
Dans Le paradigme perdu, Edgar Morin nous dit que ‘‘la culture est indispensable pour produire de l'homme’’. On trouve dans cette courte phrase extraite de son contexte un postulat fondateur, c’est-à-dire profondément enrichissant : sans culture, pas d’humanité ! L’humanité étant prise, dans le discours morinien, comme un ensemble d’écosystèmes en reliance, mais dont chacun est maitrisé par des ‘‘individus hautement complexes’’ appelés à évoluer ‘‘dans des sociétés hautement complexes’’. Cela suppose à priori des outils, des expériences pour ‘’enfler de plus en plus la tête de ce bipède nu’’ qu’est l’hominidé et assurer sa lente, mais continue, progression vers l’humanité.
Il va sans dire qu’un tel processus de progression n’est viable que si la stabilité de ces écosystèmes, éparpillés localement, permet de garantir l’équilibre de l’écosystème global. Une telle approche met en jeu des variables et des lois sur la dynamique des systèmes. Celles-ci nécessitent donc d’être connues pour être codifiées, appliquées et optimisées, selon les contraintes d’espace géographique, de temps anthropologique et de valeurs socioculturelles propres à chaque écosystème. Maitrise, Complexité, Culture se dégagent comme les maitres mots de ce processus évolutif.
Sans viser la simplification, on est tenté d’aller vers une modélisation de ce concept humanité par une formulation pertinente : L’Humanité n’a d’avenir que par la Maitrise de la Complexité sous la contrainte de la richesse de la Culture. On ne me tiendra pas rigueur si je passe de la formulation de cette modélisation à sa mise en équation :
H = MC2
Ce cadre étant posé, je vais dans le délire de la démence, que me prête la ‘‘docte expertise’’ haïtienne, montrer combien l’idiotie intranquille d’un salaud qui s’assume, peut faire pâlir la parole de brillants universitaires. Eux et elles qui croient tout savoir par le pouvoir de leurs accointances. Eux et elles qui pensent pouvoir en maitre plein la vue aux petites gens par l’enfumage médiatique qui les propulse comme étouffoirs de la conscience collective.
Mon propos, vous l’aurez deviné, est de prouver que le gouffre de l’Homo Detritus vers lequel dérive Haïti, à contre sens de la trajectoire vers l’Humanité Digne, est le fait de la profonde et terrifiante inhumanité de ceux qui, en ce lieu, ont le savoir et le pouvoir. Ces marrons de l’indignité vivent dans une imposture si criante qu’ils ont transmué les variables du processus vital et humain pour les mettre au niveau de leurs propres médiocrités. Une certaine loi du management, connue sous le nom de syndrome du scarabée, incite les dirigeants à promouvoir les postures qui leur correspondent et à s’acoquiner avec ceux qui leur ressemblent pour que l’écosystème transpire de leurs valeurs. Les institutions d’un pays sont le reflet des valeurs dominantes des élites de ce pays. Ainsi, dans cet écosystème aux senteurs de shithole, au lieu de maitriser la complexité par enrichissement de la culture pour tendre vers plus d’intelligence, les élites vont amplifier, par la malice, les mauvais arrangements pour fructifier la corruption et l’impunité.
Exit tous ceux qui ne font pas allégeance à ce management indigent. Dans les institutions étatiques, dans les entreprises privées, dans les ONG, dans le partis politiques, dans les universités, dans les médias, dans les associations socioprofessionnelles, dans les réseaux culturels, c’est le même modèle d’affaires qui assure la réussite des AS de l’indigence : Accointances et Silences, Arnaque et Soumission. Nul ne réussit ici s’il n’est suffisamment flexible pour rester futile afin d’être utile au système. Par cette injonction médiocre, transmise de proche en proche, un entre-soi malsain allait imprimer en pointillés le motif sculptural de l’Haïti du futur. En effet, ce sont les strates culturelles d’un pays qui stabilisent ses institutions. Or, les strates de la culture haïtienne sont faites de malice, de vilénies, de crapuleries, d'indifférences, de silences, de complicités, d’indignité et constituent des failles motrices de la défaillance collective.
Par un angle d’enfumage, médiatiquement réglé pour remplir la panse des éditocrates et des publicistes, des indigents opulents, fuyant la précarité de leur propre écosystème défaillant, ont fait converger les postures professionnelles vers un foisonnant fumier confirmant un autre postulat du discours morinien : ‘‘c’est toujours ce qui éclaire qu’il faut maintenir dans l’ombre’’. Ainsi, tandis qu’en amont, on médiatise les postures professionnelles porteuses de silences, d'allégeances et de convergences aliénantes ; en aval, on occulte celles marquées par les pertinentes insolences, les insoumissions cohérentes et les divergences structurantes.
Il n’en fallait pas plus pour l’enfumage de la barbarie ne fasse errer le processus d’évolution et propulse le pays vers une indicible déshumanisation. C’est Simone Weil qui nous dit, dans Le déracinement, que partout où il y a des êtres culturellement effondrés et localement déracinés, il y aura toujours barbarie et déshumanisation. Déshumanisation étant le processus inverse de cette humanité en quête de culture pour maitriser la complexité. Si le processus s’est inversé dans l’écosystème local haïtien, la modélisation ne peut plus être la même. Et si elle conserve l’équation pour induire en erreur, les variables n’ont plus le même sens. Ainsi, Haïti n’est plus un écosystème local en résonance d’un écosystème global qui maitrise la complexité par la richesse de sa culture pour magnifier l’Humanité, mais devient un groupe d’Hominidés (bipède nu sans culture) ayant pris les raccourcis de la Médiocrité, pour profiter tranquillement de la Corruption en se laissant terrasser par la Criminalité. La stabilité est ainsi inversement assurée.
