Le maire de Metz, Dominique Gros, lance un appel pour l’hébergement volontaire de 200 à 250 réfugiés syriens. Il annonçait samedi 5 sptembre 2015 au soir sur France 3[1] qu’il donnera lui-même l’exemple. Une réunion s’est tenue en mairie mercredi 9 septembre avec des organisations humanitaires et caritatives, les services de la mairie et la directrice de la DDCS. Chantal et moi y étions invités pour le Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère.
Les engagements de la Ville et de l’État seront très limités. Le CCAS se charge de coordonner l’opération. L’État délivre les visas pour faire venir les réfugiés de Turquie, de Hongrie et d’Allemagne.
Nous ne sommes pas intervenus lors de la réunion. En tant que Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère, nous luttons pour que les services de l’État et de la Ville fournissent les moyens de l’hébergement de toutes les personnes à la rue. L’appel à la charité n’est pas de notre ressort. Intervenir dans une telle assemblée n’aurait servi à rien. Nous nous y sommes sentis littéralement étrangers. Ce monde n’est pas le nôtre. Les vocables qu’emploie Dominique Gros, distinguant sans que personne ne tique, les vrais réfugiés et les migrants économiques (kosovars, albanais, etc.) proviennent d’une langue que nous ne parlons pas.
On a entendu les diverses organisations s’inquiéter. Leurs moyens sont limités. Les familles qu’elles ont déjà sollicitées expriment également toutes sortes de craintes : combien de temps cela va-t-il durer ? Quels sont les risques si j’héberge des sans-papiers en situation irrégulière (sic) ? etc. Malgré ces réserves, il y avait consensus. Désormais, l’accueil des réfugiés ne relève plus des services de l’État ni de la Ville, mais de la charité — enthousiaste par ci, réticente par là — de la population.
Ce désengagement se situe dans la continuité des politiques d’austérité en cours, repeintes, pour l’occasion, aux couleurs de l’altruisme. « Deux cents Syriens, c’est déjà bien pour la fierté d’une ville, n’allons pas trop loin. » répondait Dominique Gros pour apaiser ceux qui craignent un tsunami de réfugiés déferlant sur la ville.
Réflexions sur la « charité »
La charité est une vertu encouragée par toutes les traditions, religieuses ou pas. Il s’agit d’une disposition plus ou moins naturelle, plus ou moins spontanée, qui consiste à faire du bien aux autres. Elle peut supposer des efforts (surmonter l’égoïsme, les préjugés, etc.) et procurer des satisfactions d’amour-propre. Notre Collectif n’a rien contre la charité. Dans notre action quotidienne auprès des populations en détresse, il nous arrive de céder à nos penchants charitables. Parfois de bon cœur, parfois en grinçant des dents.
Mais toujours nous tenons bon sur un principe : le logement pour tous, sans condition et sans rupture, est un devoir pour l’État et pour la Ville. Le maire n’est pas le maire des Messins, mais de toute la population vivant sur le sol de sa commune. Il est le maire des Kosovars à la rue et des familles roumaines éjectées d’un bidonville (à son initiative, qui plus est). Pas en tant que personne, peu importe qu’il s’appelle Gros, Rausch ou Tartempion, mais en tant que fonction.
L’État et la Ville devraient se coordonner pour répondre aux besoins des populations en détresse actuellement présentes. Aujourd’hui, on les voit se coordonner pour faire le contraire. Voilà qu’arrive l’horrible image de l’enfant mort, victime des politiques du rejet. Aussitôt, l’État et la Ville mobilisent non pas les moyens qui leur sont propres, mais l’émotion populaire pour un appel à la générosité.
Je parle ici en mon nom, et je relaierai les remarques de mes amis du Collectif. Moi, j’espère de tout cœur qu’un maximum de réfugiés syriens y trouve son compte. Chaque être humain sauvé de la misère et du désespoir est une victoire. Mais notre Collectif réfute cette logique.
Charité et politique
La charité est un acte libre, au moins formellement, si l’on met entre parenthèses la pression morale ou affective qui peut la motiver. En principe, je donne ce que je veux, à qui je veux, si je veux. D’autre part, elle est désintéressée, le geste charitable n’escompte pas de retour : donner sans compter […] se dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons Votre Sainte volonté, ainsi parlait en son temps François d’Assise.
Cependant le bénéficiaire d’un geste désintéressé, peut se trouver en position inconfortable. Inévitablement, il ressent une dette de reconnaissance envers son bienfaiteur. C’est pourquoi nous sommes nombreux à préférer le don anonyme. Un organisme collecte puis redistribue les dons. Celui qui les reçoit ignore qui sont les donateurs. Sa dette de reconnaissance n’ira pas vers un bienfaiteur identifié. S’il veut s’en acquitter, symboliquement, dans la mesure de ses moyens, il portera aide et secours à d’autres personnes dans le besoin.
