Après deux semaines d'étonnement sur le non-étonnement de l'arrivée au second tour de Marine Le Pen, après deux semaines de matraquage médiatique sur la nécessité d'un front républicain, après deux semaines d'accusation vis-à-vis des abstentionnistes et autres "inconscients" faisant le "jeu du FN", retour sur un exemple pratique de la dédiabolisation du parti d'extrême droite faisant son jeu.
Prenons l'exemple de ce matin sur France Inter. Lors de la matinale de Patrick Cohen (le 7/9), Marc Fauvelle nous présente dans son journal de 8h00, après avoir annoncé le "coup de tonnerre à Washington" suite au limogeage du patron du FBI par Donald Trump :
"En France un départ et des crises en cascade. Marion Maréchal-Le Pen se met en retrait de la vie politique et du Front National. Parfum de crise à l'extrême gauche également : les Insoumis et les communistes feront campagne à part aux législatives. Ca ne va guère mieux au PS. Dans quelques minutes vous recevez l'homme qui portait le Parti Socialiste à la présidentielle, c'est Benoît Hamon." Patrick Cohen rappelle alors sa défaite "légitime et historique" d'après les propres mots de l'invité. Enfin Marc Fauvelle ajoute aux titres : "Dans ce journal également des traces d'hydrocarbures dans nos plats quotidiens", "le procès de la filière djihadiste de Cannes-Torcy" en terminant par la sortie du nouvel Alien de Ridley Scott au cinéma.
Le reportage sur les Etats-Unis dure environ 2 minutes, soulignant le travail que le patron du FBI opérait sur les éventuels liens de Trump et de la Russie. Puis nous en venons alors au reportage sur la sortie politique de Marion Maréchal-Le Pen, la députée d'extrême droite du Vaucluse. L'intégralité de ce reportage est retranscrite ci-dessous. Vous pouvez notamment retrouver le podcast de l'émission à cette adresse : https://www.franceinter.fr/emissions/le-journal-de-8h. Le passage sur Marion Maréchal-Le Pen se déroulant de 3 minutes 18 à 5 minutes 35.
Patrick Cohen : "La politique en France. Elle était l'étoile montante du Front National, elle s'éclipse en pleine campagne." Marc Fauvelle : "La retraite politique, ce serait un bien grand mot, surtout à 27 ans, parlons plutôt de parenthèse ou de pas de côté. Marion Maréchal-Le Pen va mettre fin à tous ses mandats : fini la région PACA où elle siégeait, fini aussi l'Assemblée, elle ne sera pas candidate à sa succession. "Raison personnelle et politique" explique la benjamine du clan Le Pen. Le Front National perd l'un de ses visages tenant (3min43) de l'aile droite identitaire, catholique, traditionnaliste, première opposante notamment en interne à la ligne de Florian Philippot (3min50) et à Carpentras dans le Vaucluse ses électeurs ont été pris de cours par sa décision. Reportage, Isabelle Dor. (3min56)
Isabelle Dor : "A Carpentras c'est sur la place des Pénitents Noirs que se retrouvent le soir, entre voisins, des militants et des sympathisants frontistes. Pour eux la décision de Marion Maréchal-Le Pen est une très mauvaise surprise".
Interrogé : "Elle déserte un peu à un moment crucial. C'est un peu décevant. Tout reposait sur elle ici dans le canton et même dans la région. On va laisser des plumes hein. C'est certain. Pour nous c'est une gifle qu'on a pris là."
Interrogée : "C'est triste mais... Ben elle va partir, elle va s'occuper de sa fille... elle va vivre sa vie, elle a bien raison. Elle va manquer ici. Oui, elle va beaucoup manquer."
Isabelle Dor (4min26) : "Si les sympathisants ne s'y attendaient pas, la garde rapprochée de la députée savait depuis des semaines qu'elle voulait changer de vie. Hervé de Lépinau, son suppléant dans la circonscription :"
Hervé de Lépinau : "C'est une tristesse bien évidemment. Mais Marion est maman d'une petite fille qui ne l'a pas vue grandir pour l'instant et avant d'être femme politique elle veut être mère et mère à plein temps. Donc cette décision est très honorable." (4min47)
Isabelle Dor : "Et puis elle laisse un beau bilan ajoute Georges Michel, l'un des responsables départemental du FN. (4min53)
Georges Michel : "Y'a cinq ans y'avait pas d'élu dans le Front National ou très peu, là aujourd'hui il y a à peu près entre 80 et 100 conseillers municipaux, deux municipalités, cinq conseils régionaux, six conseillers départementaux... c'est grâce, en partie, à Marion Maréchal-Le Pen, c'est évident."
