable ? C’est quasiment sans importance, il suffirait que ce soit décapant, que çà fragilise l’épaisse couche de fatalisme qui encrasse notre pensée. Une pensée qui au lieu de se cabrer contre les réalités nouvelles, tenterait de se lier à elles, quitte à en étrangler ensuite quelques unes dans le mouvement. Le mouvement, le mouvement, voilà ce qui manque à notre société pourtant fort agitée, agitée sur place, qui trépigne qui ne marche pas, qui confond le mouvement avec la mobilité, qui consume la magnifique énergie présente dans les êtres vivants et en fait une pluie de cendres sur les têtes.
Un tel dispositif, appelé à devenir le cœur battant d’un espace géographique et d’un groupe humain, ne répondrait pas seulement à des nécessités pratiques. En organisant, en renouvelant, en inventant toutes sortes d’échanges, il serait l’organe de circulation d’une société vivante. Qui ne voit que la société meure ?
Qu’elle devient une grosse masse amorphe qu’il faut stimuler à coup de pub et de bombes ? Elle est pourtant composée d’individus au potentiel démultiplié par l’accès au savoir et la liberté de mœurs. Dans un contexte de compétition acharnée, ils sont si occupés à faire valoir ce potentiel qu’ils n’en gardent rien pour nourrir le terreau commun.
Un dispositif pour donner de la chair à la démocratie. La démocratie ce n’est pas seulement l’absence de dictateur, c’est un engagement permanent pour un partage qui, à défaut d’être équitable, empêche autant que possible l’exclusion. Lutte contre l’exclusion qui ne répond pas seulement à des préoccupations philanthropiques, mais aussi à l’intérêt bien compris de chacun. L’intérêt, agent destructeur des rapports humains, est aussi agent constructeur. Faire de la politique c’est mettre en place les mécanismes qui, sans prétendre annuler la part destructrice (tentative absurde qui contient le pire), offrent des terres fertiles à la part constructrice. Si nous renonçons (et nous renonçons) à une construction et reconstruction permanente qui implique directement les citoyens, la démocratie réduite au bulletin de vote ne sert plus qu’à désigner des interlocuteurs pour les lobbies et ce sont eux qui commandent.
Impossible là encore d’entrer dans les détails, mais il faut dire qu’une structure de proximité serait un sas très utile entre la sphère privée et la société mondialisée. Les individus utiliseraient ou non ce sas, lieu d’expression d’une magnifique qualité humaine qui fait presque rire : la gentillesse, interdite de fonction politique alors que rien n’est plus précieux pour faire société.
Il est sans doute absurde de charger ce projet de grandes vertus réparatrices avant qu’il ait eu le moindre écho, mais il n’est pas interdit de les évoquer. Au delà des vues concrètes, un aspect essentiel, dynamisant, tient dans l’évocation d’une possibilité d’inversion de notre regard sur le chômage, potentiel à valoriser plutôt que catastrophe. Si au lieu de consacrer nos énergies et nos finances à l’éradication du chômage nous les destinions à la recherche des moyens de vivre avec, nous ferions un grand pas. Les propositions qui vont dans ce sens, même contrariées par le raisonnement ou l’expérimentation, sont un effort pour faire ce pas. Et qui oserait prétende que l’humanité sait marcher, qu’elle n’est pas encore dans l’enfance de la modernité, dans l’apprentissage du langage pour la faire sienne ? Il faut qu’elle s’adapte mais s’adapter, ce n’est pas renoncer à soi même, c’est rechercher le moyen de composer avec ce qui se présente à nous en vue de préserver l’essentiel de ce qui nous constitue.
