Chers français,
Voici déjà quatorze mois que je vous gouverne. Beaucoup de choses depuis ont été dites et écrites sur moi et sur ma gouvernance. J’ai trouvé que le temps était venu de me mettre à jour avec vous en vous ouvrant mon cœur en toute simplicité et avec toute la franchise permise à un homme d"état. J’ai donc projeté de vous adresser une série de lettres dont chacune abordera en toute sérénité un thème, un sujet qui ont fait débat ou suscité quelques interrogations polémiques que j’ai pu jugées inutiles, malsaines ou fondées sur des malentendus.
Je m’adresse à vous tous, ceux qui on voté pour moi comme ceux qui n’ont pas jugé opportun de le faire, car président de tous les français, je ne fais aucune différence. Cette non-différence est un point très important que j’aborderai peut-être dans une lettre à venir.
En attendant, chers français, voici la première lettre de votre président que vous lirez peut-être… si vous avez le temps !
"MON ENNEMI C'EST LA FINANCE..."
Cette phrase prononcée voici dix-huit mois au Bourget a marqué les esprits. Certains ne cessent de me la rappeler, parfois non sans une certaine ironie. J’ai donc décidé d’aborder ce sujet d’emblée, sans dérobades ni faux-fuyants.
D’abord, cette phrase était-elle sincère ? Après réflexion, je dirais que oui. Elle était sincère. Du moins aussi sincère quelle pouvait être venant d’une homme politique qui veut gagner une élection contre le "président des riches" et qui, sur sa gauche, entendait monter l’écho d‘un orateur plébéien de plus en plus écouté. Dans ce contexte précis, dans cet instant particulier, il allait de soi que cette phrase devait être prononcée. Elle était donc sincère parce que nécessaire. Et, en politique, nécessité fait loi, donc foi.
Ma sincérité étant de fait établie et après confirmation que la finance est bien mon ennemie, comment ai-je pendant ces quatorze mois abordé ce délicat antagonisme ? C’est-ce que je me propose de vous exposer de façon exhaustive en ne m’appuyant que sur des faits incontestables et vérifiables.
Il y a deux manières de faire face à son ennemi. En lui faisant la guerre ou en lui proposant la paix. J’ai choisi la deuxième option. Non que je sois, par principe, pacifiste - mon action vigoureuse au Mali prouve le contraire - mais parce que je crois qu’à notre époque, une guerre ne mérite d’être faite que si on est sûr de la gagner à peu de frais. De plus, une guerre étant toujours source souffrances, j’ai donc naturellement et résolument choisi la voie de la "détente". Je me suis dès lors comporté en ennemi déterminé mais loyal. Quelques semaines à peine après le Bourget, je faisais savoir à la finance, par l’intermédiaire de ses organes officiels londoniens que je n’étais pas dangereux.( En version originale : I am not dangerous). Je ne cache pas que cette déclaration a, en son temps, été accueillie par quelques ricanements sceptiques. Mon ennemi pensait-il qu’il s’agissait-là d’une ruse diplomatique destinée à gagner du temps en attendant de déclencher les hostilités? J'ai souhaité très vite dissiper cette ambigüité.
Une fois élu, j’ai donc, sans attendre, donné des gages solides de ma bonne foi. Aussi, après avoir retiré sans condition ma menace de ne pas voter le TSCG, garant d’une austérité nécessaire à la tranquillité de mon ennemi, j’ai annulé de façon unilatérale TOUTES les décisions hostiles que j’avais annoncées au Bourget. Je n’ai donc PAS obligé les banques à séparer les activités spéculatives des activités de crédit. Je n’ai PAS interdit les produits financiers toxiques. Je n’ai PAS interdit aux banques d’installer des filiales dans les paradis fiscaux. Enfin, il y a quelques jours à peine j’ai décidé - seul en Europe et à l'étonnement de tous ! - de renoncer à la taxation des transactions financières que pourtant même le "président des riches" avait approuvée ! J’ai donc, en quelques mois seulement, procédé à un désarmement intégral du programme du Bourget et ceci sans rien demander en échange. Pouvait-on donner meilleurs gages d’une sincère volonté de paix?