En théorie, si chacun d’entre nous s’obligeait à des gestes quotidiens de charité, même minimes, le monde irait mieux. Les réseaux de solidarité, informels par-ci, organisés par-là, constituent un véritable trésor pour la société qui gagne en humanité.
Cependant, cette charité, même anonyme pose deux problèmes.
Le premier problème concerne le ciblage. Chacun d’entre nous a ses préférences, ses sympathies. Untel marquera plus volontiers sa sollicitude à l’égard d’un coreligionnaire persécuté dans quelque dictature. Tel autre éprouvera de la compassion pour les enfants malades, ou les chiens abandonnés, etc. Il en résulte que des besoins légitimes peuvent être globalement ignorés. La compassion populaire, par définition, est toujours sélective, émotionnelle, manipulable et forcément irrationnelle. Elle est apolitique au plein sens du terme, c’est-à-dire ignorante de ce qui se passe réellement dans la société.
Le second problème, c’est la tentation de certains états à déléguer leurs compétences à l’initiative privée. L’aide due aux personnes en détresse relève de la responsabilité de l’État et des communes. Au regard de la loi, il n’y a pas de bon ou de mauvais pauvre, ni de réfugié digne ou indigne. L’exemple de Metz et de la Moselle est éloquent. Le préfet et le maire abandonnent à la rue des demandeurs d’asile, ainsi que des réfugiés reconnus par l’Ofpra. Ils évacuent une vingtaine de pauvres gens d’un bidonville sans anticiper leur relogement. Enfin, ils se défaussent de l’accueil aux réfugiés syriens en faisant appel au bon cœur des Messins.
Un choix de société
Transférer les missions normalement dévolues à l’État et à la Ville vers l’initiative privée individuelle n’est pas un choix neutre. Il s’inspire directement des préconisations de l’Institut de l’Entreprise, ce think tank patronal qui voudrait importer en France le modèle de la Big Society de David Cameron. Encensé par le magazine Time comme une « formidable tentative de libérer l’esprit entrepreneurial », il consiste à faire reposer l’aide sociale sur la philanthropie[2]. Sous couvert d’humanitarisme, Metz pourrait figurer parmi les villes pionnières de ce conservatisme new look.
Ce que certains appellent misère, précarité ou exclusion n’a rien d’une calamité naturelle. C’est le résultat d’une politique qui ne fait pas que des malheureux. Ceux qui en profitent et ceux qui les servent déploient des trésors d’ingéniosité pour que cet état social se perpétue. L’appel à la charité fait partie de leurs ruses.
Les militants du Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère respectent la charité, d’où qu’elle vienne. Mais ils n’accepteront jamais qu’elle serve d’alibi à une politique assurant la richesse des uns par la misère des autres.
Éric Graff
Porte-parole du Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère
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Autres réflexions :
1° Une question de Chantal :
Héberger une personne sans domicile est un acte extraordinaire. En tout cas depuis 1945.
Il me semble qu’il convient d’avertir les candidats à ce geste de solidarité. En effet, l’arrivée des réfugiés syriens ne s’accompagne pas d’une modification des règles d’une société à dominante individuelle : elles s’appliquent à cet « acte collectif ».
Quelques questions. Il serait juste que la municipalité donne les réponses de manière officielle.
¨ Je suis locataire. Le contrat de bail m’autorise-il à accueillir pour plusieurs semaines (plusieurs mois) une famille ?
¨ Je suis locataire ou propriétaire, j’ai une assurance du logement. Si un sinistre se produit dans mon habitation, la présence des réfugiés peut-elle être une cause de perte d’assurance ? En particulier si le sinistre est causé par les réfugiés ?
¨ Un réfugié se blesse dans mon habitation. Puis-je être tenu responsable ?
¨ Le réfugié est-il autorisé à donner mon adresse lors de ses démarches administratives ?
¨ Pourrai-je prendre compte pour mon IR les dépenses que j’engage ?
Etc.
Si des structures collectives / publiques avaient été mobilisées, la plupart de ces questions (sinon toutes) disparaîtraient.
2° Petite rêverie…
Au cours de cette réunion assez terne, je me suis pris à rêvasser. Et si j’accueillais chez moi un couple de réfugiés ? Ils se lèveront chaque matin dans leurs petits souliers, les yeux mouillés de gratitude. Ils s’excuseront du pain tiré de ma huche et de l’eau tirée de ma cruche. Ils endureront mes logorrhées et mes silences. Ils acquiesceront à mes certitudes, riront de mes platitudes. Ils supporteront mes humeurs et s’interdiront d’avoir les leurs. Ils diront merci à mes cuistreries. Maître chez moi, je soufflerai le chaud de ma mansuétude, ou le froid de ma morgue selon mon caprice. Le bonheur.
[1] Voir ici: http://france3-regions.francetvinfo.fr/lorraine/emissions/jt-1920-lorraine
prendre l’édition du 5 septembre, entre 3’10 et 5’10
[2] Voir Le Monde Diplomatique de décembre 2014, De Coluche à David Cameron par Benoît Bréville.