H = MC2
Or, un écosystème ne peut se stabiliser que par la prolifération des organisations apprenantes. Car rien ne vaut le tumulte des retours d'expérience pour construire le socle de la connaissance par la culture et par l‘expérience. Capter les bruits de ces expériences, les formaliser, les mettre en débat pour les codifier par un processus de validation afin de les intégrer dans les pratiques pour enrichir la culture organisationnelle et institutionnelle sont les enjeux incontournables dans « la lutte permanente et multiforme contre l’illusion et l’erreur » à laquelle convie Edgar Morin. Mais on ne peut mener cette lutte qu’en allant au corps à corps, que par l’intranquillité, que par les prises de risque. Or quand l’enfumage des accointances abime la conscience collective et augmente l’inertie de la gouvernance par la multiplication des redevances, l’intelligence tombe dans une errance agonisante. C’est encore Morin qui postule que chaque fois que la stratégie s’enferme dans les entre-soi de la technique utilitaire minimalement et des accointances du savoir futile et docile, la démocratie régresse et l’humanité s’effondre avec.
C’est un brillant économiste haïtien, dont j’hésite à citer le nom, pour ne pas lui porter préjudice, qui explique, dans un constat apocalyptique[1], que depuis les années 1936, des visionnaires haïtiens avaient prédit l’effondrement du pays et que les habitants de la capitale allaient être dévorés par des monstres dans au plus 20 ans. Pour avoir osé prendre le contrepied de cette analyse apocalyptiquement simplifiante par sa chute empreinte de fatalité, et pour avoir montré que ce constat était la preuve de l’insignifiance de ceux qui avaient les diplômes en Haïti, je me suis fait traiter en privé de ‘‘salaud’’ à la ‘‘santé mentale déviante’’ et d’immense ‘‘idiot’’.
Je veux terminer mon texte par une leçon d’humilité. Ainsi je réponds, avec mes armes, à ce qui s’apparente à l’insulte que l’éminent expert adresse à la petite personne sans référence académique qui ose contester sa parole. D’abord, je ne me sens pas sens insulter par le fait d’être vu comme un idiot. Quiconque a lu avec intelligence mon texte aura vu que dans le second sous-titre, au quatrième paragraphe, dans la dernière phrase, j’assume pleinement le statut d’idiot, car je reconnais l’expertise de mon interlocuteur. Et toute ma fierté est d’assumer cette idiotie sans avoir peur d’aller au corps avec corps avec les experts. Ensuite, je suis si longtemps habitué au fait d’être perçu comme un salaud, pour avoir toujours opposé mon authenticité aux contre valeurs dominantes de l’écosystème, que je me sens presque fier d’être le salaud qui s’oppose à l’entre-soi d’un monde bien-pensant qui bouffe la merde en faisant la fête. Et enfin, comment, sans être un indigent, ne pas avoir l’esprit profondément tourmenté devant le vertige que donne le gouffre sans fin dans lequel le pays s’abime ? C’est encore une fierté pour moi de savoir que ma conscience est inquiète et troublée car elle n’est pas orientée dans le sens de l’effondrement.
Par cette réponse, je veux montrer humblement qu’on peut toujours faire quelque chose d’autre de ce qu’on veut faire de nous. Ici, c’est l’art de transformer une insulte en qualité. Mais évidemment, pour y parvenir avec brio, il faut autre chose que de l’enfumage. Et c’est justement ce que j’essaie de faire : acter de la médiocrité de la culture haïtienne en allant au corps à corps avec ceux qui se présentent comme les puissants, les compétents ou les opulents. Mais c’est moins pour me mettre en scène que pour faire émerger par ce sacrifice la perspective d’une parole plus Vraie, plus Radicale, plus Authentique, plus Insoumise et plus Engageante. Voilà le VRAI sens de mon Intranquillité.
Et je m’en voudrais de conclure sans reprendre tout haut ce qu’a dit Daniel Innerarity, dans son livre, Démocratie de la connaissance, ‘‘pour le dire d’une manière provocante, ce qui nous manque ce sont des idiots qui se trompent, qui pensent par eux-mêmes, hors des sentiers battus, hors de ce qui se dit ou de ce que l’on reçoit aveuglément comme une information’’.
Le drame haïtien est d’être un peuple qui n’apprend pas de ses expériences. Or, là où il n’y a pas d’apprentissage, il n’y a que bricolage et rafistolage sur fond d’effroyables batailles pour la survie. L’enfumage qui sort d’un tel lieu révèle le hideux spectacle d’une permanente pagaille assurant la réussite d’une racaille qui va vers son effondrement au son d’un bouillonnant et permanent carnaval.
Je porte ceci comme le récit de mon testament dénudé. Car dans mes abîmes d'idiotie, décrétés par l’imposture savante, dans mes embrasements intranquilles, décriés par l’expertise aliénante, dans mes errements débiles, reconnus par la réussite enfumante, dans mes orages de folie, promus par l’indignité assommante, j'ai trouvé l'éclair de cette authenticité qui irradie toujours d’insolence, d’intégrité, d'ivresse et de dignité.
Et pour ajouter la provocation finale, je dirai aux uns et aux autres de ne jamais oublier que là où il y a vraiment de la compétence, même l’insulte peut devenir une prose pour séduire l’humanité. Ceci est un des paradoxes de l’intelligence.
L’idiot intranquille et dément que l'on assimile à un salaud
[1] https://lenouvelliste.com/article/227298/gangs-armes-que-deviendra-haiti-dans-20-ans