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Billet de blog 27 février 2022

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L'hiver viendra-t-il comme un loup des steppes s’appropriant l’art de la guerre ?

Et si c'était l'hiver sans fin qui venait ! Là, furtif, tel un loup des steppes poussé dans les retranchements de sa tanière, et qui s'est approprié l'art de la guerre, comme s'il avait sous la peau la mémoire de la sagesse du guerrier Sun Tzu.

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Un prétexte pour s’imprégner du contexte

Illustration 1
Le loup des steppes en appropriation de l'art de la guerre © Erno Renoncourt

Nul autre contexte n’est plus propice pour relire et relier les messages profonds et inspirants qui se dégagent de la lecture de L’art de la Guerre de Sun Tzu (Ve siècle av JC) et du Loup des steppes de Hermann Hesse (XXème siècle). Deux chefs d’œuvre éloignés dans le temps et dans le texte, que rien, en apparence, ne rapproche ; mais qui, pourtant se bousculent, se tutoient, au coude à coude, sur l’axe d’un temps incertain, assassin et annonciateur d’apocalypse. Le mistral gagnant des indigents du XXIème siècle semble nous rapprocher d’une fin brutale. Pour cause, depuis la fin de la première décennie de ce siècle, les signaux furtifs et avant-coureurs d’une sourde précarité humaine, rappelant les soubresauts des grandes éruptions barbares, qui ont jadis fait boguer l’humanité sous les enculades des fossoyeurs impériaux, s’amoncelaient faiblement, mais inexorablement.

Ces médiocrités empilées ont courbé l’axe du temps et ont permis à l’artiste guerrier de Sun Tzu et au loup solitaire d’Hermann Hesse de se donner la main. Le guerrier d’outre temps semble avoir passé la hache de la guerre au loup moderne que l’indigence triomphante a confiné dans sa tanière pour mieux le prendre en chasse. Dieu fasse qu’en attendant l’hiver, le loup des steppes, dans sa solitude créatrice et potentiellement destructrice, ne s’est point approprié l’art de la guerre. Car, si tel est le cas, il faut redouter l’hiver qui vient.

Voilà un pré-texte qui invite tout un chacun à méditer dans ce contexte, humainement putride, sur le sens qu’il doit donner à ses victoires, à ses conquêtes, à ses engagements, pour mieux définir ses liens avec les autres et avec le monde. Dans ce temps nauséabond et suffocant, il faut prendre le temps de s’imprégner de ces deux œuvres majestueuses à contre temps qui imposent pourtant leur synchronisation au monde comme une bouffée de méditation pur trouver la brèche de la sagesse. Dans ce temps voyou et assassin, il est salutaire de camper le profil de deux héros, en rupture de notre temps, pour mieux donner la dimension de la bêtise qui a pris possession du monde.

La solitude comme paradoxe de création et destruction

Mais qu’est ce qui peut bien relier l’œuvre de Sun Tzu, remontant au Vème avant Jésus Christ, dont le titre est une apologie de la guerre, à celle d’Hermann Hesse, qui est un roman anti militariste, remontant au siècle dernier ? À l’évidence rien ! Sinon, la folie d’un esprit en délire. Edgar Morin n’a-t-il pas écrit que la démence est la rançon de la sapience ? Justement, c’est la folie qui donne la clé du lien. Car, quand on prend le temps de s’attarder sur leur sens profond, tout ce qui les oppose ne fait que les rapprocher. Pour cause, c’est le contexte qui crée le sens de leur synchronisation, au-delà de l’évidence.  Et seuls ceux qui, obstinément, intranquillement, pensent toujours à côté, pour ne pas passer à côté de l’essentiel, peuvent voir au-delà du spectre d’enfumage que délimite l’indigence. Ces deux œuvres se synchronisent dans le temps actuel comme deux versants opposés qui rejouent l’harmonie des contraires. Là où l’artiste guerrier de Sun Tzu, dans sa dignité de commandeur, promeut l’équité et l’amour des hommes qui lui sont soumis, et des hommes en général, le héros schizophrène et solitaire d’Hermann Hesse, mi sauvage et destructeur, mi affable et raffiné, vit en reclus. Pour lui, il n’y a que vu de loin que le monde est beau, puisqu’au fond de son âme profondément solitaire, c’est « Un animal égaré dans un monde qui lui est hostile et menaçant ».

