Les premiers échos que j’ai de ma hiérarchie au sujet du temps partiel ne sont pas encourageants. Il semble très difficile d’en obtenir un.
Pourtant, je suis encouragée par mes collègues à essayer quand même. Grâce à elles, j’entrevois la possibilité d’une issue favorable à ma demande.
Il y a notamment cette conversation, un midi, avec la cheffe d’un bureau proche du mien. C’est sur le mode informel, je lui dis que je suis à la pêche aux infos et lui demande son avis au sujet de ma demande de temps partiel, si elle a des suggestions pour m’aider, des renseignements utiles…
Elle évoque alors les petits « à-côtés » de l’administration, la manière dont nos services s’arrangent souvent à leur manière avec les règlements.
Un exemple : quand un poste se libère dans notre service, il est systématiquement proposé dans les annonces d’emploi de l’université. Pourtant, il arrive fréquemment que les cheffes aient déjà quelqu’un en tête pour ce poste vacant. Pourquoi proposent-ils le poste dans ce cas ? Des gens y candidatent sans savoir que le choix est déjà arrêté, c’est un peu cruel… Mais on suppose que c’est pour rester dans les clous, légalement.
Je dis à cette collègue que tout le monde sait que ça magouille un peu là-haut. Elle me répond : « Si tu arrives à les convaincre de magouiller pour toi, tu as gagné ».
Elle me conseille alors de mettre dans la balance une de mes missions, que je vais ici surnommer : « l’épine dans le pied ». Sans entrer dans les détails, c’est un ensemble de tâches que je suis la seule à effectuer dans le service et qui est clairement un sujet pénible pour tout le monde car personne n’y comprend grand-chose et personne ne veut se voir attribuer un bout de cette mission.
Moi, j’ai récolté ça en arrivant, ça faisait partie du poste de la personne qui m’a précédée. Je m’en suis accommodée car cette même personne, en partant, m’a laissé des instructions claires qui me permettent d’effectuer cette mission correctement, en dépit des quelques incertitudes de cadrage.
(Au passage, ça aussi c’est un bon exemple de magouille : dans mon service, on est censées être des exécutantes et n’avoir aucune mission de formation. Ce sont nos chef·fes de bureau, d’une catégorie supérieure à la nôtre, qui sont supposées nous former. Mais c’est une vaste blague et tout le monde le sait : si la personne qui m’a précédée sur le poste ne m’avait pas laissé ces instructions, personne n’aurait pu me renseigner sur cette mission, cheffe de bureau comprise. Pas dans les détails, en tout cas.
La continuité des missions tient donc à la bonne volonté des travailleuses qui se succèdent dans ce bureau, c’est-à-dire à un travail dissimulé et gratuit.)
Cette épine-dans-le-pied, donc, dont personne ne veut et dont personne ne sait que faire, peut-être que je peux l’utiliser à mon avantage. Peut-être qu’en proposant à mes supérieures de rediscuter de sa gestion, en offrant d’en prendre en charge quelques aspects supplémentaires, j’obtiendrai gain de cause.
Je n’aime pas trop l’idée de magouiller. Je préférerais obtenir mon TP sur la base d’un raisonnement simple et qui me semble logique :
1) j’ai envie de travailler moins longtemps.
2) je peux effectuer les mêmes tâches en moins longtemps.
3) être payée moins, proportionnellement au temps que je gagne, n’est pas un problème pour moi.
L’équation paraît simple, non ?
Cette discussion, s’ajoutant à d’autres, vient nourrir un argumentaire en gestation et que je commence à noter dans la perspective d’un entretien avec M., ma supérieure hiérarchique : c’est elle que je dois convaincre.
M. est la personne qui m’a recrutée à l’origine. C’est à elle que j’ai fait part dès le début de mon intérêt pour un TP, et qui m’a dit que ce n’était pas envisageable pour le moment, qu’on verrait après quelques mois. M. est quelqu’un de plutôt agréable, mais dont je me méfie un peu : elle a tendance à affirmer des choses à l’oral et à être détrompée par des faits, sans qu’on sache si elle déforme volontairement la vérité ou si elle manque de rigueur. La façon dont elle présente les choses est toujours plus simple que la façon dont ça se déroule en réalité. Elle a aussi une légère tendance à couper la parole, le genre de chose qui me fait perdre le fil et mes moyens, trop souvent. Avant d’aller la voir, je veux être béton sur mes arguments.
