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Billet de blog 28 octobre 2022

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L'intelligible contexte de l'errance haïtienne

Pour répondre aux narratifs présentant Haïti comme un shithole, ce texte incite à sortir du piège des complaintes victimaires pour transformer les indignations collectives en colères intelligentes. Sur fond de contextualisation insolente, il questionne : un collectif, confortable dans son errance, entre malice assumée, culture enfumée et conscience effondrée, peut-il assumer dignement son destin ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Cycle d'impuissance © Erno Renoncourt

Introduction

J’ai cherché comment donner du sens aux quelques théories scientifiques, économiques et cognitives, pour ainsi dire systémiques, avec lesquelles j’ai été en contact grâce à une curiosité débordante et intranquille. Cette quête m’a conduit, aléatoirement et progressivement, au gré de mes questionnements, vers des lectures qui ont structuré ma conscience et m’ont permis de produire une problématique contextuelle, insolente et originale pour situer l’errance collective haïtienne dans le chaos d’un monde soumis à des forces invariantes de déshumanisation.

Cette contextualisation n’a pas pour but de trouver des boucs émissaires à qui imputer la responsabilité de cette errance anthropologique qui transforme Haïti en une république indigente. Elle essaie de projeter les postures observables dans la population haïtienne sur les axes des repères des sciences cognitives qui fournissent un repère intelligible pour expliquer les comportements humains. Explications sur lesquelles je surfe, en mettant en reliance les hommes, leur mémoire, leur culture et leur conscience, pour trouver une possible brèche vers des lignes de fuite hors du chaos et de l’effondrement permanents qui déshumanisent le collectif haïtien. Pour insolente que soit mon axiomatique sur l’errance haïtienne, elle n’est pas moins traversée par la flamme d’une douce vibration PoÉthique. Car, je vis dans l’utopie que placé dans un contexte irradiant, l’homme, sublimé par une mémoire, nourrie de noblesse et de dignité, peut faire vibrer sa conscience pour que celle-ci produise les raisonnances culturelles capables de lui suggérer les postures de responsabilité pour évoluer dans son écosystème, aussi incertain soit-il. Du reste, si l’on croit Emmanuel Kant, l’intelligence se mesure à la charge d’incertitudes que l’être humain qui la revendique est capable d’assumer pour évoluer dans le chaos de son univers.

Haïti : l’intelligence en déroute !

Or l’intelligence, selon l’historien Roger Gaillard, a été mise en déroute en Haïti par des forces médiocres. Pour cause, l’histoire d’Haiti se raconte comme un récit incessant de barbarie et de déshumanisation, sa géographie est un tracé de douleurs sur un territoire enclavé entre mer houleuse et montagnes rocheuses, son urbanisme est un impensé de bidons-villes et de forteresses de béton et de fer forgé rappelant l’architecture des prisons, la culture n’est qu’une immense imposture, tant elle est auréolée de métissage improbable et de résilience crasseuse. Ici, tout invite à la fuite.  On ne survit qu’en devenant affreux et laid, par la culture d’une petite débrouillardise et d’une intelligence adaptative qui tuent l’intelligence collective. Et cela résonne dans la culture par des échos pleins d’irresponsabilité, de marronnage et de malice, toujours à la limite de l’infraction :

  • Pito nou lèd, nou la : Mieux vaut être laid, mais vivant ;
  • Se sòt ki bay, embesil ki pa pran : Seul le sot partage et seul l’imbécile refuse de prendre ;
  • Degaje pa peche : Se débrouiller n’est pas un péché.

De la culture et des hommes

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Cycle de turbulence © Erno Renoncourt

C’est justement ce bug dans la culture haïtienne que nous voulons relever en proposant une axiomatique qui prend le contre-pied de la thèse de la déroute de l’intelligence pour lui substituer un postulat faisant ressortir le paradoxe anthropologique d’un peuple qui réussit dans les rêves d’ailleurs par sa culture et qui agonise dans son écosystème qu’il transforme en étouffoir pour la pensée intelligence. Pour nous, il s’agit d’un autoroutage vers l’indigence par une errance assumée, parce que la dépendance qui l’accompagne est génératrice de ressources pour une minorité qui n’a pas besoin d’intelligence, parce que se sentant confortable dans le spleen d’un minimum insignifiant cultivé comme art de la réussite.

