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Billet de blog 18 octobre 2022

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Metz, ville « amie des enfants » — tous les enfants ?

Lettre ouverte au Comité français pour l’UNICEF dans le cadre de sa convention passée avec la ville de Metz « amie des enfants »… tous les enfants, sauf trois.

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Éric Graff, militant du Collectif Mosellan pour le Droit au Logement (CMDAL)

Au Comité Français pour L’UNICEF, 3 rue Duguay-Trouin, 75282 Paris Cedex 06

Illustration 1
Campement de la famille N..., square du Luxembourg à Metz © Eric Graff

Objet : Droit au logement et convention « Ville amie des enfants » passée entre l’Unicef et la ville de Metz

Madame, Monsieur,

Notre collectif défend le droit inconditionnel au logement (ou au minimum à l’hébergement) pour toute personne se trouvant à la rue contre son gré. Nous utilisons différents leviers : la justice, les médias et l’action militante. Dans les situations de détresse, nous agissons en coopération avec des organisations qui, dans l’attente de voir ce droit satisfait, viennent en aide aux personnes en détresse dans la rue. Et nous sommes particulièrement sensibles à l’horreur que représente pour un enfant la privation d’un lieu sûr et abrité.

C’est pourquoi nous avons noté avec satisfaction le renouvellement de la convention « Ville amie des enfants » passée entre l’Unicef et la ville de Metz. En adossant sa politique à une organisation engagée dans la défense des droits de l’enfant, la ville de Metz prend des engagements qui vont dans le sens de notre action. Le droit pour tout un chacun, mais plus particulièrement pour un enfant, d’être logé ou hébergé, est primordial et conditionne les autres droits : le droit à l’éducation, à la citoyenneté et au plein exercice de ses libertés.

Nous sommes convaincus également qu’un tel engagement prend tout son sens sur la base de décisions concrètes qui garantissent le droit au logement sans condition préalable, quelle que soit la situation administrative des parents, à moins d’inverser la hiérarchie des normes et subordonner les droits fondamentaux des enfants à d’autres considérations.

Nous sommes au regret de constater que la ville de Metz ne respecte que partiellement son engagement puisque malgré nos demandes répétées et malgré les actions de sensibilisation que nous menons inlassablement, elle persiste à laisser vivre à la rue un couple et trois enfants âgés de 6 à 15 ans.

Illustration 2
Manifestation devant l'hôtel de ville de Metz en soutien à la famille N...

P. et J. N…, et leurs enfants, ont fui la RD du Congo en 2014 pour Naples où leur a été reconnu le droit à une protection subsidiaire. Victime de discriminations et d’attaques racistes, la famille a cherché refuge à Lille où, mal conseillée par les services de l’État, elle a renouvelé sa demande d’asile, dont elle a ensuite été déboutée. Chassée du Centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) de Tourcoing, elle s’est vue enjointe de venir à Metz où elle vit à la rue depuis début juillet. Le préfet de Moselle a donné au service d’accueil d’urgence (le 115) ordre de n’accorder aucun hébergement à cette famille.

Le préfet de Moselle prend prétexte d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui aurait été délivrée en juillet à cette famille par le préfet du Nord. Malgré nos demandes répétées, malgré une démarche auprès du TA de Strasbourg, ce document reste invisible, au point que nous pouvons douter de son existence. Les services de l’État mentent, allant jusqu’à prétendre dans un mémoire adressé au TA de Strasbourg qu’une copie de ce document m’aurait personnellement été remise le 16 août.

C’est sur la base de ce document « fantôme » que le préfet, en lieu et place d’un hébergement de droit commun, impose à la famille N… de se rendre dans un dispositif d’aide au retour volontaire dans le pays d’origine, à Vitry-sur-Orne. Même si, effectivement, la famille peut recevoir dans un tel centre un abri et quelques moyens de subsistance, il s’agit en réalité selon les termes employés par le Maire de Metz, Monsieur François Grosdidier, d’un « sas complémentaire aux mesures coercitives de reconduite à la frontière », autrement dit une version adoucie, voire la simple antichambre de la prison dite « Centre de Rétention Administrative » où, à Metz, ont été incarcérés des enfants de deux ans avant leur reconduite forcée aux frontières.

Cet été, la famille a vécu sous tente au camping municipal de Metz. Elle y a subi les canicules, puis les pluies torrentielles et les premiers froids. Le 9 octobre, à la fermeture du camping, avec notre soutien, elle a dressé sa tente sur un square voisin. En attendant l’issue de nos démarches juridiques en direction de l’État, nous avons demandé au maire de Metz de mettre en œuvre les dispositions du droit local d’Alsace-Moselle inscrites à l’article 511-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles, obligeant la commune à donner un abri à toute personne dénuée de ressources et âgée de plus de seize ans.

La ville de Metz dispose, selon les derniers chiffres de l’INSEE, de 8 700 logements vides, dont 2 000 au moins sont directement habitables et dont une grande partie fait partie du patrimoine de la ville. Il ne s’agit donc pas d’un manque de moyens, mais d’une décision de portée politique. Entre l’hébergement que la ville aurait les moyens d’offrir, en toute légitimité, et la raison d’État, le maire a choisi. Il persiste et signe dans sa réponse du 14 octobre 2022 :

« L’État nous a assuré avoir proposé de loger sans délai la famille N….  Cette dernière a néanmoins refusé l’offre faite.

L’État ayant la responsabilité du logement de cette famille et nous ayant assuré pouvoir être en capacité de le faire, la Ville de Metz n’a pas à offrir un logement social au détriment de demandeurs n’ayant pas d’autres choix.

Il appartient à la famille N… d’accepter les propositions d’hébergement faites par l’État. »

Vous constaterez donc que le droit des enfants ne figure pas concrètement au plan des priorités de cette ville « amie des enfants », de tous les enfants, sauf trois qui vivent sous une tente derrière un arrêt de bus sur un talus.

Nous sollicitons un appui de l’Unicef à notre démarche. Nous espérons qu’avec votre aide, sans nécessairement résilier la convention qui vous lie à une collectivité faisant volontairement preuve sur son territoire de manquements graves à l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, vous saurez convaincre le maire de Metz de se déprendre de la « raison d’État » pour renouer avec la raison commune.

Éric Graff, militant du Collectif Mosellan pour le Droit au Logement

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