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Billet de blog 10 juillet 2015

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De la dépression comme oppression

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L’idée que la gauche a progressivement perdu la bataille idéologique à force de renoncements et de phrases assassines comme celle proclamée par Michel Rocard (1) est une idée désormais admise. Cette idée se concentre dans la tristement célèbre affirmation There is no alternativeattribuée à Margaret Thatcher et qui vaut comme dogme à tous les arguments ou mesures que l’on pourrait opposer au capitalisme. Cependant, nous ne tirons  peut-être pas au niveau individuel et collectif toutes les conséquences de cette défaite. Cette défaite n’a pas seulement rendu possible le démantèlement des services publics, de la justice sociale, elle a aussi transformé la misère sociale et économique en un fatum auquel il faut, quand on est adulte et responsable, se résigner : « dans la lutte contre le chômage on a tout essayé » confesse François Mitterrand. La lutte est donc perdue et pire même elle est vaine. D’où l’impuissance des politiques, des syndicats, associations, individus à changer quoi que ce soit au système, au réel, à l’ordre du monde… Sur le même registre Christine Lagarde demandait il y a peu à traiter avec des interlocuteurs adultes plutôt qu’avec Alexis Tsipras et Yannis Varoufakis.

Pourtant un tel mépris nous renseigne sur la nature des procédés employés par les ennemis de la gauche : la meilleure manière de triompher consiste non à être le plus fort mais à affaiblir son ennemi. Ainsi les trois affirmations citées ne contestent pas le caractère inhumain du capitalisme, mais elle l’intronise en le consacrant comme un mal inévitable. Le mal inévitable est devenu nécessaire pour les dirigeants de l’Eurogroupe et c’est ce dogme que, quelles que soient les concessions qu’il fera,  Tsipras et le peuple grec ont renversé le 5 juillet.

Nous devons donc en conclure que la bataille des idées détermine aussi celle des forces individuelles et collectives : ce n’est pas parce que nous sommes impuissants à transformer le réel que nous avons perdu la bataille des idées, mais c’est parce que la gauche a perdu la bataille des idées que nous sommes devenus impuissants.

Nous retrouvons ici une intuition majeure de L’Ethique de Spinoza dégagée par Gilles Deleuze lors des cours qu’il donna à Vincennes (1978/1980)

« Laffectus chez Spinoza, c’est la variation c’est lui qui parle par ma bouche ; il ne l’a pas dit parce qu’il est mort trop jeune…), c’est la variation continue de la force d’exister, en tant que cette variation est déterminée par les idées qu’on a ».

Ainsi par exemple quand je lis tel billet de JAM (2)je suis affectée de colère, de tristesse ou de dégoût alors que quand je lis tel billet de Philippe Marlière, je suis joyeuse (3)

Et, sur cette ligne mélodique de la variation continue constituée par l’affect, Spinoza va assigner deux pôles, joie-tristesse, qui seront pour lui les passions fondamentales, et la tristesse ce sera toute passion, n’importe quelle passion enveloppant une diminution de ma puissance d’agir, et joie sera toute passion enveloppant une augmentation de ma puissance d’agir.

Ce qui permettra à Spinoza de s’ouvrir par exemple sur un problème moral et politique très fondamental, qui sera sa manière à lui de poser le problème politique : comment se fait-il que les gens qui ont le pouvoir, dans n’importe quel domaine, ont besoin de nous affecter d’une manière triste ? Inspirer des passions tristes est nécessaire à l’exercice du pouvoir. Et Spinoza dit, dans le Traité théologico-politique, que c’est cela le lien profond entre le despote et le prêtre, ils ont besoin de la tristesse de leurs sujets.

Là, vous comprenez bien qu’il ne prend pas tristesse dans un sens vague, il prend tristesse au sens rigoureux qu’il a su lui donner : la tristesse c’est l’affect en tant qu’il enveloppe la diminution de la puissance d’agir.

La libération individuelle et collective ne consiste donc  pas à croire que le désir révolutionnaire est interdit car il est impossible, comme le suggère l’analyse tristement convenue de JAM  (2) mais en toutes choses à avoir des idées adéquates pour agir et nous délivrer des prêtres et des despotes.

(1) « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre sa part. »

(2) http://blogs.mediapart.fr/blog/jam/090715/la-malice-de-tsipras

(3) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-marliere/090715/meteorique-varoufakis

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