C’est justement la fusion de ces paradoxes qui relie ces deux ouvrages : dans l’un, il y a le profil du guerrier sage qui énonce les principes immuables pour sortir victorieux de toute guerre comme des trésors de sagesse ; et le profil de l’engagement pour l’art, donc pour l’autre, qui se drape dans une solitude éructée de folie aux instincts (auto) destructeurs. La guerre qui rend sage, ou le sage qui fait la guerre, et l’amour qui tue, ou la mort qui aime, sont les deux paradoxes de ces deux œuvres. Mais le paradoxe n’est-il pas le fondement de la complexité ?  Qu’on se rappelle l’injonction d’Héraclite, vivre de mort et mourir de vie, que le livre de Jean Claude Ameisen (La sculpture du vivant, 1999) nous aide à mieux apprivoiser pour voir le vivant, et l’humain qui en est une infime partie, sous un jour nouveau et ouvrir à la réflexion des territoires oubliés.

Si le paradoxe de la sagesse guerrière traverse intemporellement le chef d’œuvre de Sun Tzu, celui de la solitude comme démon créateur et destructeur fige dans notre mémoire l’œuvre d’Hermann Hesse comme œuvre lumineuse de la littérature du XXème siècle. Les deux semblent nous convier à prendre le temps de méditer nos actions pour ne pas nous enliser dans des campagnes de guerre au bout desquelles, il ne restera que nos actes manqués pour l’engagement humain et pour la vie.  Deux paradoxes qui nous ramènent à notre temps en nous rappelant que « la folie est souvent le commencement de toute sagesse ».

            Éviter le piège des retranchements solitaires et des enlisements guerriers

Faut-il rappeler que Le loup des steppes de Hermann Hesse a été interdit en Allemagne pendant le règne des nazis, entre 1939 et 1945. Comme un clin d’œil à cette Europe qui se vassalise et joue à se faire peur en oubliant qu’il ne faut jamais pousser ceux qu’on combat dans les retranchements de l’isolement. Car là, comme des loups des steppes, ils sont toujours prêts à payer les tributs de la guerre que leur impose la folie des hommes qui rêvent d’empire, de grandeur, de millénaire. Clin d’œil à notre monde qui aujourd’hui rêve d’éternité, d’homme augmenté et d’immortalité...quoi qu’il en coûte. Et c’est là que s’impose dans ce contexte de guerre, sous son titre belliqueux, l’art de la guerre de Sun Tzu comme un livre d’infinie sagesse, car il récuse le quoi qu’il coute même quand la victoire est à portée de combat mais peut exiger un tribut colossal à payer. Dans le chapitre VIII, intitulé les neuf changements, le guerrier de la sagesse livre les clés de l’ӎvaluation « Avant de songer à vous procurer quelque avantage, comparez-le avec les sacrifices, la peine, les dépenses et les pertes d’hommes et de munitions qu’il pourra vous occasionner. […] ; après cette évaluation, vous vous déterminerez à le prendre ou à le laisser suivant les lois d’une saine prudence » (Page 52, article VIII).

Faut-il rappeler l’histoire : Napoléon et l’hiver de la campagne de 1812 ! Hitler et l’hiver de la bataille de Stalingrad de 1943. Un clin d’oeil historique à ceux qui manquent de discernement et qui se réfugient, ave entêtement, dans un camp comme dans l’autre, derrière les Ukrainiens comme boucs émissaires pour régler leurs différends politiques, historiques et idéologiques ; fussent-ils légitimes. Et c’est là tout le plein de paradoxe que renferme ce livre de guerre dont les principes semblent s’appliquer à toutes les situations de la vie. Sans doute, maitre Sun Tzu considérait, comme maitre Yoda, la vie comme une guerre à mener pour triompher de cet éternel ennemi qu’est l’indigence et l’ivresse de la puissance. Cet angle de lecture peut nous aider à comprendre pourquoi cette œuvre s’est installée comme un manuel de stratégie intemporel, comme un guide indépassable pour les évaluateurs, les décideurs et ceux qui conduisent le changement un peu partout dans le monde.

