Ce jeudi midi, un incendie s’est déclaré au Centre de rétention administrative de Palaiseau. Quelques jours avant, Essonne Info visitait ce lieu si opaque, à la rencontre de ce que l’on nomme un retenu.

Il y a deux semaines, ce qui pourrait s’apparenter à un fait divers nous a interpellés. Un étranger sans papiers enfermé au Centre de rétention administrative (Cra) de Palaiseau venait d’avaler des lames de rasoir pour tenter d’empêcher son expulsion programmée. Ces derniers mois, les membres de l’Observatoire citoyen du Cra de Palaiseau, dénoncent des « dysfonctionnements graves » concernant les conditions de vie des personnes enfermées et des tensions qui « s’aggravent » sur place.
Soucieux de comprendre le fonctionnement de cet établissement peu connu du grand public, nous avons pris rendez-vous pour une visite à une personne dite « retenue » sur place. On parle bien ici d’un centre de « rétention » et non d’une prison. C’est la police nationale, sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, qui a en charge de « retenir » des personnes arrêtées sur la voie publique et qui ne détiennent pas de papiers en règle sur le territoire français. Elles y passent entre quelques heures et quarante-cinq jours, avant d’être libérées ou bien expulsées.
Farouk, 42 jours au Cra
Pour entrer au Cra, il faut tout d’abord sonner à un interphone, et annoncer le nom de la personne à qui l’on vient rendre visite. Pour nous, ce sera Farouk*. Passés deux portails, une porte d’entrée amène le visiteur dans le hall d’accueil. Avant de rencontrer la personne voulue, il nous est demandé de nous délester de nos vestes, sacs et téléphones portables. Tout juste avons-nous la possibilité de prendre un petit carnet de notes. Sur le mur, les entrées et sorties de la journée sont écrites au tableau Veleda. On peut y voir les escortes du Cra qui doivent conduire les retenus dans la journée au tribunal d’Évry, à Roissy ou encore au consulat de Tunisie à Paris.
Dans la petite pièce exigüe où nous attend Farouk, une petite table blanche et trois chaises font office de mobilier. Un petit écriteau précise que la famille d’un retenu peut lui amener des denrées à condition qu’elles ne soient pas périssables. Farouk est originaire de Tunisie, il a 20 ans. Il y a un an, il a fui son pays et a rejoint l’Europe par la petite île de Lampedusa dans le sud de l’Italie. Vingt-quatre heures de voyage à travers la Méditerranée, puis une arrivée en France dans la métropole rouennaise*, où vit son père. Après un an de petits jobs, notamment en tant que coiffeur, il se fait arrêter sans pouvoir prouver son identité, et conduit en garde à vue, puis ici au Cra.
C’est une situation difficile que nous décrit Farouk lors de cet entretien d’une vingtaine de minutes : « Ici les gens ont peur, car à tout moment on peut nous expulser », explique-t-il. Les trente-huit places du centre sont quasiment toujours occupées. Les retenus, qui sont deux par chambre, ont accès à une salle commune, et la tension est vive à l’intérieur à en croire le jeune homme. Farouk est maintenant enfermé depuis quarante-deux jours, et attend sa sortie pour les prochains jours lorsque nous le visitons. Les étrangers retenus ne peuvent en effet pas être privés ainsi de leur liberté plus de quarante-cinq jours selon la loi. Visiblement stressé et fatigué, il nous confiera prendre des cachets pour dormir, et se plaindra du manque d’écoute des personnels du centre : « Je leur ai demandé un stylo pour pouvoir écrire depuis cinq jours, j’attends toujours », indique-t-il. Sur son avant-bras, des marques de mutilation sont apparentes. Gêné d’être interrogé à ce sujet, il se contentera d’un « ici tout le monde fait ça » .
Dans les couloirs en sortant, nous croisons la salariée de France Terre d’Asile, chargée de l’accompagnement des retenus dans leurs démarches administratives et juridiques. « Vous êtes de l’Observatoire ? » nous demande-t-elle, avant d’expliquer brièvement ses missions, qu’elle effectue depuis son arrivée à ce poste deux semaines auparavant. Rendez-vous est pris avec Farouk après sa libération pour discuter de nouveau avec lui. Celle-ci interviendra plus vite que prévu.
Le Cra brûle
Jeudi midi, un incendie éclate dans une des chambres du Cra. Selon plusieurs témoignages recoupés par Essonne Info, le feu est parti à l’intérieur du lieu d’enfermement, les retenus ont été évacués à l’extérieur et contenus par les forces de police aidées de renforts. Une personne retenue s’est automutilée et a été transportée à l’hôpital d’Orsay. Il semble également qu’une bagarre ait éclaté au sein du Cra, entre plusieurs retenus et des personnels du centre. Au moins deux personnes ont été conduites en garde à vue dans l’après-midi. La rapide intervention des pompiers a permis de contenir le feu et de le résorber au bout d’une heure. Alors que le Cra fume encore et que les lieux sont remplis d’eau, les retenus doivent être évacués.
Après l’incendie, et alors que les forces de police contiennent les retenus et que les transferts vers d’autres Cra commencent, Farouk obtient son bon de sortie des lieux. Son « attestation de sortie du Cra » lui permettra pendant sept jours de circuler sur le territoire, avant de se retrouver vraisemblablement en situation irrégulière. C’est à côté de la gare que nous le retrouvons, rejoints par Claude Peschantsky de l’observatoire du Cra.
Farouk raconte son calvaire, la promiscuité des lieux, l’avocat commis d’office « qui s’est occupé de mon dossier pas plus de deux minutes » , mais aussi certaines situations personnelles vécues par ces sans-papiers retenus : « Là-dedans, il y a plein de gens qui ont perdu leur boulot à cause de l’enfermement, ou bien ils ont eu des problèmes avec leur patron » .
Habituée au suivi dans leurs démarches de personnes enfermées au Cra de Palaiseau, Claude Peschantsky inclue le cas de Farouk dans une situation générale et administrative « qui se détériore grandement » . « Ils ont su assez tôt qu’on ne lui délivrerait pas de laissez-passer, explique Claude Peschantsky. Sachant cette situation, le retenu est resté enfermé faute d'autres solutions administratives. Pour la militante associative, cela ne fait aucun doute, « ils auraient pu le relâcher avant » .
Pour l’heure, l’administration souhaitait ce jeudi transférer l’ensemble des personnes enfermées dans d’autres centres de la région parisienne. Plusieurs ont ainsi été conduites au Mesnil-Amelot ainsi qu’à Vincennes dans l’après-midi et y ont été enfermées jeudi soir. De son côté, Farouk a trouvé une solution d’hébergement provisoire chez des amis, avant de rejoindre son père à côté de Rouen.
* le prénom et la ville ont été modifiés
Julien Monier, avec Frédéric Baud et Adrien Derain
Article publié à l'origine sur le web-journal Essonne Info.