Dans le paradigme perdu, Edgar Morin écrit que : « la culture est indispensable pour produire de l’homme, c’est-à-dire un individu hautement complexe dans une société hautement complexe » (Le paradigme perdu, Seuil, 1973, p 70). Mais qu’est-ce que donc la culture ? Se résume-t-elle à la somme des œuvres d’art, littéraires, académiques et poétiques produites à un moment donné et en un lieu donné et qui sont reconnues et récompensées par les académiciens des beaux-arts et des belles lettres ? Si tel était le cas, en tenant compte de la somme des œuvres culturelles haïtiennes récompensées, depuis l’accession à l’indépendance, l’environnement physique du pays devait porter les traces de ce succès culturel. Or ce n’est pas le cas. Car, même si quelques imposteurs culturels continuent de brandir des images de cartes postales de quelques plages haïtiennes et de crier à tue-tête : Vive Haïti chérie ! tout respire la défaillance, l’échec, la fatalité et l’indigence. Et à celui qui est capable encore de s’indigner, cela pose un défi à la culture et à l’intelligence humaine.

Culture enfumée

Alors, se peut-il que la culture soit plus systémiquement une certaine manière de penser le monde et son environnement, de se situer par rapport aux autres dans cet environnement pour trouver, dans ce rapport entre global et local, les outils contextuels pour agir sur ls défaillances. Si cette définition contextuelle est acceptable, alors les lacunes haïtiennes sont immenses. Pour cause, Haïti est un lieu improbable qui n’est pensé ni par ses habitants ni pour ses habitants. Ainsi, manifestement, il apparait que la culture ne suffit pas pour produire de l’humain qui est un homme complexe, conscientisé, imbu de ses responsabilités, capable de s’organiser dans une société complexe pour faire face aux complexités de son écosystème.

De fait, aux mains d’hommes incapables de donner du sens à leurs interactions avec leurs écosystèmes, incapables de responsabilité envers leur pays et de solidarité envers leur collectif, la culture ne sera au pis qu’une insignifiance, qu’une futilité ; et, au mieux, elle restera un luxe qui apportera de la reconnaissance et permettra quelques petites célébrations sur fond de réussites individuelles à quelques-uns. Mais, en aucun cas, elle ne pourra permettre de développer ces liens de complexité pour construire une société complexe, stable, prospère et digne. Pour que cela advienne, la culture doit être un puissant moyen de contextualiser le savoir accumulé pour produire de nouvelles inférences, susciter de nouvelles agitations, provoquer et déranger le minimum insignifiant confortable pour aboutir à l’acte innovant de cognition : faire naître de

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Cyle d'urgence © Erno Renoncourt

nouveaux possibles humains pour ne pas se verrouiller sur l’errance.

Et, objectivement, dans une conscience effondrée, la culture n’est qu’un verrou qui se conforte du statu quo et bloque les possibles humains. L’intelligence culturelle qui permet d’agir avec cohérence n’est que la raisonnance produite par les vibrations mémorielles d’une conscience enflammée qui s’agite en permanence pour trouver la posture d’équilibre dans un monde chaotique. Cela sous-entend que si un bagage culturel doit être reçu en héritage pour permettre à l’hominidé de devenir homme, et de continuer l’aventure du vivant, ce legs ne suffit pas pour l’amener à vivre de manière intelligente et digne, notamment en sachant tenir compte des liens de responsabilité qui l’unissent à son environnement et à ses semblables.

Conscience effondrée

Il y a un préalable à la construction des liens de responsabilité entre un groupe et son environnement. La culture n’est qu’un complément. Et ce préalable dépend de la pleine conscience des légataires de ce bagage culturel. À ce titre, savoir et culture sont, comme la richesse, des possessions et des marques de réussite futiles si on ne sait pas comment les utiliser. D’où la nécessité de questionner les voies qui déterminent les succès. Le drame st qu’en Haïti, la réussite est intimement liée à un certain modèle d’affaires qui structure la médiocrité, récompense la corruption, valorise la soumission et s’acoquine de la criminalité. En ces lieux, réussir culturellement et économiquement, c’est renoncer à son humanité et à sa dignité. C’est se dépouiller de ce qu’on a de meilleur pour accéder à ce superflu de richesse qui souvent déshumanise et enlaidi.

