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Pour reprendre l’attaque d’une tribune publiée dans le quotidien Le Monde le 3 novembre 2023, « à chaque étape du conflit israélo-palestinien, il est réclamé de ne pas l’importer en France. »
Ne pas importer cette histoire en France, ne pas l’invoquer dans tout et n’importe quoi… Je l’ai encore entendu dimanche dernier, cette attente, jusque dans la bouche d’un de mes amis les plus chers, à propos de la présence de drapeaux palestiniens dans le défilé du 1er mai, le défilé de la fête des travailleurs. Et lue aujourd'hui dans un commentaire d'une "story" publié sur FB par l'un de mes contacts.
En moi alors, une espèce de mélange de sidération, de tristesse, et de rage intérieure impuissante.
Je vais finir par vomir au sens littéral du terme toutes les formes d’invitation à chasser de devant nos yeux, et se faisant de nos esprits, ce qui se passe actuellement dans la bande de Gaza et «les environs de cette bande ».
Oui, c’est vrai, c’est un fait établi, l’essence du défilé de la fête des travailleurs n’est pas de manifester de la réprobation à l’encontre de ce qui se passe actuellement dans la bande de Gaza et «les environs de cette bande ».
Mais… de quoi parle-t-on ? Un simple conflit militaire comme celui qui opposa l'Argentine au Royaume-Uni en 1982 ? A l’une de ces « banales » guerres internes, telles que celles vécues en ex-Yougoslavie, en Libye, en Syrie, au Yémen, au Sud-Soudan, ou encore au Tigré en Éthiopie, en raison de la fragilité des États et des régimes en place ?
A mes yeux, non.
D’abord, parce que, selon l’institut Global Firepower, l’armée israélienne émarge à la 15ème place des puissances militaires mondiales -contre la 98ème place pour le volume de sa population. Quid de la France à ce petit jeu des classements ? 7ème d’un côté, 23ème de l’autre – mais cela est une autre histoire…
Ensuite, parce que fin avril 2024, l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’Homme avait estimé qu'environ 70 000 tonnes de bombes – soit plus que durant toutes la Seconde Guerre Mondiale ! - avaient été larguées sur Gaza, sur la période de six mois entre le 7 octobre 2023 et le 24 avril 2024. Je n’ose imaginer le volume où l’on en est actuellement.
Et ce n’est pas tout…
Le 13 mars dernier, une commission d'enquête des Nations unies a estimé que [le pouvoir Israélien] tente d'« entraver les naissances » de Palestiniens au sein de la bande de Gaza, dans le but d'accomplir son entreprise génocidaire. Le ciblage des hôpitaux et cliniques, comme la création d'une famine au sein de l'enclave, viserait ainsi « à entraîner la destruction physique des Palestiniens ».
En novembre dernier, la Cour pénale internationale (CPI) a émis - ne l’oublions pas !- des mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant.
Selon l’UNICEF, après 17 mois de combats, 51 266 personnes ont été tuées, dont 15 613 enfants, 116 991 personnes ont été blessées, dont 34 173 enfants,11 200 autres étaient portées disparues et seraient probablement sous les décombres. Pour une population estimée en 2023 à environ 2,1 millions de personnes. Près de 95 % des écoles auraient été endommagées. Je peine à imaginer qu’elles aient toutes été des repères des connards du Hamas. Ou alors, une fois passée la barre des 30%, ces derniers ont eu à cœur de se conduire comme des abrutis finis sur le mode du je m’exclame : « Coucou, les gars ! Par ici, je suis là ! J’ai envie de prendre une bonne grosse bombe sur ma gueule ! » Emplis de haine et assoiffés de vengeance, les gars du Hamas ? Vraisemblable. Stupides à ce point? J’éprouve comme un doute…
Hier, le pouvoir israélien a annoncé une nouvelle campagne militaire dans la bande de Gaza, qui prévoit la « conquête » du territoire palestinien et nécessitera, selon l’armée, le déplacement interne de « la plupart » de ses habitants.
Je suis aussi d’accord sur le point suivant : libre à chacun de mettre en doute, et les dires, et les relevés des faits, et les analyses que j’ai citées. Toutes ! Aussi bien celles de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’Homme, que celles des Nations unies, que celles de la Cour pénale internationale (CPI), que celles de l’UNICEF, et toutes accusations à l’égard du pouvoir israélien et du comportement des forces israéliennes. On peut toutes les mettre en doute…mais pas LES NIER !
