Erica Farges

Abonné·e de Mediapart

50 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 janvier 2018

Erica Farges

Abonné·e de Mediapart

«A Ghost Story»: mémoire fantomatique

Après sa mort, le fantôme d’un homme (Casey Affleck) rend visite à sa femme (Rooney Mara) dans la maison qu’ils partageaient autrefois… A Ghost Story a remporté le Prix du Jury, ex-aequo avec Brooklyn Yiddish (Menashe), au Festival du cinéma américain de Deauville 2017.

Erica Farges

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après un couple de criminel dans Les Amants du Texas (Ain’t Them Bodies Saints, 2013), David Lowery fait de nouveau appel au duo Affleck/Mara pour incarner les amants de A Ghost Story. Ici, ce n’est pas la loi et la justice qui est la cause de la séparation tragique du couple, mais la mort.

Illustration 1

À partir du moment où sa femme quitte la morgue, le film adopte principalement le point de vue du fantôme. L’originalité de A Ghost Story est de montrer comment le fantôme de cet homme assiste impuissamment au deuil de sa femme et à la transformation de l’environnement qu’il habitait de son vivant, plutôt que de le faire apparaître par une absence devenue insupportable pour sa femme endeuillée. Le récit se construit sur un hors champ supposé, une sorte de présence-absence évanescente, brumeuse, et sur la mémoire des personnages, mais aussi sur celle des lieux. A Ghost Story propose une réflexion sur la nature même de la mort.

Les intentions du film sont directement annoncées par le simple titre du film : A Ghost Story est l’histoire d’un fantôme, le fantôme dans sa forme la plus basique, la plus enfantine (d’ailleurs les seuls être vivants capables de le voir à certains moments sont des enfants), un drap, le même qui recouvre le corps de l’homme à la morgue, avec deux trous pour les yeux. Il est emprisonné dans l’espace de son ancienne maison et dans des boucles temporelles, entre chronologie terrestre et éternité. Les fenêtres, au lieu d’être une ouverture vers l’extérieur, accentuent son encloisonnement dans cet espace par un effet de sur-cadrage, sur-cadrage également crée par le filmage en format 4/3.

 A Ghost Story est un film audacieux, qui effectue une prise de risques réussie. C’est un film avec une distribution prestigieuse, Casey Affleck et Rooney Mara, qui au lieu de surexposer les acteurs sur l’écran joue plutôt sur leur effacement, leur absence, physique. Le visage et le corps de Casey Affleck disparaît sous le drap fantomatique, tandis que Rooney Mara est absente de l’écran, physiquement en tout cas, pendant la majeure partie du film. Le film utilise beaucoup de codes du cinéma indépendant (réflexions philosophiques, un rapport au temps non-linéaire avec un jeu sur le rapport à l’espace également, présence de dialogues non-oraux, de longs plans-séquences contemplatifs à la Chantal Akerman, une esthétique arty et minimaliste…) sans se laisser alourdir par eux. A Ghost Story ne se contente pas d’utiliser ces éléments de manière gratuite afin de rentrer dans la case « film d’auteur », ils participent vraiment à la construction d’un récit et d’une mise en scène originales et propres à ce film qui repose sur un espace cinéma unique avec un montage elliptique et des combinaisons narratives innovantes, il évite ainsi d’être juste un film pesant et prétentieux. Son seul défaut est une fin qui peut paraître un peu tirée par les cheveux. Défaut pardonnable, tant A Ghost Story dégage une vraie poésie mélancolique et sincère qui transforme l’espace-temps.

Erica Farges  

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.