Qui est Viktor, le héros de votre livre, "Sonia ou L’avant-garde" ?
C’est le protagoniste d’un récit qui se déroule pratiquement dans notre monde, dans un pays qui n’est pas nommé mais qui pourrait être la Belgique, l’Allemagne ou la France… Il est dans une période de réclusion consécutive à de graves ennuis et va se réveiller mentalement, moralement et d’un point de vue affectif lorsqu’il croise le chemin d’une jeune femme qui est intensément dans l’action, dans la détermination à faire changer ce monde qui, aux yeux de beaucoup d’entre nous, est barbare et insupportable.
Vous décrivez un univers illibéral…
…qui est proche du nôtre. C’est une démocratie dévoyée par l’argent, par des clans de politiciens professionnels. C’est une situation que l’on connaît plus ou moins gravement dans les pays européens. Il n’y a pas que dans des pays totalitaires que l'on subit l’injustice et l’arbitraire, la ''loi'' des plus forts.
Le système de surveillance dépasse ce que l’on vit actuellement…
Peut-être un peu, peut-être pas. Des outils numériques planétaires de plus en plus intrusifs manipulent les opinions publiques, et ils sont aux mains d'intérêts privés qui ne nous veulent pas du bien.
Pourquoi Viktor est-il reclus ?
Il a écrit autrefois un livre qui s’appelle Le Manifeste de l’être humain, qui n’est pas un programme politique mais un récit de fiction qui relatait un combat armé contre des pouvoirs despotiques. Le simple fait de raconter une résistance armée a suffi à l’incriminer aux yeux de la justice.
Le livre est parsemé d’allusions à la littérature révolutionnaire…
Entre autres, mais pas seulement, il y a aussi des citations de philosophes ou de romanciers comme Emile Zola. J’ai voulu, en intercalant ces phrases, que le lecteur profite des relations entre ce récit et ce que d’autres écrivains ont pu dire, raconter, professer à diverses époques. Cela remonte jusqu’au XVIe siècle avec Amerigo Vespucci qui rencontre pour la première fois les peuples natifs des Amériques (*)...
Vos goûts littéraires vont vers les insurgés ?
J’aime énormément les romans classiques mais bien évidemment, j’ai lu beaucoup d’intellectuels et de penseurs engagés politiquement, ce qui a nourri ma réflexion.
"Ils n’excluent pas de se défendre"
Dans cette lutte, la bande que rejoint le héros n’a pas peur de la violence…
C’est un vieux problème. Le combat armé a montré dans l’histoire qu’il a été bien souvent nécessaire, et légitime - il suffit de penser aux esclaves, aux ghettos, aux dictatures renversées. Les militants de ce roman font bien la part des choses entre lutte d'émancipation et criminalité... tandis que l'intrication des deux notions a conduit Baader et Meinhof en Allemagne ou Lotta Continua en Italie, a discréditer leur cause plutôt que la faire avancer. Cependant, ils n’excluent pas de se défendre, de se protéger, de protéger leurs actions parfois illégales mais jamais violentes vis-à-vis des personnes. Et pour cela, ils considèrent que s’armer pour se défendre est légitime dans un système où la disproportion des forces est écrasante et où les pouvoirs n’hésitent pas devant l’illégalité et l’arbitraire.
Le livre est pessimiste dans ce qu’il décrit et optimiste dans ce qu’il prévoit…
Je ne suis pas assez savant pour prévoir ce qui se passera. Mais je sais qu’en 1788, personne ne pouvait penser à l’abolition de la royauté et qu’en 1916, personne n’imaginait la fin du tsarisme. La probabilité est faible mais non nulle de renverser l’ordre du monde d’aujourd’hui. Renoncer serait le pire. Je ne tranche pas et les événements ne sont pas orientés dans un sens catégorique, mais je pense que le récit permet d’encourager ceux qui résistent, ceux qui combattent pour continuer à faire progresser l’humanité.
L’amour et la révolution vont ensemble ?
L’amour, c’est la vie. La révolution, aussi. Parfois, les rencontres de hasard peuvent contribuer à entreprendre de grande chose. L’amour peut motiver, réveiller nos consciences.
On est très loin des idées politiques de Michel Houellebecq qui a eu le Goncourt avec "La Carte et le Territoire" en 2010, le titre de votre livre paru en 1999…
Je suis à l’opposé. Je considère que c’est un fieffé réactionnaire. Le titre était publié et déposé à la BNF. Il avait parfaitement connaissance de cela. D’autant plus que deux mois avant la publication, j’avais écrit à Flammarion pour dénoncer l'abus que serait l'utilisation de mon titre. Je n’avais pas les moyens de poursuivre sur le plan juridique, mais cette usurpation s’est sue, mon livre existe. Finalement, n'est-ce pas un hommage du vice à la vertu ?
(*) "Il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. [...] Ils n’ont ni temples, ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus ? "
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Sonia ou L’avant-garde, de Michel Levy. Éditions Infimes, 19 €.
[Article paru dans "Midi Libre" du 27-05-2025.]