Aussi, à minima, y a-t-il suspicion avérée de crimes de guerre et de tentatives de génocide. Et que font nos Etats occidentaux en matière de gestion de ces risques ? Pas rien, je l’accorde, notamment, quoi que l’on en dise, concernant la France. Aujourd’hui, le 5 mai 2025, la France a "fermement" condamné ce plan d’Israël prévoyant la "conquête" de la bande de Gaza. Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, a ainsi affirmé sur RTL que le gouvernement israélien était "en infraction avec le droit humanitaire". Et en octobre dernier, Emmanuel Macron s’est officiellement prononcé pour l'arrêt des livraisons d'armes à Israël utilisées à Gaza. Cette déclaration a au moins le mérite d’exister…même si seule l’Histoire pourra dire ce qu’il en aura réellement été.
Aurait-on pu faire plus ? Pourrait-on faire plus ? Assurément, oui, quand on pense à tout ce que l’Europe a mis en œuvre dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne.
Et l’on trouve déplacé que celles et ceux qui ont des amis ou de la famille en Palestine, et qui trouvent a minima les réponses aux massacres du 7 octobre 2023 disproportionnées, ne se saisissent pas de la moindre occasion pour clamer leur indignation et leur soutien ? Les bras m’en tombent.
Je suis effaré du point auquel les opérations de construction de biais cognitifs pro B. Nétanyahou m’apparaissent fonctionner à merveille, y compris en des personnes, qui, je pense et je l’espère, n’éprouvent aucun respect à l’égard de cet homme qui m’apparait aussi puissant que malfaisant !
Si cela avait été possible, j’imagine des juifs français brandissant dans le cadre de défilés du 1er mai 1942, le drapeau de, par exemple, la brigade juive recrutée par les britanniques au sein du Yichouv, pour alerter sur ce qui était alors en cours , parce qu’ils auraient eu vent des travaux de Gerhard Riegner, le représentant du Congrès juif mondial à Genève, qui informa en août 1942 les Alliés de l’existence d’un plan nazi visant à exterminer les Juifs d'Europe. Trouver cela « déplacé » aurait-il été JUSTE ? Même à supposer que les analyses de Gerhard Riegner aient surévalué l’ampleur du désastre… ce qui, sauf erreur de ma part, n’a malheureusement pas été le cas…
En forçant le trait encore plus férocement – ou odieusement, suivant les points de vue ! - j’imagine encore durant un repas familial Pascal, une des filles de la maison qui se mettrait à parler d’une copine victime d’un viol par soumission chimique… Et qui se verrait répondre : « Mais, voyons, stop ! Ce n’est pas correct ! Franchement indécent, même. On ne parle pas de sexe à table ! A fortiori durant le repas annuel où l’on fête la résurrection du Christ ! »
Je sais. Ce parallèle que je dresse est tarabiscoté, et frise l’insupportable. C’est vrai. Mais, un an et sept mois après le 7 octobre, comment faire percevoir qu’il n’y a ni moment, ni lieu, inapproprié, pour exprimer son indignation face à de probables crimes de guerre, et une probable tentative de génocide ???
Vous allez me dire qu’il y en a d’autres, des probables ou avérés crimes de guerre, et des probables ou avérés génocides, actuellement, ailleurs, de par le monde. Certes !
Et de rajouter alors en guise supplémentaire de cache « sexe qu’on ne saurait voir » : alors pourquoi plus d’attention, à minima de ma part, sur ce qui se passe là-bas plutôt que sur ce qui se passe ailleurs ?
Me concernant, les raisons en sont les suivantes : combien de probables crimes de guerre et probables tentatives de génocide sont perpétrés actuellement par une des 15 premières puissances militaires mondiales ? Avec un déversement sur un mouchoir de poche (365 km2, l’équivalent d'une métropole comme Toulon en France, un peu plus du double de la superficie de la région de Bruxelles-Capitale en Belgique, ou la moitié de la superficie de Madrid) d’un nombre de bombes vraisemblablement supérieur à tout ce qui a été balancé lors de la 2ème Guerre mondiale ? Et par les forces armées d’un pays dont sans doute près des trois quarts de la population ont au moins un ascendant européen ? Et par les forces armées d’un pays qui se revendique essentiellement d’un peuple ayant été victime des atrocités de la Shoah ? Et par les forces armées d’un pays qui, sauf erreur de ma part, se considère comme faisant partie de « la famille européenne », culturellement parlant ? Une appartenance qui est de surcroit l’impression que j’ai eu lors des cinq à dix jours (je ne sais plus !) qu’il m’a été donné de passer avec bonheur, à Tel Aviv, il y a quelques années. Peut-être à ma façon suis-je identitaire d’une manière tordue : quand j’ai l’impression que ceux sont mes frères qui perpétuent de probables crimes de guerre et une probable tentative de génocide, cela me fait plus mal que si les gens que je soupçonne de ça me semblent totalement étrangers à moi-même.