Cela induit que la culture n’est pas autosuffisante, et Morin le reconnait aussi, puisqu’il écrit quelques lignes plus haut dans le même ouvrage « que la culture ne constitue pas un système autosuffisant, puisqu’elle a besoin d’un cerveau développé, d’un être biologiquement très évolué […] » (idem). Cette reliance entre culture, conscience et biologie est au cœur de la problématique que nous soulevons pour expliquer l’intelligible contexte de l’errance haïtienne. En effet, sur un axiome validé par les neurosciences et qu’on peut résumer ainsi : c’est dans son code génétique, son ADN, grandement impacté par ses émotions, que l’homme puise les briques d’intelligence pour fabriquer sa culture, dont la richesse contextuelle lui offre les motifs vibrants et étincelants pour façonner son environnement. Il y a un lien étroit entre émotions, code génétique, culture et organisation sociale. C’est en tout cas, ce que nous disent ces deux livres indispensables à lire : celui de Nathalie Zammatteo (L’impact des émotions sur l’ADN, 2015) et celui d’Antonio R. Damasio (L’ordre étrange des choses. La vie, les sentiments et la fabrique de la culture, 2018).

Et c’est justement pourquoi tout échoue séculairement en Haïti. Et cela, en dépit du fait que ce peuple brille par sa culture, à travers les prix et distinctions que reçoivent ses représentants artistiques et culturels. C’est un immense bug anthropologique de savoir qu’un peuple prompt à se projeter dans les rêves blancs pour réussir reste incapable de construire un minimum humain vivable sur un territoire qu’il a reçu en héritage et qu’il transforme en cauchemar noir. Pourtant, ce territoire a été arraché à la déshumanisation au prix de hautes luttes.

Errance assumée

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Cycle de résilience © Erno Renoncourt

Et c’est là un autre bug anthropologique qui dit toute l’angoisse de l’errance haïtienne :  Tout un peuple, reste enchevêtré dans des nœuds invariants d'un cycle d'errance séculaire, malgré l'indépendance reçue en héritage, il y a 218 ans.  À la liberté et à la dignité, que leurs aïeux, anciens esclaves préférant la mort dans l’héroïsme du combat qu’à la survie médiocre dans l’esclavage, leur ont laissé, les générations d’Haïtiens et d’Haïtiennes d’après l’indépendance ont préféré substituer des récompenses et des accointances étrangères tout en survivant à l’indigence. Pour cause, sans repère éthique, sans intelligence systémique, à perte de sens dans un monde chaotique, Haïti ne fait que rejouer les notes d'une déshumanisation qui verrouille le pays sur des boucles de turbulences. Et, heureuse, comme un vautour devant des cadavres putréfiés, l’assistance internationale, à son chevet, lui propose de répondre par des boucles d'urgences dont la performance défaillante laisse invariante l’errance séculaire. Et pour se donner contre bonne fortune mauvaise conscience, puisque la défaillance collective fait le succès des experts de l’assistance, celle-ci déverse en retour des boucles de résilience qui célèbrent l’indigence en fête.

Dans les sursauts inaudibles de cette errance assumée comme une agonie célébrée, quelques-uns émergent des abysses putrides dans les loques d'impostures de quelques récompenses qui les transforment en héros d'un cercle d'insignifiants anoblis. Investis d’’une renommée fabriquée à coup d’endettement éthique, d’insignifiance doctorée et de renommée culturelle enfumée, ils se sont constituent comme de vastes fumiers foisonnants en réserve de la république shitholique. République gangstérisée où gangs de salons, diplômés et doctorés, apportent les gages de leur récompense comme cautions au succès des gangs politiques qui, eux-mêmes, recrutent des gangs de rues pour terrasser la population et sécuriser leur rente. Ce sont là quelques-unes des variables structurantes, entre malice assumée, culture enfumée, conscience effondrée, qui permettent de comprendre comment l’autoroutage de l’intelligence vers l’errance a structuré la construction du shithole haïtien.

Mémoire fissurée

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que cette errance, quoiqu’assumée localement, fait partie d’une géostratégie de la déshumanisation. En mettant face à face des peaux noires auréolées de masques blancs et des peaux noires déracinées par reproduction des codes du marronage, des barbares à la peau blanche et autres peaux métissées d'ici et d'ailleurs, éternels fabricants d’impostures, confortent le chaos haïtien. Car, eux aussi, ils en tirent un profit. Car, après tout, Haiti reste un pays dépossédé par ses élites qui ont abdiqué leur responsabilité et leur souveraineté en échange de réussites précaires. A la dignité et la liberté, elles renoncent pour se verrouiller sur une dépendance proche de la servitude volontaire vis-à-vis des intérêts étrangers. Ainsi, élites économiques gangstérisées et acculturées, élites culturelles déshumanisées et déracinées convergent leurs intérêts autour d’une géopolitique d’auto asservissement envers les intérêts étrangers. Et, en retour les barbares impérialistes qui vivent de chaos et de ressources leur imposent des hordes délinquantes, corrompues et criminelles comme leadership politique.

