Marco Martins a choisi un quartier populaire de Lisbonne ravagé par la crise économique qui a touché le Portugal il y a quelques années comme décor de son film Saint Georges (São Jorge, 2017). Jorge (Nuno Lopes), un boxeur sans emploi, dont l’ex-femme veut repartir au Brésil avec leur fils, décide d’offrir ses services à une société de recouvrement. Dans l’espoir de sauver sa famille, Jorge paye ses propres dettes grâce à l’argent qu’il gagne sur les dettes des autres.
L’acteur Nuno Lopes avait fait part de son désir de travailler dans un film sur la boxe. C’est en visitant des gymnases et en rencontrant des boxeurs portugais que le réalisateur s’est rendu compte de leur situation : la plupart travaillent comme garde de nuit, car la boxe est surtout pratiquée à un niveau amateur au Portugal et ne rapporte pas assez. Avec la crise, les sociétés de recouvrement ont commencé à faire appel à leurs services pour intimider ceux qui ne payent pas leurs dettes. C’est de là qu’est née l’idée de ne pas faire de la boxe le sujet central du film, mais de l’utiliser comme moyen de pénétrer dans la vie du protagoniste pour montrer un combat social et moral. Le film part donc d’une situation globale, la crise économique au Portugal, pour montrer son impact sur la vie personnelle de ceux qu’elle touche à travers le dilemme auquel se retrouve confronté Jorge. La performance de Nuno Lopes, qui n’avait jamais fait de boxe et qui a pris vingt kilos de muscles pour ce rôle, est impressionnante et prend aux tripes. Les émotions et les pensées de Jorge passent souvent plus par le corps que par la voix, c’est un personnage qui est surtout dans l’action et dans la survie, il n’a pas le temps d’élaborer un discours. Cette communication non-verbale parvient à construire un personnage complexe à plusieurs facettes, Jorge enfile des costumes pour monter sur le ring ou quand il travaille pour la société de recouvrement. Le film joue avec la brutalité et la naïveté de Jorge, ce dernier se rend compte trop tard que son travail pour la société de recouvrement n’est pas un jeu et qu’il a des conséquences sur la vie réelle. Bien qu’abordant une question sociale où la responsabilité des individus est remise en cause en faisant appel à de l’empathie vis-à-vis des personnages, la dimension contemplative et réflexive du film laisse à chacun le libre arbitre de se faire sa propre opinion sur la situation. C’est un véritable drame social que nous présente ce film, du Ken Loach à la portugaise.
Le réalisateur a fait le choix d’associer documentaire et fiction en intégrant au film des discussions d’acteurs non-professionnels, un élément indispensable pour montrer le quotidien des personnes victimes de la crise selon lui : « Des acteurs n’auraient pu remplacer ces personnages de la vraie vie que je rencontrais. ». C’est la rencontre du réalisateur avec ces « vraies personnes » qui a permis de définir les sujets abordés dans Saint Georges. La spontanéité, ainsi que la liberté, du documentaire et l’intégration d’acteurs non-professionnels permet au film de dégager une grande vitalité tout en traitant d’un thème dur et en présentant une esthétique souvent sombre par le quotidien des habitants du quartier, leurs discussions et les fêtes.
Erica Farges