Sur l'autoroute qui relie Bruxelles à Luxembourg, un panneau bien connu des automobilistes les salue à l'entrée de la province (belge) du Luxembourg. "Une ardeur d'avance", est-il annoncé, sous un sanglier pixellisé très vintage.

En poussant un peu plus loin, à la frontière du Grand-Duché, on pourrait imaginer une signalisation du même tonneau - "une innovation financière d'avance" - tant le pays s'est fait une spécialité d'être à la pointe de l'ingéniérie fiscale.
Alors que toute la communauté internationale s'active aujoud'hui à enrayer l'évasion fiscale (comme on l'a rapporté ici et ici), les milliers de financiers, fiscalistes et avocats luxembourgeois travaillent ferme à élaborer de nouvelles niches.
C'est presque une question existentielle. Depuis qu'il s'est mué d'un pays largement industriel en l'un des principaux centres financiers mondiaux, le Luxembourg se fixe pour ligne de conduite de dégainer le premier. C'est d'ailleurs en étant le premier pays européen à transposer une directive de 1988 qu'il est aujourd'hui un géant de l'industrie des fonds de placement (ici). A côté de la stabilité politique du pays (un peu secouée ces derniers temps), la rapidité des innovations financières est souvent citée comme le premier atout de la place luxembourgeoise.
Cette qualité ne lui fait pas défaut aujourd'hui que le pays est secoué par un vaste effort mondial anti-fraude fiscale. Avec la Suisse, le Luxembourg est l'une des cibles principales de l'offensive en cours. Les deux pays s'indignent - non sans arguments - d'être pointés du doigt alors que d'autres paradis fiscaux plus discrets ou plus puissants échappent à la vindicte. La City de Londres, Hong-Kong, l'Etat américain du Delaware sont quelques uns des centres financiers à passer entre les mailles du filet.
Mais le Luxembourg n'a pas pour habitude de rester sur la défensive. Sa classe politique et ses financiers - étroitement liés - ont entrepris de reprendre la main en adaptant à la sauce locale les meilleurs morceaux du modèle anglo-saxon. Le plus intéressant est le trust: cette structure juridique est particulièrement efficace pour contourner l'impôt, car elle dissimule le bénéficiaire final. Elle n'est pas une entité légale, mais un arrangement, ce qui lui permet de contourner bon nombre de règles anti-abus.
Au Luxembourg, les trusts prendront la forme de "fondations patrimoniales". Une loi sur le sujet est en voie d'adoption. La revue spécialisée PaperJam détaille dans cet article toutes les caractéristiques de ce nouveau régime, qui doit aussi concurrencer le modèle belge de la fondation, cher à la reine Fabiola. C'est d'ailleurs d'abord dans les pays voisins que le secteur financier luxemourgeois prospectera à la recherche d'une clientèle de personnes fortunées.
La fondation patrimoniale n'est pas la seule innovation en développement. Le Grand-Duché veut aussi refaire son coup de 1988 en comptant parmi les premiers à transposer la directive "AIFM" sur les hedge funds. Le ministre des Finances, Luc Frieden, ne cache pas ses intentions: "Un cadre réglementaire compétitif étant essentiel pour l'attractivité du pays, le gouvernement a ajouté des dispositions fiscales attrayantes", a-t-il dit récemment au parlement. Dispositions parmi lesquelles on retrouve la limited partnership, autre importation anglo-saxonne.
Autre axe de développement de la place financière luxembourgeoise: le renminbi offshore. De la même manière qu'il fut un pionnier dans le développement du marché des dollars offshore au milieu du siècle dernier (déjà à des fins fiscales, lire ici), le Luxembourg veut devenir la place de référence pour les transactions étrangères dans la monnaie chinoise. Une site internet vient d'être dédié à cette ambition.
Il me revient aussi que le pays cherchait à répliquer les intérêts notionnels, un régime belge de détaxation massive qui a permis d'attirer les centres de financement des multinationales. De discrètes consultations sont en cours sur le sujet.
Bref, le Luxembourg n'a aucunemement l'intention d'être la victime de la refonte en cours du paysage financier. Rien de surprenant, en somme. La lutte contre l'évasion fiscale a toujours été un grand jeu entre voleurs et gendarmes. Mais s'ils veulent être efficaces, ceux-ci seraient bien inspirés de tenir à l'oeil ce qui se fait au Grand-Duché.
Billet reposté depuis mon blog http://www.ndonne.blogspot.com