Un extrait tout d'abord :
« L’idéologie dominante imposait sa réponse : l’offre et la demande, vérité finale du monde. Tu es libre de refuser de travailler douze heures par jour pour un quignon de pain. Nous trouverons toujours des meurt-de-faim pour accepter. La loi, la liberté d’entreprendre, la république, sont de notre côté. Toi, tu as le choix : accepte, ou refuse et va mourir.
Droit du plus fort, êtres humains sur le marché, c'était cette liberté-là qu'ils gravaient sur les frontons de pierre des édifices, ce monde-là qu’ils disaient le seul possible. Mais il arrive un moment où quelque chose bascule. Alors, les gens redressent la tête, se regardent autrement, comprennent qu’ils peuvent combattre : le monde change de base. »
Les premières lignes du roman affichent une vérité : les peuples sont sous la domination d'oligarchies qui font la loi - et les lois... Une clique en costume sur mesure - patronat de l'industrie, de la finance, de la technologie, de l'énergie, associé aux politiciens professionnels - est en train de s’approprier la planète, en maintenant des milliards d’êtres dans l’oppression, l'exploitation, ou la misère.
Les dirigeants syndicalistes et les politiciens qui se prétendent de gauche vivent très bien du capitalisme, en trahissant ceux qui les mandatent - et l’humanité entière. Et une gigantesque machinerie médiaticonumérique mondiale conditionne l’opinion comme jamais dans l’histoire.
Leur simulacre de démocratie leurre les peuples ; et quant aux rebelles, ils sont neutralisés : corruption, intimidation, répression, assassinats. Beaucoup, autrefois combatifs, sont désormais déboussolés, écœurés, amers, vaincus d’avance ; on les a désarmés politiquement. D’autres sont totalement sidérés par la puissance sans partage des classes dominantes. Alors que fait-on ?
Car tout cela n'est pas inéluctable. Travailleurs, jeunes, intellectuels, militants, handicapés, retraités, gens ordinaires, détiennent un pouvoir : c'est de nous que viennent les ruptures nécessaires. La folie meurtrière d'un monde fondé sur le droit au profit illimité des plus forts est rejetée par la majorité de l'humanité ; la plupart d'entre nous veulent vivre en paix dans une société du bien commun et de la richesse partagée. Le narrateur évoque un collectivisme intelligent, efficace et convaincant, où tous les élus seraient révocables, avec un mandat court, rémunéré au salaire moyen et sans aucun privilège... chacun devant recevoir selon ses besoins, et non selon sa puissance ou sa cupidité.
Ce livre, qui reste une fiction, s'approche très près de notre réalité, apportant un éclairage riche, nourri de réflexions intelligentes, en abordant aussi la question des lutte armées...
Un autre extrait, qui illustre la qualité d''écriture de ce roman (ce qui devient rare) :
"Chacun de nous était dans la mire, la classe dominante avait établi des lois visant les récalcitrants présents et futurs. La liberté de protester dans les limites autorisées était déjà réduite à peu de chose car au moindre écart la police interpellait et la justice condamnait. Mais l’éléphant dans le couloir était autre : ces lois tendaient à faire disparaître quelque chose de plus important et moins visible, la menace était encore plus grave. À bien regarder, ils s’en prenaient à un trait essentiel de notre espèce : la capacité à se former un jugement autonome. Ils cherchaient à faire disparaître un certain type d’être humain, celui qui pensait par lui-même. Le conditionnement des esprits s’aggravait et bannissait silencieusement, obscurément, ce que la législation ne pouvait éradiquer : l’idée même de se révolter. Et cela d’une façon implacable, comme une immense cage invisible."
Les personnages de ce livre, originaux et attachants, luttent dans l'ombre. Leur parcours, entre déceptions, amours, peurs, ténacité et solidarité, est peut-être celui de bon nombre d'entre nous, hésitant, difficile, juste et émouvant. Puis, un jour les révoltes s'embrasent en une insurrection ou une révolution... Personne ne sait à l'avance comment cela se passe, ou se passera, dit l'un des personnages - avec raison. Nul n'imaginait la révolution de 1789 ni celle de 1917, l'année d'avant...
Je conseille donc vivement la lecture de "Sonia ou l'avant-garde"... Un texte puissant qui fait du bien : on n'est pas seuls - nous sommes de très loin les plus nombreux... Des mots et idées on passe aux actes, et cela réchauffe. Un livre émouvant et utile.
Pour finir, l'éditeur "Editions Infimes" (créé par deux enseignants) porte bien son nom. Minuscule mais courageux, il fête cette année ses quinze ans de travail exigeant, pour une vraie littérature, émancipée de l'industrie éditoriale, et de son marketing racoleur.