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Billet de blog 13 février 2021

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Je m'appelle Albert, je suis l'arbre à nids

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J'ai lancé l'enthousiasme de ma première frondaison sous l'encouragement de joyeux peupliers et l'indifférence de 2 grands chênes, ce n'était pas une parure tout à fait mature mais jamais elle ne le fut. C'est dans ma nature. Quelques branches biscornues et de petites feuilles en bouquets, c'est charmant a murmuré le vent.

Lorsque je fus assez solide pour ne pas blêmir, je survécus à la construction du grand stade en lisière de notre communauté et je fus le mieux placé pour en surveiller les travaux qui prirent fin en même temps que certains des nôtres. La hauteur aidant, je réalisais que nous n'étions pas une forêt mais du genre bosquet, déjà mitoyen de longue date d'une haute lignée très organisée faite de pierre lisse et d'ardoise rangée qui certains jours venaient nous saluer de leurs ombres géométriques.

Par l'inspiration bienvenue de ma mère l'air, qui avait porté cette graine généreuse au patrimoine inconnu, je me retrouvais moi à ce moment de ma vie à une place de choix : la grille entrecroisée de lances qui s'était posée juste à mes côtés marquait l'entrée du stade par laquelle des combattants se rendaient sur le terrain de leurs affrontements. Mes racines dessinaient même leur réseau sous l'allée qu'ils empruntaient et pouvaient parfois ressentir leur souffle impatient et leur coeur contenu.
J'étais devenu le gardien de la porte du stade, titre que celui qui dormait là m’avait, amusé, conféré.
La vigueur déterminée des pas de ceux qui me frôlaient nourrissait les scènes imaginaires de bataille que je me projetais ensuite au rythme des rumeurs et des hourras qui filtraient derrière l’enceinte et je vibrais de les accompagner.

Albert est un nom que ces courageux guerriers ont souvent prononcé, je me le suis approprié.

Tout à mon spectacle absorbé, je n'ai pas vraiment vu s'installer ces hôtes arrondis qui se sont invités près de mes feuilles. Lorsque leur poids m'a engourdi, ils étaient déjà 3.
Puis ils se sont reproduits, s’attirant, s’entraidant et bientôt ils étaient plus de 10.

Un passant les observa d’un air malheureux, mon ornement se nommait Guy.
Un petit garçon, qui pédalait le nez en l’air, les a admirés, "oh papa regarde tous les nids!".
Il est vrai que mes boules décoratives me valaient davantage de pépiements que mes amis voisins pourtant plus branchus et cet air enchanté qui froufroutait et m’emballait me nourrissait de la vigueur fraîche que mon liber peinait à distribuer.
Les nuits de pleine Lune me conféraient aussi un mystère malicieux quand mes bras lestés de planétoïdes figuraient de leur ombre une insolite astrographie sur l’allée du stade. Alourdi et affaibli mais sculpté, je contemplais alors sur ce sol éclairé de Lune mon anatomie unique dans la majesté de ses lignes.

Le dernier qui m’a approché portait une machine infernale qui me fit beaucoup de mal, mais ce faisant il me dit « de pas m’en faire, que pt’etre bien que j’ferai partie du bois d’la flèche violette de la Dame du ciel ». Jamais mots n’ont provoqué plus de chaleur électrique à travers mes vieilles trachéides en train de rendre l’âme, séparées qu’elles seraient à tout jamais de leurs soeurs souterraines aveugles à la prise de dignité qui s’opérait en surface.

J’allais donc serein rejoindre mes frères et répondre, ivre de cet impromptu glorieux, à l’appel de la Forêt.
Je ne sais si les chants émanant d’une cathédrale se portent plus vivants vers les cieux qu’ils visent lorsqu’ils sont guidés sur leur chemin par une âme heureuse, mais je me promis à cet instant de ma mort de consacrer mon bois endormi à soutenir leur portée.


Dans une décharge municipale un petit tronc léger git inconnu, autour de lui des oiseaux chantent et de délicates fleurs parfument son lit.

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