Mais j’ai fait plus encore ! Le puissant ennemi que j’avais à affronter étant d’un tempérament méfiant et de tradition belliqueuse, j’ai pris des initiatives de paix renforcées que personne n’avait oser imaginer. Outre un cadeau de vingt milliards d’allègement de charges aux entreprises que j’ai fait transférer sur le consommateur et le contribuable, j’ai fait voter, avec le concours amical d’un syndicat corrompu, un texte historique sur la flexibilité du travail. Texte intégralement à l’avantage des entreprises et de ses actionnaires. Encouragé - il faut l’admettre - par l’attitude très bienveillante de la branche patronale de mon ennemi, j’ai multiplié les gestes de bonne volonté. J’ai ainsi - acte sans précédent pour une ennemi de la Finance - fait annuler l’amnistie sociale pourtant votée par le sénat. Mais j’ai aussi dépêché 13 ministres au congrès du Medef, truffé mes cabinets de conseillers intimement liés à la finance, choisi comme ministre du budget un authentique délinquant fiscal et fini par désigner mon ministre de l’économie "ministre des banques et des banquiers". Pour faciliter le dialogue avec mon ennemi j’ai même fait l’effort de parler la même langue que lui. Ainsi j’ai appris à dire que le salaire était un "coût" et que "le travail coutait trop cher", que "compétitivité" et "flexibilité" étaient les deux mamelles nourricières de l’économie et même que, par le statut de leur retraite, les fonctionnaires étaient des " privilégiés !"
Vous voyez que, dans ma croisade pour la paix, je n’ai négligé aucun détail qui pourrait heurter l’ennemi et le faire douter de ma sincérité. Pas plus tard qu’hier encore, après avoir baissé le taux du livret A, j’ai livré aux banques une partie de cette épargne populaire afin qu'elles puissent, en toute tranquilité, l’injecter dans le circuit spéculatif ! J'ajoute, pour être tout à fait complet, que j’avais auparavant rendu la taxe à 75% inopérante et que j’avais cédé sans combattre à l’offensive numérique de quelques "pigeons" voyageurs dépêchés par l’ennemi.
Voici donc, chers français, tout ce que j’ai réalisé en à peine quatorze mois de magistrature. Et tout ceci, je le répète, sans AUCUNE contrepartie ! Y’a-t-il eu dans toute l’Histoire un homme d’état qui ait tant œuvré pour la paix ? Qui ait fait plus d’efforts que moi pour pacifier ses relations avec un ennemi aussi redoutable qu’implacable ? (Hier, un ami un peu facétieux, m’a même dit qu’à moi tout seul j’en avais fait d’avantage que Daladier et Chamberlain réunis lors des accords de Munich ! Avec le recul, j"ai pris cette boutade comme un possible compliment).
Soyons confiants. Mes efforts opiniâtres ont commencé à porter leurs fruits et des signes encourageants apparaissent. Hier un banquier m’a souri et un patron du CAC 40 m’a fait part de sa "sympathie", la presse financière a cessé de me dénigrer et un spéculateur de haut vol m’a laissé entendre qu’il pourrait même un jour voter pour moi ! Certes, la paix avec l’ennemi n’est pas encore définitive et il reste des progrès à faire. Mais que de chemin parcouru depuis le Bourget et ses fracas belliqueux !
Voilà donc mon bilan ! Voilà sur quoi je veux être jugé ! Je peux vous assurer, chers compatriotes, qu’avec le soutien sans faille de vos souffrances assumées et le désintéressement absolu de votre servitude volontaire, le cap sera maintenu et que la "guerre"n’aura pas lieu !
Bien à vous et à bientôt peut-être.
François - Président.