Eric111

Abonné·e de Mediapart

45 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 juin 2013

Eric111

Abonné·e de Mediapart

Non à la fermeture du Centre Baudelaire de Metz!

Eric111

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Non à la fermeture du Centre Baudelaire de Metz !

Un lieu d'accueil pour les toxicomanes


Créé en 1990, le Centre de soins Baudelaire, installé dans la rue la plus commerçante de Metz, accueille chaque année environ 700 personnes souffrant de diverses addictions, essentiellement des toxicomanies, mais aussi de dépendance à l'alcool ou aux jeux. Elles y reçoivent l'écoute, les conseils et les soins, tant médicamenteux que psychothérapeutiques, d'une équipe constituée d'un cadre, d'infirmiers, d'une éducatrice spécialisée, d'un psychiatre (engagé à 0,6 Équivalent Temps Plein), d'une psychologue et d’un médecin-chef. Les consommateurs d'alcool y sont traités avec des médicaments en expérimentation nécessitant un suivi régulier. Les patients peuvent être adressés par les services judiciaires, les médecins libéraux ou les travailleurs sociaux.

À l'origine, ce service était assimilé à un CMP (Centre médico psychologique) administré par l'Intersecteur de la pharmacodépendance de la Moselle. Le soin aux toxicomanes était inscrit depuis 1970 au Chapitre 47-15 de la Loi de Finances et constituait donc une obligation fixée à la société par la loi et financée par le budget de l'État.

Selon le Dr Jacob, psychiatre, à l'initiative de cette création, l'hôpital psychiatrique à lui seul, ne pouvait et ne peut pas faire face au problème avec ses seuls moyens. Les toxicomanes ont besoin, en amont et en aval des hospitalisations, de lieux spécifiques et permanents pour des suivis sans contrainte car le facteur le plus important de réussite est de garantir la continuité des soins. Entre la police qui selon la loi, réprime les comportements liés de près ou de loin aux addictions et l'hôpital qui traite les maladies du corps, il manque une approche tenant compte de la dimension psychique. « L'addiction, ce n'est pas que dans les pieds, c'est aussi dans la tête », rappelle le Dr Jacob, aujourd'hui à la retraite, mais dont toute la carrière, spécialisée dans le domaine des toxicomanies, était vouée au service public. Dans les hôpitaux de Metz et environs, précise-t-il, un tiers des entrants présente des problèmes d'addiction à l'alcool, aux médicaments ou aux substances interdites, et seuls 4 % des alcooliques sont réellement pris en charge par an.

Le coût du service

Les services publics ont un coût. Pour 700 patients et 3 500 consultations annuelles à Metz et 500 patients suivis à Thionville le Centre Baudelaire coûte 800 000 € par an, soit, si l'on veut raisonner de façon arithmétique, la somme apocalyptique de 666 € par patient et par an dans un contexte où la réduction des déficits publics est devenue la norme. Ne vaudrait-il pas mieux expédier ceux que certains qualifient de « traîne-savates » directement à la place que leur assigne la loi, c'est-à-dire la prison ? Du point de vue d'une certaine morale du travail et de la rigueur, cela se comprendrait, mais du point de vue financier, c'est un mauvais calcul : un détenu coûte en France 32 000 € par an, soit 48 fois plus cher, selon la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive., Le Centre Baudelaire peut se prévaloir, à moindre coûts, de résultats tangibles : à Metz, en 1985, le taux de transmission du VIH était de 15 % parmi les toxicomanes, il est aujourd'hui proche de 0 %. Pour l'hépatite C, il est à 40 % alors que la moyenne nationale est à 65 %. Ce qui, dans une ville qui doit une partie de son rayonnement touristique à la qualité exceptionnelle des substances illicites qu’on y vend, (rapport à paraître) mérite d’être salué.

Supprimer le Centre Baudelaire serait donc une initiative à laquelle personne ne songerait sérieusement, pas même du temps où il était ministre du travail, de l'emploi et de la santé, Xavier Bertrand qui, s'étonnait des inquiétudes de l'Association de services publics de soin en Addictologie (ASPSA) : « Je vais réformer les statuts de vos institutions, mais cela ne changera rien. »

Une réforme qui ne change (presque) rien

Il s'agissait d'une réforme de rien du tout, consistant à déqualifier le Centre Baudelaire pour le faire passer du statut de CMP « Centre médico-psychologique » à celui de CSAPA ou « Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie ». La réforme devait modifier à peine deux détails. Le premier détail, c'est que l'on passe d'une logique du soin à une approche plus large intégrant la dimension sociale. L'équipe soignante souscrit totalement à cette innovation, à ceci près qu'elle n'a jamais été suivie d'effet : à ce jour aucun travailleur social n'a été nommé pour apporter sa contribution. Le second détail, c'est que la gestion du CSAPA revient au Centre Hospitalier Spécialisé de Jury dont le directeur, Michel-Léopold Jouvin, se défend de vouloir fermer le Centre Baudelaire : « Il n'y aura pas d'arrêt brutal du Centre Baudelaire en octobre. Il y a eu un malentendu. », déclare-t-il dans un article du Républicain Lorrain paru le 24 mai courant.