D’ailleurs, les deux premiers articles (chapitres) portent des titres inspirants : De l’évaluation (article 1) et de l’engagement (article 2). Une manière sans doute de nous rappeler que toute œuvre qui doit conduire à la victoire doit commencer par une profonde évaluation, et prendre sens dans un authentique engagement. Car, là où il n'y a ni temps opportun, ni disponibilité humaine pour évaluer et construire du sens, tout sera toujours invariablement chaotique. C’est encore Sun Tzu qui nous invite à éviter le chaos en assumant la connaissance comme la première vertu du sage qui maitrise l’art de la guerre. Et c’est au nom de cette connaissance qu’il suggère que le général digne de son rang ne passera pas à côté de l’engagement pour limiter la campagne de guerre en cherchant à pousser son ennemi dans ses derniers retranchements par l’excès des punitions et des sanctions ! Pour Sun Tzu, l’excès des sanctions cache une impuissance et une grande détresse (page 63, article IX). Mais aussi, l’entêtement à détruire l’ennemi peut devenir un enlisement meurtrier. Ainsi, il nous dit que le guerrier qui lance une campagne et manque sa cible court le risque d’entrainer ses troupes dans une source de funestes malheurs (Page 11, Article II).

Et c’est là que le paradoxe des signaux faibles joue son rôle dans la stratégie, puisque Sun Tzu exhorte le guerrier stratège à voir avec la même visibilité ce qui est loin (furtif, dissimulé) comme ce qui est sous les yeux. Car l'essentiel de la vie est dans des détails furtifs que seuls les plus attentifs peuvent saisir. Et c’est là que le héros solitaire de Hesse donne la main à l’artiste guerrier de Tzu pour refuser l’enlisement de la guerre : même dans la guerre, il faut s’enivrer de dignité, d'engagement, de folie pour ne pas passer à côté de la beauté cachée concernant la nature de vos ennemis. Un grand guerrier respecte l’intelligence de ses ennemis. Connais ton ennemi, et ta victoire ne sera jamais mis en danger (Page 75, Article X). C’est la connaissance du stratège qui le conduira à ne jamais pousser un ennemi dans ses retranchements par l’isolement. Et cela vaut et pour les Occidentaux et pour les Russes. C’est dans la solitude et la folie que les loups des steppes décuplent leur créativité qui peut devenir destructrice pour ceux qui sont en face d’eux, ou auto destructrice pour tous.

Il me semble que je devais relier ces deux ouvrages dans ce contexte d’indigence pour que les uns et les autres n’oublient pas qu’en matière de guerre nucléaire, c’est le premier qui actionne qui gagnera, si gagnant il y aura. Or qui sait s’il n’y en pas un qui, par recherche du coup fatal en avance, a installé sous une de ses dents, une puce reliée à un certain bouton de réinitialisation de son téléphone virtuel implanté sous la paume de sa main ?  Non je ne délire pas, je me rappelle quelques pans des récits d’espionnage de Robert Ludlum dont un certain héros Jason Bourne, traqué comme une bête, avait compris qu’il avait la mémoire, la mort et la vengeance dans la peau. Donc dans ce contexte d’indigence à fleur de peau, il me semble que celui qui a la solitude comme confort a une longueur d’avance sur ceux qui doivent se concerter à plusieurs pour délibérer. Suivez mon regard. Alors comme nous le recommande l’engagement contre la haine dont est porteur le livre d’Hermann Hesse, il est encore temps d’« éviter la prochaine guerre ; d’épargner au monde le prochain massacre de plusieurs millions d’hommes ».

Espérons que le belligérant, qu’on essaie de repousser dans ses retranchements, comme un loup des steppes, ne s’est pas approprié l’art de la guerre. Auquel cas, il faut redouter l’hiver qui vient.  

Erno Renoncourt, 27/02/2022, Haïti.

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