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Billet de blog 17 mars 2025

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Moins travailler - épisode 4 : pas des faveurs, des droits

Ma tentative de réduire mon temps de travail a réussi. En guise de conclusion, quelques questionnements et leçons retenues.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai laissé ce récit en jachère depuis l’été 2024, gagnée par l’urgence de la période des législatives anticipées puis de tout ce qui a suivi. Au fil des mois, il semblait de moins en moins pertinent de le poursuivre. Je suis embarrassée depuis le début par sa dimension nombriliste : le monde brûle, mais moi je veux moins travailler, et me voilà à raconter ma petite vie. Elle me frappe, la futilité de mes ambitions au regard de ce qui se passe. Les massacres, la montée de l’extrême-droite, les paniques morales qui rendent la vie impossible à des milliers de gens…

Je ne sais pas comment on résout cette équation : continuer de forger nos vies, de leur donner une forme qui nous épanouira en s’inscrivant contre les chemins tout tracés qu’on nous propose… tout en étant des allié·es effectif·ves pour toutes ces personnes dans des situations dramatiques.

Je reste convaincue que toutes nos petites vies comptent, que lutter ça compte même à très petite échelle, et que les témoignages sont une matière intéressante pour questionner et élargir les possibles.

J’ai juste l’impression que, d’une part, les possibles qu’il nous faudrait élargir actuellement sont loin du monde du travail et du temps libre. D’autre part, ma voix est celle d’une personne privilégiée et ça me gêne : sur le rapport au travail et au temps libre, j’aimerais mieux donner à lire des témoignages bien plus divers, traversant les classes sociales, et peut-être aussi les frontières. Mais je ne suis pas journaliste...

Malgré tout, je vais raconter la conclusion de ma démarche de demande de temps partiel pour les raisons suivantes :

- ne pas laisser dans un suspense insoutenable mes fidèles lecteur·ices (blague à part, je suis très reconnaissante des retours laissés sur les épisodes précédents, ainsi qu’à l’équipe de Mediapart qui gère le Club et les a parfois mis en avant : merci à toustes !)

- ne pas laisser la « stratégie du choc » qu'on nous sert en ce moment gagner, et donc rester active politiquement même pour ce tout petit truc, ne serait-ce que pour sortir de la sidération.

Mettons donc fin au suspense : j’ai obtenu mon temps partiel sous la forme d'un 90 %. J'espérais 80% ou 70%, mais c'était mieux que rien... et surtout, je travaille désormais sur 4 jours. Je me réapproprie donc une journée de plus, chaque semaine. Je trouve toujours que le ratio obtenu (4 jours de travail, 3 jours à soi) est déséquilibré et que cette question devrait faire l’objet de profondes refontes… et donc de luttes acharnées. En attendant, pour mon équilibre personnel, c’est déjà ça.

De la période pendant laquelle je me suis activée pour faire accepter cette demande, je tire quelques observations et questionnements.

J’ai trois échelons de cheffes au-dessus de moi.

La plus proche m’a encouragée et a appuyé ma demande.

Celle du dessus a tenté de me dissuader avec toute une liste d’arguments moisis : « si j’accepte votre demande ça va se savoir et plein de collègues voudront un TP aussi », « d’un point de vue budget si on change la quotité de votre poste ça restera gravé dans le marbre », « trop de TP risque de vider les bureaux alors qu’on accueille du public »… En discutant avec mes collègues et mes proches, j’avais patiemment préparé un contre-argument pour chacun. J’ai alors sollicité un entretien avec cette cheffe et celle d’encore au-dessus, cette fois en me faisant accompagner par quelqu’un de mon syndicat.

La Grande Cheffe, quand elle a fait le point sur ma demande au cours de cet entretien, a fait part de réticences dont aucune ne correspondait à ces arguments précédemment avancés. Et il y avait des choses très justes que je pouvais parfaitement entendre. Mais comme ce n’étaient pas les arguments qu’on m’avait servis à la base, je n’avais rien de prêt pour y répondre, ce qui est franchement déstabilisant quand on se prépare au mieux pour un entretien.

Je ne sais pas si c’était voulu, de me déstabiliser. Mais a minima, quand ces arguments moisis m’avaient été opposés au début, il s’agissait de me dissuader sans trop se fouler, de retarder la décision en attendant de voir si j’allais persévérer.

Dissuader, renvoyer à plus tard, déstabiliser… Des techniques éprouvées partout, toujours par les mêmes contre les mêmes. (le contexte est extrêmement différent, mais ça m’évoque ce que Luigi Mangione est suspecté d’avoir gravé sur ses cartouches avant de tuer Brian Thompson, PDG de UnitedHealthcare)

J’ai peut-être eu de la « chance ». Mais c’est très dépolitisant de parler de chance… Est-ce que ce sont mes responsables qui sont un peu plus humaines ? La pression sur les travailleur·euses un peu moins forte ici qu’ailleurs ? Franchement, je suis sceptique.

Est-ce que c’est l’appui du syndicat qui fait la différence ?

Le camarade qui m’a accompagnée a peu pris la parole au cours de la réunion, mais beaucoup de notes utiles. Il a démonté l’argument « de l’équité », qui consiste à dire que ce serait risqué d’accéder à ma demande parce que si des collègues font la même demande, toutes ne pourront pas être satisfaites. Si on suivait cette logique, on n’accepterait aucune demande de TP nulle part, or le code du travail impose que la demande de TP soit possible effectivement.

Peut-être que le simple fait d’amener les syndicats à la table a obligé les cheffes à plus de rigueur dans leurs arguments. Comme une surveillance qui s’exercerait sur elles et les forcerait à admettre qu’il n’y avait pas de vraie bonne raison de me refuser ce TP. Ça ne marche sans doute pas à tous les coups, on l'a bien vu avec la bataille des retraites... Mais garder l'habitude de le faire permet peut-être, à plus grande échelle, de renforcer ces syndicats ?

Je me souviens d’une période où j’étais très craintive quand je devais m’adresser à l’administration, pour n’importe quelle demande. La sensation était toujours de demander une faveur et j’étais facile à dissuader. Je n’osais pas relancer si on ne me répondait pas, je prenais les premiers « ça va être compliqué... » pour argent comptant, ne me permettais pas de questionner les arguments. J’avais toujours peur d'embêter mon interlocuteur·ice, consciente que souvent il ou elle n’était pas décisionnaire.

Mais on m’a dit un jour « quand tu travailles pour quelqu’un, c’est lui qui t’est redevable ». Appliqué au service public, ça marche aussi : je ne demande pas des faveurs, j’exerce mes droits.

Et je profite maintenant de ce temps libéré pour en exercer d’autres : à paresser, à me déplacer, à m'informer, à faire preuve de solidarité, à me soigner, à m’exprimer… et à lutter, pour gagner encore du terrain dans la réappropriation de nos existences.

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