
Agrandissement : Illustration 1

Toute la valeur de l'axiomatique de l'indigence réside dans son empirisme contextuel, c'est à dire son intranquillité agissante qui pousse son auteur à trouver dans les moindres faits et gestes qui l'entourent des motifs qui reflètent la sculpture de l'insignifiance dominante. J'ai partagé l'image qui illustre ce texte avec un grand militant politique haïtien qui a par le passé, au temps des grands mangeurs lavalassiens et des insouciants prévaliens, occupé des postes de haut rang dans le dispositif de la sécurité publique. Évidemment, malgré tout l'engagement politique et le savoir théorique de cette personnalité ancrée radicalement à gauche, il n'y a jamais eu de résultats significatifs en matière de lutte contre les multiples formes d'insécurité publique en Haïti. Pour cause, personne n'aime prendre des décisions avec des données structurées et fiables en Haïti. Les dirigeants, les décideurs, qu'ils soient de droite ou de gauche, instruits ou incultes, préfèrent toujours l'approximatif ; car la culture de la prise de décision par la démarche analytique demande des ressources non disponibles en Haïti : de l'intelligence et du temps pour apprendre.
A nos insignifiances assumées
Tel manager d'ONG, en charge des programmes d'urgence du pays pour la santé, vous dira avec une insignifiance assumée : " Je travaille dans l'urgence, je n'ai pas le temps pour chercher l'intelligence". Tel chef de projet, en charge des activités de l'État de droit en Haïti, vous dira avec une arrogance néocoloniale assumée :" Notre organisation n'a pas le temps pour des données de qualité en Haïti, le bricolage de nos rapports suffit amplement à satisfaire les décideurs." Bon, on y reviendra, car c'est le thème de notre prochaine tribune.
Mon but, en partageant l'image avec ce contact de vieille date, était justement de susciter un débat avec lui sur une approche du changement qu'il prône depuis quelque temps : "Venez servir l'État !". L'image était accompagnée d'une courte phrase : "Chacun se voit au-dessus de cette pyramide de réussite, sans se soucier de la base et des supports". Une manière d'interpeller ceux qui peuvent faire germer du sens dans ce qu'ils observent en leur posant une question contextuelle : Comment servir intelligemment et responsablement un État qui est verrouillé dans l'indigence par les succès précaires de chacun ? Comme on peut le voir sur l'image, l'une des lignes de la base de cette pyramide est dimensionnée par l'Errance et est contiguë à la ligne dimensionnée par l'Assistance , qui elle-même est contiguë à la ligne Dépendance, laquelle est contiguë à la ligne Défaillance. Ces lignes sont verrouillées par des nœuds que l'on peut aisément nommer : le système Politique, la Communauté Internationale, le modèle économique de la société, le modèle décisionnel des personnes influentes. C’est sur cette base adaptative à la corruption et à la criminalité que se greffent les postures cognitives indigentes qui déshumanisent le collectif haïtien, en le verrouillant sur une invariante résilience.
Au lieu de prendre le temps de questionner le sens de l'image, Sa première réaction a été de me dire où je me situais sur cette pyramide ? Comme si sur cette pyramide, il pouvait y avoir une place confortable. Donc, l'information consignée dans l'image n'a pas été saisie. Sans doute sentant venir une potentielle provocation, il voulait me désarmer. Voilà un exemple de cas d'insignifiance : on ne s'attarde pas sur ce qui a du sens, on saisit ce qui est à portée de son humeur, de son mental et de son confort et on balance. J'aime autant le dire, en partageant ma compréhension de l'errance haïtienne, je ne revendique aucun leadership, aucune autre compétence que mon aigreur que j'ai déjà définie. Je ne suis pas en train de dire que je suis meilleur, j'ai mes vices et mes défauts. Mais, J'ai pris conscience que pendant longtemps je m'encanaillais avec des insignifiants et des imposteurs qui se font passer pour des acteurs du changement et qui ne cherchent qu’à fructifier leur part de SMIC ; alors je me suis distancié, et depuis, ma flamme n'enfume plus, elle scintille ! En quoi est-ce un crime de vouloir dire aux autres qu'on peut devenir meilleur si on prend conscience de son indigence ? Mais l’enfumage a ceci de rancunier, il ne tolère rien qui puisse éclairer le fumier où couvent ses cendres
A nos grandes impostures
Et c'est justement la grande faille de la militance politique en Haïti : les gens ont peur de l'exemplarité. L'Haïtien est culturellement structuré pour se réjouir de l'échec de l'autre, le moindre succès qui peut servir d'exemplarité parait comme une menace pour l'insignifiance. Plus ceux qui sont influents économiquement, socialement, académiquement, culturellement et politiquement sont médiocres humainement dans une société, plus celle-ci s'enlisera dans des cycles de crise, d'instabilité, de violence et de misère. Car l'indigence ne peut supporter autre modèle que celui qui donne le succès par l'enfumage : déshumaniser et s'encanailler.