Dénégations

 « Notre volonté n'est, évidemment, pas de fermer le centre Baudelaire. », insiste le directeur de l'hôpital. Même non prévenu, le lecteur candide subodore dans ces protestations quelque motif à s'interroger : pourquoi dépenser tant de salive à annoncer ce qu'on ne va pas faire ? En psychanalyse, la dénégation fait partie des mécanismes de défense qui permettent au sujet d'exprimer son désir le plus inavouable en se drapant dans la vertu qui le retient d'y donner libre cours. C'est ainsi que lorsque Michel-Léopold Jouvain annonce à des fonctionnaires qui se pensaient à l'abri de la précarité : « Qu'on se rassure, il n'y aura personne à la rue » ceux-ci, malgré leur bonne volonté, se posent inévitablement de mauvaises questions, même s'ils savent que la France n'est pas (encore) la Grèce : on n'y met pas les fonctionnaires à la rue, on les redéploie, c'est-à-dire que l'on disloque des équipes de travail au mépris de leur expérience commune et de la culture professionnelle qu'ensemble ils ont développée au fil des pratiques.

L'histoire du chaudron

On trouve dans « Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient » de S. Freud, l'histoire absurde d'un type qui accuse son voisin à qui il avait prêté un chaudron de le lui avoir rendu percé. Le voisin accusé se défend : « Primo, je ne t'ai jamais emprunté de chaudron. Secundo, il avait déjà un trou lorsque je te l'ai emprunté. Tertio, je t'ai rendu le chaudron intact. »

La blague n'est pas des plus désopilantes, à peine s'agit-il d'un sophisme dont il est permis, selon Freud, de « douter de son caractère de mot d'esprit », et même le Dr Jacob n'est pas franchement hilare quand il perçoit les analogies avec les explications embarrassées du directeur de l'hôpital psychiatrique, qui font figure d’un pastiche du mot d’esprit cité par Freud : « Primo, ce n’est pas vrai que je ferme le Centre Baudelaire. Secundo, des centres comme ça, il y en a déjà beaucoup trop, donc c'est normal que j'en ferme un. Tertio, les locaux sont vétustes. Et puis d’ailleurs, quarto, je tiens à préciser que ce n'est pas moi qui ai décidé la fermeture, c'est l'A.R.S. »

L’A.R.S. ou Agence Régionale de Santé

L'A.R.S. était en phase de réflexion quant à une meilleure répartition des moyens médico-sociaux des CSAPA sur la Moselle. Il en existe effectivement d'autres dont l'un est rattaché au C.M.S.E.A (Comité Mosellan de Sauvegarde de l'Enfance, de l'Adolescence et des Adultes) dont la fermeture pourrait donner lieu à un plan social et des indemnités de licenciement. Avec les fonctionnaires du Centre Baudelaire, c’est plus facile, on vient de le voir, il suffit de redéployer. Avec le recul, on comprend mieux l’esprit de la réforme-qui-ne-change-rien initiée par Xavier Bertrand : avant, il y avait un seul CMP dont le budget, fléché par la Loi de Finances, était directement fourni par l’A.R.S., dont l’existence ne pouvait pas être mise en cause et dont la gestion échappait au directeur du Centre Hospitalier de Jury. Par le seul jeu des changements de statuts, la Moselle passe d’un CMP unique à une dizaine de CSAPA ou antennes de CSAPA, désormais interchangeables, ce qui ouvre des possibilités intéressantes aux gestionnaires qui ont fait de l’austérité budgétaire leur religion. Désormais, comme disait un président, tout est possible. Par exemple, on ferme le Centre Baudelaire, et on envoie les professionnels fournir leurs prestations au CMSEA qui les paie à l’acte. Les bonnes idées sont les bienvenues, et c’est l’ensemble du personnel qui est convié à rivaliser de créativité. « M. Jouvain ferme Baudelaire et en échange il vous fait le cadeau d’une comète sur laquelle il ne vous reste qu’à tirer les plans. », ironise le Dr Jacob.

Vérification faite, l’A.R.S. n’a jamais ordonné la fermeture du Centre. Il s’agit d’une initiative dont la responsabilité revient au seul directeur de l’hôpital dans le but « d’atteindre un objectif d’excédent budgétaire de 6 % ! », dénonce le Dr Pannetier, psychiatre, Chef du Pôle 2 du Centre Hospitalier de Jury. Il ajoute : « Cette décision a été prise brutalement, précipitamment, sans concertation, sans préparation, sans en avertir le chef de pôle, contre l’avis de l’ensemble des soignants du service, du pôle et de la quasi-totalité des médecins de l’hôpital et alors que le projet d’établissement et projet médical du pôle sont encore en cours d’élaboration. »

Les personnels du Centre, dénoncent une décision qui, « prise sans la moindre concertation, ne prend en compte, à aucun moment, les réalités du terrain. Comment redéployer une équipe, bien sûr, mais surtout comment proposer une continuité et des soins de qualité à 700 patients en si peu de temps ? Il semble que même les services concernés de l’A.R.S. ne comprennent pas une telle précipitation. »