Nul doute que, confronté à la réalité, ces potentialités révéleraient leur part d’ombre. Mais faut il ne rien tenter ? Faut il que la gauche – si artificielle que me paraisse la division droite gauche c’est à cette part de notre conscience que je rattache ce projet – acquise au libéralisme économique, soit tellement occupée, de crise en crise, à le maintenir en vie qu’elle se détourne de ce qui la justifie ? Oui au libéralisme, oui au salutaire abandon de l’idéologie du grand soir mais non au renoncement de la protection des faibles. Et puisque cette protection n’impose plus la prise de pouvoir par les faibles et les vues insensées sur l’égalité absolue, il faut bien inventer autre chose et cet autre chose fait cruellement défaut
Ajoutons tout de même, nous ne sommes plus à un ridicule près, qu’un pays qui saurait amorcer un vrai travail pour faire cohabiter les hommes avec le progrès et la technique disposerait d’un grand prestige. Le moyen de rendre à la France «sa place dans le monde» serait mieux assuré par une recherche sur les progrès sociaux que par une compétition industrielle ou militaire, perdue d’avance. Le meilleur moyen d’être le premier est d’être l’initiateur, d’être celui qui décale la compétition. Et comment croire que c’est dans le domaine de la croissance économique que la compétition peut continuer à faire rage sans que la rage guerrière gagne l’humanité ? Trouvons d’autres terrains de compétition.
CONCLUSION
Notre consternation se nourrie sans cesse du spectacle d’une société qui ne sait pas tirer parti des avancées techniques. Elles devraient nous libérer de tâches ingrates, faciliter notre relation au temps et à l’espace, elles le font mais dans des conditions qui génèrent beaucoup de souffrances. Savoir que ces souffrances sont probablement passagères et finiront au terme d’une période d’adaptation plus ou mois longue, savoir que dans la longue suite des souffrances de l’humanité, celle ci est tempérée par de réels progrès (celui qui me vient spontanément à l’esprit concerne l’accouchement), nous fourni une maigre consolation et ne nous met pas à l’abri de pressions sociales qui peuvent conduirent à la folie, au suicide collectif par refus d’ouvrir des perspectives. Cela pourrait s’appeler «syndrome du 5/7», du nom d’une boite de nuit où des dizaines de jeunes gens sont morts étouffés à une épaisseur de tôle de l’air qui les auraient sauvé si la pression qu’ils exerçaient sur la porte de secours ne l’avait empêché de s’ouvrir.
C’est un point difficile. Difficile pas compliqué (1). Nous avons besoin d’instruments pour nous adapter. Pour tirer profit de nos inventions, nous ne pouvons pas compter sur une sorte de darwinisme social, nous n’avons pas le temps. Les nouveaux ingrédients de notre vie sont d’une autre nature que ceux fournis par la biologie, nous n’avons pas cent générations devant nous pour les intégrer. Nous avons besoin de volonté. Nous avons besoin de politique. Plus que jamais nous avons besoin de politique alors que nous nous en sommes détourné pour mille bonnes raisons.
Notre rejet des systèmes qui ont conduit à des déroutes sans précédents, piège notre pensée dans la glue de la méfiance et de l’incrédulité. Le véritable avis universel, en dépit des innombrables propositions émanant du yakaïsme de droite ou de gauche, est que nous sommes incapables de fabriquer les instruments dont nous avons besoin.
Il est devenu difficile de croire encore à la réforme, à la possibilité d’action des hommes sur leur destin. Le mot réforme est dévalué par l’abus de son emploi pour désigner des adaptations de détail au jour le jour.
Il est difficile de croire à une grande réforme simple comme celle qui est ici proposée. Une vraie réforme, une réforme organique de la vie sociale. Nous nous prenons bien trop au sérieux pour croire que nos énormes machineries techniques et sociales puissent prendre une respiration nouvelle dans un procédé banal, prendre un peu de mesure dans les besoins individuels de l’homme. Et le besoin individuel de l’homme n’est pas l’individualisme (1).
A terme, la mise en œuvre d’un tel projet reconstituerait des communautés villageoises, y compris dans les villes. Le retour vers une communauté géographique étroite semble d’autant plus réalisable, en plus d’être souhaitable pour être cohérent avec l’idée de remettre l’homme an centre de la partie, que chacun de nous a désormais loisir d’appartenir à une ou plusieurs autres communautés et en conséquence la faculté de moduler une participation au village qui pourrait se réduire au fait d’y posséder son adresse. Que ce village devienne une entité essentiellement animé par des gens disponibles qui jusqu’alors n’étaient que des déclassés, des exclus, des poids sociaux contribuerait beaucoup au lien social (1) Un rapport récent fait état de quatre millions de personnes souffrant de solitude en France !
