J’aurais bien aimé que le titre ne soit qu’une plaisanterie, mais pendant que nous discutons avec toute l’ardeur que requière nos idées capitales du bien fondé de faire plutôt ceci que cela en le faisant comme ci plutôt que comme çà, ce qui justifie que nous ne faisons ni ceci ni cela, des hommes comme le sus nommé changent le monde. Ils ne se contentent pas d’enlaidir au delà de l’imaginable nos entrées de villes, ils se glissent dans les pages de nos journaux pour nous parler économie, politique et même culture, comme je le découvre ce matin à la page 5 du Monde, achetée par M.E Leclerc pour une de ses petites diatribes publicitaires, intitulée «Et si la crise était le pire moment pour sacrifier la culture» surmontée d’une photo du penseur de Rodin sous perfusion.
Soucieux d’alléger nos dépenses (et nos portefeuilles) Michel Edouard défend «l’accès à la culture pour le plus grand nombre» en proposant les produits culturels à prix Leclerc.
Il faut dire les choses très simplement comme elles sont, l’utilisation publicitaire de ce concept d’accès pour tous à la culture est une infamie que, pour ma part, je place assez haut sur l’échelle de mesure des atteintes à la dignité humaine. Une échelle à laquelle j’ai donné un nom qu’il me faut taire pour ne pas devoir entrer dans de trop longues explications. Je trouve regrettable que la publicité ne puissent pas être commentée comme les articles du journal, même si ces derniers ne sont pas complètement ouverts aux commentaires qui doivent passer par la moulinette d’une censure tatillonne et arbitraire.
Infamie car faire croire que la culture passent par une extension de la consommation de biens culturels est une négation de la culture. Les freins à la culture, quand ils se présentent sous les traits de la culture, ainsi que font certains voleurs qui trompent leurs victimes avec un uniforme de policier, sont les plus criminels. Or, l’expansion sans limite du type de commerce dont il s’agit ici est une œuvre sans précédent de destruction de la culture. Non par la vente de produits culturels, il en faut en abondance, mais par la nécessité pour ce genre de commerce de disposer d’une population dont le cerveau soit vidé afin de le remplir de marchandises.
Est il besoin de décrire ici les énormes moyens mis en branle pour ce décervelage ?
M.E Leclerc n’est évidemment pas le seul coupable, la hargne avec laquelle il porte ses idées en fait un symbole. Au demeurant ce ne sont pas ses idées, ce sont celles de la marchandise. Elle a pris le pouvoir, nous a complètement débordé, elle puise dans les réserves disponibles les hommes dont elle besoin pour porter son message. On trouve d’accablantes illustrations de ce débordement par la marchandise dans bien des familles qui croulent sous les objets inutiles, achetés parfois au seul prétexte qu’ils sont en promo et qui encombrent, même pas déballés, les étagères du garage, pendant que la compression augmentent dans les penderies et que les enfants peuvent à peine pousser la porte de leur chambre envahie par la matière plastique.Et il faudrait consommer davantage…
Nous avons grand besoin de la culture pour nous affranchir de cet envahissement qui serait moins grave s’il n’était qu’un aléas dans nos vies d’aujourd’hui. Il est en plus, par la manière dont il étreint la planète, une destruction des vies futures. Chacun le sait y compris Monsieur Leclerc qui agit chaque jour, avec des sacs en plastique recyclable pour préserver la planète.
Après avoir construit ces sortes de camps de consommation à l’extérieur des villes en bétonnant des milliers d’hectares de bonnes terres maraîchères, dans lesquels on vient en voiture, suite au feuilletage des trois livres de pub hebdomadaires, acheter un peu moins cher les produits nécessaires et à n’importe quel prix ceux qui ne le sont pas, c’est à dire après avoir dépensé en carburant et en impôt (pour financer les énormes dégâts sur l’emploi provoqué par le commerce industriel) le triple de ce qu’on économise, on offre réparation en fabriquant des sacs plus solides. Maintenant on s’occupe de la culture avec autant d’efficacité que de l’environnement, en attendant de pouvoir se charger de la santé...etc.…etc.…
Pour montrer à quel point elle est atteinte, il faudrait définir la culture. C’est impossible. Juste une image venue à moi récemment, pour donner une métaphore de sa plus grande réalité, indéfinissable et indépendante de son contenu. Sans la pesanteur atmosphérique, nous n’aurions pas besoin de squelette pour nous maintenir. Dans l’hypothèse où nous existerions sans elle, nous pourrions avoir la forme d’une méduse effilochée. La pesanteur atmosphérique peut être accouplée à l’espace (me semble t’il aucune prétention scientifique ici). La culture serait une pesanteur accouplée au temps. Nous ne pouvons pas abolir la pesanteur atmosphérique. Nous ne pouvons pas non plus abolir la pesanteur temporelle mais nous pouvons lui échapper, anémier notre squelette spirituel, avoir l’esprit comme une méduse effilochée que Mr Leclerc peut sans difficulté bourrer dans son sac en plastique ultra résistant.. Accepter que la culture soit une pesanteur est évidemment assez loin de nos conceptions, lesquelles sont sans doute plus perméables aux réflexions de Mr Leclerc qu’aux miennes.
J’ai lu, je ne peux m’empêcher de lire, à plusieurs reprises les bonnes feuilles de Mr Leclerc. Celle ci m’a spécialement touché par la photo du penseur qui se détache sur le ciel. Dans un texte de fantaisie, ou j’imaginais un procédé pour faire presser le pas aux consommateurs (et dont j’ai découvert depuis qu’il était effectivement au programme marketing des grandes surfaces) j’avais évoqué la présence du Penseur sur un toit de supermarché. Michel Edouard Leclerc m’a tendu la main. C’est ici .