Il y a bien des fabricants d’impostures qui donnent du savoir, du pouvoir, de la richesse, de la reconnaissance et des titres académiques et culturels à des hommes humainement effondrés et déracinés pour qu’ils rejouent les notes d’une vielle déshumanisation afin de sécuriser ce qu’ils perçoivent, non comme un legs de culture et de liberté à entretenir, à magnifier pour faire émerger de nouveaux possibles et le transmettre, amplifié et enrichi ,aux générations futures, mais comme une rente à dilapider. Pour qu’il y ait intelligence collective en un lieu, il faut qu’il y ait sublimation de la mémoire collective. Selon ce que nous dit Maurice Halbwachs, la mémoire collective est différente de la mémorisation des évènements de l’histoire. Tandis que l’histoire vécue n’est qu’un tableau d’événements (Maurice Halbwachs, La mémoire collective, 1950), la mémoire collective est constituée de fibres et de vibrations dont la richesse culturelle et la noblesse des émotions qui la traversent peuvent résonner dans la conscience et amener celle-ci à s’enflammer d’intelligence. Si la conscience collective est effondrée, si la culture est enfumée, l’intelligence sera déroutée, car l’acte de cognition est empêché. L’intelligence ne peut émerger en un lieu que si ceux qui y vivent habitent ce lieu et partagent entre eux une mémoire collective, faite de responsabilité, d’intégrité, de dignité et de solidarité, valeurs PoÉthiques qu’ils auront à cœur de faire briller et de protéger pour les transmettre comme legs culturel aux générations futures.

Point besoin d’être un grand neuropsychologue pour comprendre que 3 siècles de barbarie esclavagiste et 2 siècles d’adaptation résiliente à la misère chronique et à l’instabilité systémique n’ont pas doté le collectif haïtien, en majorité descendant d’anciens esclaves devenus libres, de fibres mémorielles étincelantes pour produire de l’intelligence. L’autoroutage de l’intelligence vers la malice a naturellement inversé le sens des rapports de l’homme haïtien avec son environnement et ses semblables en effondrant sa conscience : Haiti est un pays sans chapeau : lieu d’errance, d’agonie et de transit qu’il faut fuir impérativement. Si l’on y revient, c’est pour venir déshumaniser, s’encanailler ou faire vivre le mythe d’un improbable retour au pays natal. Conscient de vivre dans un environnement hostile qui menace son intégrité physique, enlève sa liberté, aliène sa dignité et nie son humanité, l’Haïtien continue de puiser dans sa mémoire évidée et effondrée les trames grégaires instinctives pour s’adapter à ce contexte déshumanisant : marronage et fuite pour rester libre, malice et violence pour se défendre, résister et survivre. En effet,

  • L’environnement physique reste toujours hostile et est perçu par le collectif comme inhumain, car il ne cesse d’engendrer des malheurs par les catastrophes climatiques et sismiques qui s’éruptent cycliquement.
  • L’environnement social et économique reste immensément précaire quand on n’a pas la bonne couleur de peau ou les bonnes accointances blanches, et là les catastrophes sont générées par des élites étrangères déracinées et criminalisées pour lesquelles, Haïti n’est qu’un lieu d’affaires et de transit.
  • L’environnement culturel est insignifiant, car aux mains d’une élite académique et artistique insignifiante qui maintient le pays dans une dépendance profonde vis-à-vis des anciennes puissances coloniales pour assouvir leurs rêves blancs d’ailleurs d’accéder à la reconnaissance du blanc en se dédiant à la servitude volontaire. La culture résonne en échos d’impostures car n’étant qu’un tremplin pour se projeter dans les rêves blancs quitte à enfumer Haïti de cauchemars noirs.
  • Quant à l’environnement politique, il est la source de l’instabilité institutionnelle, car il est sous la maitrise d’une élite médiocre et gangstérisée où se mélangent quelques lettrés crapules et une foule d’hommes de mains (lupems), scolarisés ou alphabétisés, prêts à tout pour sortir du ghetto de la misère et entrer dans l’enfumage de la réussite.

Et comme l’enseigne la psychologie cognitive, ce qui est mémorisé dans les gênes, pour être transmis intergénérationnellement, est ce qui a apporté un gain au collectif. Or, dans le contexte haïtien, ce gain n’a été autre que la malice et le marronage. Et pour cause, aucun Haïtien ne fait confiance à un autre ; aucun Haïtien ne dit jamais ce qu’il pense vraiment, ni dans les réunions politiques, professionnelles ou privées. Il est toujours silencieux, en mode « prêt à fuir ». Chaque situation est un coup de malice à tenter, car sans cesse, il faut toujours se montrer plus malicieux que l’autre qui doit être couillonné pour ne pas être soi-même couillonné.