Isabelle Dor : "Evident aussi qu'elle reviendra, Thierry d'Aigremont, le secrétaire départemental du FN, en est persuadé."
Thierry d'Aigremont : "C'est pas un adieu, c'est un au revoir."
Isabelle Dor : "Carpentras, Isabelle Dor, France Inter."
Marc Fauvelle : "Marion Maréchal qui s'éloigne et c'est son grand-père qui voit rouge. Colère de Jean-Marie Le Pen hier soir, c'est lui qui l'avait convaincue de se lancer en politique "C'est une désertion aux conséquences terribles". Pas un mot en revanche du côté de Marine Le Pen qui s'était opposé à plusieurs reprises à sa nièce ces derniers mois. Parfum de crise au FN, donc, (5min35) à l'autre bout de l'échiquier c'est une crise tout court. Rien ne va plus entre les communistes et les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon : discussions rompues en vue des législatives. Chacun présentera ses propres candidats." (5min46)
Nous avons donc près de 2 minutes 30 sur le sujet de Marion Maréchal-Le Pen quittant la politique mais aucun rappel de ce que cette femme politique a pu représenter, hormis pendant 7 secondes à l'annonce du reportage (propos soulignés). Le reportage souligne le profil de mère de famille, du rôle primordial et salutaire qu'elle a pu avoir dans la percée et la réussite du Front National et surtout le regret que cela suscite chez ses soutiens. Nous faisant presque regretter à tous Marion Maréchal-Le Pen. Mais où est donc le Front Républicain ? Qui fait donc le jeu du FN dans une telle banalisation ? Nous avons donc eu 2 minutes 30 de soutien à cette femme politique fondamentalement anti républicaine, sans une once de mise en critique, et nous n'avons en rien senti un "parfum de crise au FN" comme espère pouvoir le conclure Marc Fauvelle. C'est une banalisation du FN à peine cachée, trois jours à peine après la fin de la campagne présidentielle ou le "jeu du FN" était fait - à en croire certains éditorialistes - par les abstentionnistes, les "blancs votants", les "ni-ni", etc...
Cela se renforce d'autant plus avec la différence de traitement réservé aux autres partis politiques qui suit dans l'émission. Soulignant plus les programmes, les divisions, les trahisons des uns et des autres. Le "parfum de crise" se sent, là, à plein nez.
Patrick Cohen : "Et donc au Parti Socialiste c'est toujours la drôle de guerre."
Marc Fauvelle : "Contorsion, division, [etc...] "coup de poignards dans le dos" du côté des légitimistes du parti qui "s'amusent aussi du "supplice chinois" infligé à Manuel Valls".
La liste des divisions se multiplient jusqu'au sujet des LR qui viennent apparemment avec un "programme flambant neuf". Et à Marc Fauvelle de conclure sur la partie politique française :
"Voilà pour ce tour de France des partis en crise [a-t-on réellement ressenti une crise au FN dans ce reportage ?] ou en quête d'identité. On voit bien que le paysage politique du pays est en marche, est en route, mais on ne sait pas ou tout cela va nous mener. [Certainement aux mêmes choses que l'on connaît depuis le début des années 1990, avec la banalisation du FN, non ?]" C'est Cyril Graziani qui termine en soulignant la recomposition politique que provoque l'élection du nouveau président, surtout pour le PS et les LR, "Et même le FN [...] on l'a entendu." [Ah bon ?]
A moins d'avoir une oreille très sélective, ce reportage sur le retrait politique d'une députée d'extrême droite n'a rien d'une analyse critique, c'est la victoire de la dédiabolisation du FN. Il banalise non seulement la personnalité politique de la frontiste, qui n'a rien de banal, mais aussi ses idées ("mère de famille" avant tout, renvoyant là une image de la femme au foyer comme valeur : "décision très honorable").
Ce reportage renforce, en somme, la colère et le dégoût des électeurs du FN à l'écoute des reportages qui suivent sur la gauche et la droite. Ces derniers reportages parlent certes plus des programmes et des idées - ce qui est une bonne chose dans le débat démocratique - mais ils soulignent avant tout les divisions, à juste titre, et les manœuvres politiciennes.
Or le retrait politique de la frontiste ne bénéficie d'aucunes de ces analyses critiques. Au contraire, le retrait de Marion Maréchal-Le Pen, militante d'extrême droite, a été salué et honoré sur France Inter ce matin, trois jours après le fameux Front Républicain érigé en dogme par l'éditocratie française pendant deux semaines. Ce n'est pas un "parfum de crise" que l'on a senti plané sur le FN dans cette émission, c'est un parfum latent de normalité, le parfum qui endort, celui qui "fait le jeu du FN".
ES