La riposte

À l’initiative de la CGT, des actions sont menées afin de faire barrage à cette décision désastreuse. Une pétition en ligne a été lancée (v. plus bas). Le maire de Metz, Dominique Gros, dont l’adjointe aux affaires scolaires, Danielle Bori, est déléguée CGT du CH de Jury, soutient la lutte du personnel du Centre. Même la députée UMP Marie-Jo Zimmermann et le sénateur UMP de Moselle, Jean-Louis Masson interpellent dans un courrier daté du 31 mai courant le directeur général de l’A.R.S. : « Nous souhaitons savoir si effectivement l’A.R.S. a préconisé une telle fermeture. Si oui, l’absence de concertation avec les diverses parties prenantes nous semblerait tout à fait inadmissible. Une telle décision est en effet très importante et elle ne doit certainement pas être prise à la sauvette. » Ils apportent leur « soutien sans réserve aux protestations qui se multiplient localement contre la décision prise. »

La leçon de l’histoire

Comme on le voit, la lutte menée par le personnel du Centre Baudelaire rencontre un écho qui dépasse largement le champ de la toxicomanie. Les raisons du succès peuvent se comprendre d’un point de vue psychologique. On peut se sentir directement concerné, dans une société qui offre aux riches ses paradis fiscaux et aux pauvres ses paradis artificiels. Même ceux qui ne fréquentent ni l’un ni l’autre éden connaissent dans leur entourage proche des personnes qui se débattent dans des problématiques d’addiction et à qui la société doit une solidarité intelligente et généreuse, comme celle qu’ont développée, au fil des avancées de la science et des leçons de la pratique, des centres de soins comme celui-ci.

Les déficits hospitaliers publics sont, hélas, d'actualité, il convient certes de s'en préoccuper, mais il ne faudrait pas que, pour les directions de ces établissements, comme cela est le cas à Metz et même si les menaces cessent, les budgets des dispositifs de soins pour les alcooliques et les toxicomanes deviennent les « variables d'ajustement » des finances et des moyens de la psychiatrie ou des services médicaux. Les menaces et mesures en cours à Lille à Nice et ailleurs ne doivent pas non plus perdurer.

Mais bien au-delà du champ de la drogue et des soins, c’est le processus global qui mérite d’être analysé. La fermeture d’un Centre de Soins constitue une variante du démantèlement général des services publics dont les pouvoirs néo-conservateurs et post-socialistes de toute l’Europe ont fait l’unique horizon politique. La rigueur budgétaire est devenue la religion dominante, elle compte ses papes, ses ayatollahs, ses théologiens et ses petits curetons. Tous ensemble, à coup de RGPP et de MAP, sacrifient le Bien Public sur l’autel de l’Austérité.

Le mode opératoire varie du passage en force (cf. la méthode Woerth pour la réforme des retraites) aux procédés les plus sournois. C’est ainsi que le personnel du Centre Baudelaire se trouve d’abord mis devant le fait accompli d’une modification de statut qui ne change rien : on est toujours là, dans les mêmes locaux, la même équipe, le même budget. On se croit toujours sur la terre ferme, on continue de marcher. Et l’on découvre brusquement, comme dans les dessins animés de Tex Avery, qu’on flotte dans le vide. Il se produit alors un effet comique : le personnage ne tombe que lorsqu’il prend conscience du fait qu’il se trouve en haut de l’abîme.

La solidarité avec la lutte contre la fermeture du Centre Baudelaire revêt donc une signification plus générale que nous devons tous garder à l’esprit. D’autres services publics — éducation, santé, solidarité, justice, etc. — ont été gravement touchés. L’union de tous contre cette politique est plus que jamais d’actualité.

Éric Graff, citoyen de Metz

*
* *

Texte de la pétition :

Non à la fermeture du Centre Baudelaire de Metz

700 PATIENTS A LA RUE !

Le Directeur du Centre Hospitalier de Jury a décidé de procéder à la fermeture du Centre de consultations Baudelaire de Metz.

Ce centre de soins prend en charge depuis une vingtaine d’années des personnes souffrant d’addictions et notamment de toxicomanie.

En 2012, 700 personnes ont bénéficié d’une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire (psychiatres, psychologue, éducateur, infirmiers).

Une telle décision entraînerait une réelle catastrophe humaine, plus de 700 personnes actuellement stabilisées seraient en rupture de soins.

C’est un réel risque de détresse psychologique, sociale et sanitaire sur Metz et son agglomération.

Tout un travail de partenariat et de réseau serait démantelé (AIEM, médecins généralistes, hôpitaux, suivi judiciaire, réseau précarité, structures scolaires, …)

Nous refusons la fermeture du Centre Baudelaire et appelons le soutien et la mobilisation de la population et des professionnels.

Signer ici :

http://www.activism.com/fr_FR/petition/non-la-fermeture-du-centre-baudelaire-de-metz/43905

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.