Tout le modèle économique haïtien repose sur un modèle assimilable au vol, au rapt, à la corruption, à l'escroquerie, à la malice et la criminalité. Les gangs de rue ne font que reproduire le même modèle de réussite avec les armes qui leur ont été données. c'est ce même modèle que pratiquent les lettrés avec leurs titres, leurs diplômes et leurs accointances étrangères. J'ai un contact qui possède un cabinet d'expertise informatique et statistique, il n'y a pas plus grand militant de changement que lui ; je crois même qu'il a été communiste, et qu'il est aujourd'hui membre d'un parti qui se réclame de la gauche. Le drame est que chaque fois qu'il doit faire une étude statistique pur les puissants de ce pays, il cesse d'être acteur du changement, il devient entrepreneur et applique la règle du pragmatisme économique : qui finance, commande. Si on lui donne des données erratiques pour analyser la performance improbable d'un projet, ne comptez pas sur lui pour signifier a ses commanditaires que les données disponibles ne peuvent pas se prêter à cet objectif de performance. C'est un contrat à ne pas refuser, car il faut s'occuper de la famille qui vit en sécurité à l’étranger. Militant dans sa vie privée, indigent dans sa vie professionnelle. Comment ne pas citer aussi l'exemple de cas de ce grand militant ouvrier communiste haïtien qui séjourne dans les hôtels coûteux de la capitale et qui m'avait conseillé de me mettre au service d'un réseau d'étrangers qui servait de courtiers des projets de la communauté internationale et d'arrêter de critiquer les personnes influentes de la société civile par lesquelles transitent les fonds de l’assistance internationale. Une manière de me dire que le succès passe par l'asservissement et le renoncement à l'éthique. Militant ouvrier dans sa vie publique, indigent opportuniste dans sa vie personnelle.
Vous voyez pourquoi il faut un modèle systémique basé sur la topologie cognitive (déformation culturelle) pour mieux comprendre l'indigence : les postures sont des impostures, elles varient selon les opportunités d'affaires. Un grand directeur de média, farouche défenseur de la liberté d'expression et militant démocratique avant-gardiste, avait assumé la posture complaisante des médias avec le régime au pouvoir en Haïti depuis 2011, par rapport à leur radicalité entre 2001 et 2004, en arguant le droit pour un média de déterminer l’opportunité de sa ligne éditoriale. Une autre façon de dire : quand le blanc est dans l’opposition, les médias haitiens sont dans l'opposition radicale, sinon ce sera une opposition virtuelle.
Dans les ONG, dans les médias, dans les Universités, dans les entreprises privées, dans les cabinets d'expertise des socioprofessionnels, on ne fait qu'appliquer cette même loi , celle de l'errance quantique : miser sur sa malice, en se dépouillant de toute dignité, de toute responsabilité, pour construire un succès minimal insignifiant qui permettra à sa famille d'échapper à la précarité ambiante. Osons le dire, les chefs de gangs font montre de plus de courage en assumant ouvertement leur gangstérisme. Car au vrai, entre certains médecins (j'y reviendrai aussi), certains socio-professionnels, certains chefs de projet des ONG, certains recteurs d'université, certains directeurs de média, de nombreux entrepreneurs sont des gangsters de salon. Pour comprendre ce que je dis, cherchez le sens de l'image. Ne regardez pas les visages, ne contemplez pas les diplômes, n'écoutez pas les slogans pour le changement, cherchez dans les processus et dans les prises de décision, c'est là où se trouve le modèle.
Voici une image contextuelle qui représente le prisme du succès précaire cultivé en Haïti : chacun se voit au sommet de cette pyramide sans regarder la base et les supports latéraux. notre prochaine tribune sera justement sur le modèle poubelle de la prise de décision en Haïti.