On se retrouve dans un pays dépossédé, non habité, gouverné par une géostratégie de l’errance. Au sommet, deux groupes dominants, l’un maitrisant l’économie et l’autre la culture, nouent de petites accointances et dépendances avec le blanc et se détournent de tout attachement véritable et de toute responsabilité envers le pays et la population. La dépendance est pour eux le summum de la réussite, car génératrice de ressources. Au milieu, des classes moyennes qui ne veulent que ressembler à ceux d’en haut sont prêtes à toutes les soumissions, toutes les prostitutions, toutes les corruptions pour réussir, et se bousculent dans les ONG ou prennent la fuite vers es ailleurs plus cléments. Et à la base, les masses populaires s’adaptent et imposent à l’environnement les marques de leur survie. Ainsi se structure cette heureuse résilience, entre cycle de turbulences et cycle d’urgences, qui rend l’errance invariante.

Illustration 5
Cycle d'errance © Erno Renoncourt

Oui, l’effondrement haïtien est programmé par des stratèges blancs et noirs (dissimulés derrière des masques blancs) qui, pour la maitrise des ressources et des matières de l’écosystème, s’offrent des leviers géostratégiques de déshumanisation invisibilisés, grâce auxquels ils dressent malicieusement, les peaux noires contre les peaux noires, tout en enfumant leur conscience collective, en la maintenant dans la culture d’une résilience en fête. Cette errance se structure par la Malice, la Corruption de la culture et la Criminalisation des postures en quête de réussite. Ce qui donne du sens à la pensée de Simone Weil selon laquelle, la déshumanisation en un lieu est toujours le résultat d’un affaiblissement des liens sociaux, lequel conduit toujours à un déracinement (Simone Weil, l’Enracinement Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain, 1990).

Vers une brèche éthique

Pito nou lèd nou la ! est le cri de résilience d’une errance assumée, puisque dans les temps esclavagistes, quand les peaux blanches tatouaient l’horreur, au fer rouge, dans la chair des peaux noires, la survie était l’ultime victoire sur la barbarie. Et comme, selon les neurosciences, tout se transmet de manière invariante dans un contexte de déshumanisation invariante, la mémoire collective, fissurée en mille lambeaux dissonants, se souvient des trames du marronage comme d’un gain permettant la survie du groupe. Alors, les slogans pleins de malice qui retentissent dans la culture haïtienne ne sont pas ceux d’un peuple anthropologiquement médiocre. Les cris angoissants d’indignité (Bouche nen w, bwè dlo santi : Face au malheur, il faut se pincer le nez et boire l'eau puante), d’opacité (Zye wè, bouch pe : ne laisse jamais ta bouche raconter ce que tes yeux ont vu), d’irresponsabilité (Se sòt ki bay, embesil ki pa pran : Seul l'idiot donne, et seul l'imbécile refuse de prendre) et d’immoralité (Degaje pa peche : Se débrouiller n'est pas un crime) sont des réponses dictées par le subconscient mémoriel d’un collectif qui se souvient de l’horreur du passé, puisque voyant dans le présent incertain, la reconstitution de ce passé barbare et déshumanisant. Ce sont les neuro sciences qui le disent : le subconscient humain est une zone de mémoire passive et bête. Si vous y entrez des données médiocres (précarités, déshumanisation), il en ressortira, dans les contextes d’effondrement de la conscience, que des stratégies médiocres (violence, irresponsabilité, malice, marronage) : garbage in, garbage out !  Aussi horrifiante que soit cette contextualisation de l’errance du collectif haïtien par la laideur de sa culture et la médiocrité de sa conscience, Haiti doit l’assumer pour la dépasser. Car elle a l’avantage de responsabiliser chacun dans la structuration de ce cycle d’errance, et offre de ce fait à chacun le moyen de produire de nouveaux liens pour innover un autre cycle d’harmonie. Car le subconscient peut être reprogrammé.

En conséquence, Haïti ne trouvera la brèche vers un possible humain, libre et digne, que quand ce qui est mort au fond de la conscience collective sera régénérée. Et là seulement, Haïti saura que vivre, c'est apprendre à devenir humain, c'est à dire à résister par sa culture aux précarités de son écosystème, pour maintenir avec son environnement et les autres, aussi différents qu'ils soient, des liens authentiques et dignes. Réussir, c'est s'enflammer de colères intelligentes pour devenir, pour SOI (société, organisations, individus) et les autres, passeur d'humanité.

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