Evidement, une telle structure rapprocherait le regard et le contrôle de la communauté sur chacun, comme dans un ancien village. Est-ce que ce contrôle, exercé par des hommes libérés des contraintes barbares qui amoindrissent les esprits, serait pire que celui qui se met en place ? (1).
L’exclusion et le chômage sont, en plus des souffrances particulières qu’ils imposent aux êtres (auxquels il ne faut pas ôter toute responsabilité) comme des pierres dans les artères de la société qui souffre dans son entier. Imaginer que l’énergie désemparée qui forme ces concrétions, freins terribles à la circulation des idées, des désirs, de la culture, pourrait au contraire favoriser le flux semble interdit. Les problèmes sont mondiaux, nous n’y pouvons rien. Or ce n’est pas parce qu’un problème est mondial que les solutions sont mondiales. Elles sont mondiales dans certains domaines de normes économiques ou gouvernementales mais l’adaptation, la création d’un mode de vie qui s’accorde à ses données mondialisées demande un changement d’échelle. Eprouver la présence humaine, se lier à elle ne se fait pas seulement à l’échelle du monde ou d’une nation mais aussi d’une communauté plus étroite. C’est une vérité humaine basique, pourquoi lui contester la compétence politique ? La politique c’est vivre avec ceux qui nous entourent, c’est inventer les moyens de vivre ensemble avec des réalités qui nous dépassent. En l’occurrence ces propositions sont parfaitement compatibles avec la mondialisation. Si pour vaincre l’hiver dont le passage a du être si difficile pour tant de générations qui nous ont précédées, nous n’avions disposé que de nos moyens actuels, nous aurions essayé de supprimer l’hiver et pas chercher les moyens de le passer, de vivre avec. Certes dans les temps ou nous avons appris à passer l’hiver l’individualisme était moins répandu. L’individualisme est notre maladie. Nous ne ressentons pas les pierres dans nos artères sociales, nous ne ressentons pas le besoin de l’effort pour les évacuer. Une maladie complexe car en même temps qu’elle nous uniformise en nous rendant propriétaire de nous même (pour l’instant car nous voyons se profiler de nouveaux modes d’intégration qui rendent la liberté obligatoire) elle nous sépare, elle nous déchire, elle nous prive du sens commun. A entendre dans une acception forte, le sens commun est ici l’organe mental qui nous lie à la communauté et dont l’atrophie, inépuisable source de bénéfices pour les «services», est encouragée de mille façons.
Il faudrait pour continuer dans cette direction et aller jusqu’au bout de ma pensée affirmer que nous nous sommes mis dans une situation qui demande certainement beaucoup de réunions internationales autour de la question de la dette mais qui demanderait aussi beaucoup d’hommes qui comprennent qu’il n’est pas possible de faire de la politique, pas possible de vivre ensemble sans une vision poétique du monde, sans un renouveau spirituel.
Nous avons besoin de la spiritualité pas seulement pour nous affranchir de la matérialité mais aussi pour l’aborder avec réalisme, pour avoir la force du réalisme. Elle est une lubrification du réel qui nous permet de l’aborder dans le mouvement, d’en éviter les arrêtes trop vives, elle est une façon de nous incorporer la poésie et la philosophie pour nous aider à vivre, à prendre des décisions. La spiritualité ce n’est pas seulement le refus du confort, c’est aussi du confort, c’est aussi une démultiplication de notre relation aux choses matérielles qui donne le juste coefficient à l’essentiel, qui amplifie notre confort en amplifiant nos facultés d’aimer, d’admirer, de rendre grâce. Elle donne un sens à la vie, elle nous guide sur tous les chemins, de ceux qui empruntent les concepts les plus ardus à ceux qui courent le long de notre vie quotidienne et nous aident à nous tenir, à garder toujours à portée d’œil l’étendue inouïe du miracle d’être en vie.
1 – A bien des endroits, ce texte demanderait des développements, des éclaircissements. Je renvoie à cette note à chaque fois qu’il m’est particulièrement pénible de ne pas les produire ou de les effacer, ce que j’ai beaucoup fait.