Voici ce que j’inscris sur ma feuille en prévision d’un entretien avec M. :
Temps partiel
- évoqué dès le départ
- il y en a (ou il y en a eu) d’autres dans le service et dans les bureaux du même secteur
- souhait : 70 % sur 3,5 j.
- Mes missions : Deux blocs principaux
→ je peux les assurer tout en diminuant mon temps de présence
- Bloc 1 : [ma mission principale, au fonctionnement identique à celle d’autres collègues (même calendrier, mêmes tâches / public différent)]
Par rapport à mes collègues qui ont une tâche équivalente, mes interlocuteur·ices font preuve de réactivité, bienveillance et efficacité → ça facilite - Bloc 2 : [l’épine-dans-le-pied]
Tâche complexe mais maintenant prise en main ; temporalité étalée, qui permet de s’organiser à loisir par rapport aux échéances à venir ; aucun moment de rush ou d’urgence, plutôt du travail de longue durée
- Mes collègues me soutiennent ainsi que ma responsable T.
→ Si j’ai le temps de l’évoquer : souhait général d’être prises en compte dans les remodelages à venir du service, que ce soit en termes de nouvelles arrivées ou de nouvelles missions
- Ce qui me permettra de gagner du temps :
→ quelques mois ont été nécessaires pour maîtriser mes tâches ; maintenant c’est bon
→ assiduité aux formations universitaires, lecture de tous les mails sur la vie de l’université et de mon secteur (élections, colloques, animations, syndicats…) et relais aux collègues quand nécessaire
→ temps consacré à la bonne ambiance du bureau
→ temps consacré aux tâches de la boîte partagée [les requêtes d’étudiant·es, qu’on gère toutes alternativement. Ma spécialité : fouiller les archives pour répondre à des demandes d’anciens diplômes ou vérifier le parcours universitaire d’ancien·nes étudiant·es… une tâche qui prend du temps !]
→ la temporalité du bureau : moments de rush très situés qui demandent concentration et organisation, mais autres périodes plus calmes.
[Pour résumer l’idée générale : avec un TP, il me faudra prioriser mes tâches : sur les périodes tendues, je laisserai de côté certaines tâches partagées, moins urgentes ou contextuelles (formations, vie de l’université…). Une grande partie de ces tâches peuvent être sans difficulté gérées un peu plus tard, dans les périodes plus calmes. En m’organisant bien, je n’ai pas de doute sur ma capacité à tout exécuter en 70 %.
À l’oral, j’ai prévu de préciser que mis bout à bout, tous ces petits investissements pas strictement liés à mes tâches me feront gagner du temps. Je suis aussi prête à accepter d’être sous l’eau dans les périodes tendues, quitte à devoir rester un peu plus tard.]
- Je suis prête à rediscuter de la répartition des tâches. [Notamment de la fameuse épine-dans-le-pied : on m’a récemment sollicitée pour que je prenne en charge un peu plus de cette mission. J’ai refusé en partie par principe (je ne veux pas qu’on m’ajoute des trucs à faire comme ça, au débotté…) et en partie pour des raisons de manque de clarté sur le périmètre de la mission.]
*
Je me sens prête à y aller en dépit de quelques inquiétudes.
La principale : qu’on profite de ma demande de baisser mon temps de travail pour me refiler d’autres missions. J’ai prévu de bien argumenter là-dessus, mais je redoute quand même les magouilles…
L’irrationnelle : que ma demande génère de la curiosité, qu’on vienne fouiner dans mes affaires et qu’on s’aperçoive qu’en réalité, sur mon temps de travail, j’ai le temps de consulter mes mails perso, écouter la radio, lire Mediapart & autres activités diverses et discrètes. (Tout le monde le fait ? Tout le monde le sait ? Hm, l’inquiétude est là quand même !)
La plus sérieuse : desservir mes collègues. Après plusieurs mois difficiles où on a plusieurs fois alerté sur notre charge de travail, je suis sûre qu’on va me faire remarquer que c’est un drôle de timing pour demander un TP.
Je veux essayer de leur faire comprendre que les tâches d’un bureau et les tâches individuelles ne sont pas exactement sur le même plan. Qu’en fonction de la vivacité d’esprit, la bonne volonté et l’amabilité de nos interlocuteurs, deux missions équivalentes peuvent avancer sur une temporalité bien différente. Et surtout, que notre surcharge de travail était principalement due à un manque d’anticipation et d’information trop fréquent dans le service, qui nous contraint à exécuter en urgence des tâches qui ne poseraient aucun problème si elles étaient mieux réparties dans le temps.
Armée de tout ça, je me prépare à aller voir M. une première fois…