Contre la réforme-retraite: un combat blanc?

J’ai fait, à Strasbourg cinq manifestations contre la réforme des retraites. J’ai vu défiler à mes côtés, devant et derrière moi des centaines, des milliers de manifestants. Un constat m’a frappé. Je n’ai pas vu UN SEUL visage noir dans le cortège. Pas un seul visage, ou presque,  "visiblement" racisé!  Désolé de parler comme un policier qui contrôle au faciès, mais je ne sais comment exprimer autrement cette réalité: la lutte contre cette réforme scélérate fut exclusivement un combat de blancs ! Y compris parmi les militants syndicaux, dans la rue comme sur les plateaux des médias je n'ai vu QUE des blancs!. Ceux qui nieraient ce constat nieraient l’évidence.
Cette absence, cette abstention massive de nos compatriotes racisés fait plus que m’interpeller. En tant qu’homme de gauche (voire islamo-gauchiste comme les identitaires nous appellent) elle m’inquiète et me désespère un peu.. 
Pourquoi nos compatriotes racisés  se sentent-ils, visiblement, non impliqués dans le grand courant populaire qui vient de s’exprimer contre la réforme ?  Ne sont-ils pas aussi de futurs retraités ? Pourquoi n’ai-je pas entendu une seule organisation antiraciste ou luttant contre l’islamophobie appeler à se joindre aux cortèges? Quand a-ton entendu une Rockaya Diallo, un Marwad Muhamad ou autres militants anti-racistes "de gauche" s’exprimer, ne serait ce qu’une fois sur cette loi scélérate et le combat à mener contre elle ? Parce que ça ne rentre pas dans leur champ militant ? Ah bon ? l’ « intersectionnalité » des luttes, tant vantée, exclue-t-elle les luttes sociales ? Un racisé, musulman ou non n’est –t-il pas d’avantage pénalisé encore par la réforme parce que c’est souvent lui qui fait le travail le plus pénible ?
J’interpelle ici, et sans esprit polémique, les militants de certaines  organisations antiracistes  progressistes.
Quelle est la cause, la signification de cette abstention massive qui semble vouloir dire? « Ce n’est pas notre affaire ! Que les " blancs" s’en débrouillent ! » A force de focaliser sur des concepts aussi discutables (et d’ailleurs peu débattus) que « décolonialisme », « racisme d’état », ou « privilège blanc » n’avez-vous pas, en quelque sorte, assigné à résidence les populations discriminés, en cantonnant leurs colères, leurs révoltes et leurs combats exclusivement sur le racisme et l’islamophobie, ignorant les luttes sociales, comme si  un noir, un arabe, un musulman, n’était pas AUSSI un travailleur ? Il est vrai qu’appeler à manifester avec des « privilégiés », ça ne va pas de soi !
Pourquoi, alors que vous exigez, à raison, dans les médias, dans le cinéma, la culture, à l’université et dans tous les espaces publics plus de visibilité et de représentativité des populations racisés, ne vous inquiétez-vous pas de leur absence de visibilité dans un grand mouvement populaire comme celui qui s’est développé contre la loi retraite ?
Je précise que je ne vous « accuse » pas, par vos concepts discutables, d’être les responsables principaux de cette sorte de désertion. Il y a sûrement bien d’autres causes qui expliquent  cette invisibilité. Mais je peux, comme à plein d’autres relayeurs d’opinion, vous reprocher un silence de plomb face à cette question. A moins que vous considériez que ce n’est PAS une question !
Si quelques esprits étroits trouvent mon propre questionnement « stigmatisant » ("c’est la faute aux noirs et aux arabes si…"etc) je les laisse à leur bêtise et leur mauvaise foi. Mon questionnement est éminemment politique. Le combat contre le racisme et l’islamophobie est mon combat quotidien et je ne conteste pas ses spécificités. Mais sans jonction avec les combats sociaux et démocratiques au sens le plus large, il n’y aura aucun avenir progressiste possible dans ce pays! Et les tenants du  "séparatisme" auront beau jeu de surfer sur leurs obsessions. Je vous laisse devinez l'issue politique qui en découlera.
J’en appelle enfin à Médiapart qui a soutenu à fond le mouvement contre la retraite à 64 ans tout en soutenant sans relâche les militants des mouvements anti-racistes.  Je les invite à questionner, eux aussi, cette apparente et pour moi, inquiétante étanchéité entre ces deux combats populaires.
Un article analysant le phénomène serait le bienvenu ! A moins que Médiapart, lui aussi, pense que « ce n’est pas une question ! »
Patrice Muller