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Billet de blog 11 mai 2013

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les yeux bleus

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Les yeux bleus

J'ai les yeux bleus. J'ai les cheveux plutôt clairs, blonds foncés et j'ai les yeux bleus. Ma mère a les yeux bleus, mon père a les yeux bleus, ma sœur a les yeux bleus. Ma sœur s'est mariée avec un homme qui a des yeux bleus et ils ont deux garçons qui ont les yeux bleus.

Du côté paternel, ma grand-mère avait les yeux bleus et mon grand-père aussi.

Du côté maternel, ma grand-mère a les yeux bleus, ainsi que son père et sa mère.

Je n'y avais jamais songé jusqu'alors, mais ce matin j'ai soudain pris conscience du fait que cette constance dans des rencontres et des unions censées être inspirées par le caprice du désir et de l'amour est effrayante. Cette particularité qui est appréciée du fait de sa rareté est en réalité inquiétante, car elle suppose une certaine forme d'endogamie comme condition de possibilité. Dans ma famille non seulement tout le monde a les yeux bleus, mais en plus ils sont tous cheminots. Si ma sœur n'est pas cheminote, son mari en revanche est rentré à la SNCF.

Lorsque j'étais jeune je tombais moi aussi amoureuse de garçon aux yeux bleus et j'étais folle de Mats Wilander, Robert Redford, puis de Brad Pitt. Mais tandis que les yeux des membres de ma famille étaient bleus jeans , les miens ont une nuance de vert et d'or. Ils n'ont pas la clarté métallique des pays de l'est d'où est venue mon arrière-grand mère Sophie, ils ont un peu de la lumière du soleil de la méditerranée. Est-ce pour cette raison que mon désir d'aller jouer avec les manouches qui garaient leur roulotte à la sortie du village était aussi grand que ma peur ?

D'abord il y eut «il ne faut pas traîner avec les romanichels, ils te kidnapperont », puis il y eut : « il ne faut pas traîner avec les arabes ». On ne peut pas dire que mes parents soient racistes, ils ont des idées et des valeurs de gauche. Ils étaient xénophobes sans le savoir, car le racisme est insidieux. Rien n'illustre mieux la banalité du mal dont parle H.Arendt que le racisme. On est raciste involontairement, inconsciemment presque, il suffit pour cela de laisser les peurs et les opinions du milieu où nous baignons se répandre en nous. Et forcément nous sommes imprégnés par notre milieu. Jusqu'à mes 7 ans j'ai habité dans un petit village de la Marne où même les enfants d'immigrés étaient blonds aux yeux bleus, descendants de polonais comme ma grand-mère. Pendant longtemps je me suis demandée comment on pouvait faire le mal, mais en réalité ce n'est pas le problème. Le vrai problème, c'est comme le signale Fabrice Midal dans Auschwitz, l'impossible regard, comment faire le bien, car pour faire une bonne action, il est précisément nécessaire d'aller à contre courant, ce qui suppose conscience et courage. Il faut d'abord dire non, « penser, c'est dire non » dit Alain, il faut résister – en esprit- et ne rien lâcher … quant à l'essentiel.

Si mon premier amour était blond aux yeux bleus, mon mari est basané et il a les yeux marrons. Je ne sais pas pourquoi je suis tombée amoureuse de lui, je ne sais pas pourquoi je l'aime, je ne sais pas pourquoi je suis restée avec lui malgré les obstacles, ce qui nous lie est absolument mystérieux, je n'ai pas même le soupçon ou l'intuition de ce qui nous unit : L'amour est enfant de bohème qui n'a jamais connu de loi.

L'amour est subversif, il se moque des codes sociaux des classes et des gens qui veulent rester et se reproduire entre eux. Il est profondément exogame : vous souvenez-vous de Festen film danois réalisé par Thomas Vinterberg sorti en 1998 ? Le thème principal de ce film est moins l'inceste que le combat héroïque du fils Christian pour faire éclater publiquement la vérité sur la mort de sa sœur. Pour cela il faut aller à contre courant, contre la loi du silence qui s'est installée avec et grâce à la complicité de la mère qui aurait au moins pu rompre à défaut de pouvoir parler. J'invite ceux qui doutent du pouvoir de la parole et du symbolique, à regarder ou revoir ce film pour mesurer la force de l'inertie à laquelle notre esprit est soumis dans certaines familles et certains milieux, partout en réalité, comme pour mesurer le degré de courage, de lucidité et de persévérance qu'il faut à Christian pour s'opposer à la parole de son père et faire triompher la vérité. Ce film pourrait être le mythe fondateur de toutes nos quêtes d'émancipation actuelles, qu'elles soient individuelles ou collectives. Il ne dit pas seulement que seul le pouvoir de la parole peut nous permettre de nous libérer, il dit aussi quelque chose des forces révolutionnaires qui refusent de perpétuer l'intégrisme, le fascisme et le nazisme. Grâce à l'effort victorieux de Christian, Michaël son jeune frère, nazillon en puissance, beauf à la cabu a enfin une chance de comprendre pourquoi le départ hors de la famille a du bon, car il interdit la perpétuation de l'endogamie qui conduit à l'asservissement des femmes, au sacrifice des individus au clan, aux guerres ethniques et aux camps de concentration.

En proposant une union méditerranéenne, Jean-Luc Mélenchon et le parti de gauche vont à contre courant des forces incestuelles et intégristes qui opèrent dans toutes nos sociétés comme en chacun de nous. Et c'est pourquoi j'invite chacun de nous à porter cette idée là où il se trouve. Car ce désir d'union politique ouvre la possibilité d'une communauté humaine qui contrarie le communautarisme et l'intégrisme quelle que soit la forme qu'ils prennent aux quatre coins cardinaux. Plutôt que de vociférer contre les jeunes filles issues de l'immigration qui portent un tchador parlons-leur, invitons-les, aimons-les. L'amour et la compassion authentiques consistent à accepter l'autre tel qu'il est. Le meilleur moyen d'inclure – inclure s'oppose à exclure - c'est en effet de donner cette perspective politique à tous ces jeunes qui aujourd'hui ne mangent plus ensemble et ne dorment plus ensemble à cause des interdits religieux, alors qu'ils vivent côte à côte.

Voilà en quoi consiste l'union sacrée, tout l'oppose à l'union revendiquée par un Valls ou un Harlem Désir qui participent de l'omerta en demandant un soutien aveugle au gouvernement. L'élan inconditionnel et irrationnel du cœur n'exclut pas mais implique la vigilance et la résistance en esprit. L'amour qui unit et donne le sentiment d'unité et de complétude ne saurait exiger la soumission de l'esprit. Le refus d'être complice et complaisant n'est pas intolérance ou sectarisme - je pense ici aux rapprochements totalement erronés entre front national et front de gauche- et inversement la solidarité et l'amour n'ont strictement rien à voir avec la complicité et la complaisance.

Déjà que je ne peux plus marcher, il est hors de question qu'un beau matin j'en vienne à me crever les yeux parce que je me serai aperçue que j'avais trop souvent accepté sans m'en rendre compte de les fermer !

PG, pardon PS : pour ceux qui ne connaissent pas, je recommande vivement la lecture de deux livres de Fabrice Midal Auschwitz l'impossible regard et Si de l'amour, on ne savait rien.

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