Les polémiques qui ont fait rage sur le billet de Vingtras Intolérance ainsi que sur celui de Philippe Alain, ont eu l’immense mérite de m’amener à repenser la question du rapport que nous entretenons avec les autres et avec la vérité et de voir que ces deux questions étaient intimement liées : c’est notre difficulté ou incapacité à inclure la vérité en nous qui nous conduit à exclure hors de nous certaines personnes ou certaines catégories de personnes.
Ainsi face aux situations insoutenables dont par exemple Philippe Alain témoigne sur son blog, est-il impossible de ne pas éprouver une réaction de rejet. La vue de la misère, c’est-à-dire de la souffrance sous toutes ses formes, de l’injustice et de la violence nous fait souffrir. La question de savoir comment il est possible d’accueillir cette souffrance doit être posée, car faute de parvenir à accueillir la souffrance, nous alimentons les trois maux qui minent notre civilisation occidentale contemporaine.
Le premier est la maladie auto-immune. L’empathie à la souffrance d’autrui nous rend malade. Pas besoin d’être sociologue ou neurologue, pour savoir que le taux de maladies est très élevé chez le personnel des services publics : professeurs, infirmier(e)s… souffrent de dépression ou de maladies somatiques.
Le second est le phénomène du bouc émissaire : l’incapacité à accueillir la souffrance à laquelle il est inévitable que chacun de nous soit confronté un jour ou l’autre nous conduit à rejeter celui qui souffre ou celui qui témoigne des souffrances des autres. Et ils sont nombreux ceux qui à Médiapart, témoignent des souffrances de notre monde.
Mais ceux qui témoignent de la misère du monde, ceux qui nous ouvrent les yeux sur ce que Bouddha appelait la première noble réalité, qu’il découvrit lorsqu’il décida de quitter son palais doré, nous montrent un problème dont ils ne détiennent pas forcément de solution… encore moins immédiate, ce que nul ne peut leur reprocher. D’où le surgissement d’un troisième mal, la haine de l’oppresseur. Rien n’illustre mieux cette haine que la légende de Méduse. Méduse est une belle jeune fille dont Poséidon s'éprend. Violée par ce dieu dans un temple dédié à Athéna, elle est punie par cette même déesse qui la transforme en Gorgone. Ses cheveux deviennent des serpents, ses yeux se dilatent et désormais son regard pétrifie tous ceux qui le croisent. Communément, cette souffrance de la souffrance s’appelle ressentiment.
Si individuellement et collectivement nous sommes incapables d’accueillir toute la misère du monde, alors nous ajouterons à la souffrance initiale ces trois souffrances que sont
- la culpabilité, qui est une forme de rejet de soi,
- la xénophobie qui est rejet de l’autre
- le ressentiment qui est autant rejet de soi que de l’autre
Il ne faut pas chercher l’enfer ailleurs que dans ces trois formes de rejet qu’individuellement et collectivement nous alimentons. Les progrès des techniques et des sciences qui transforment notre condition humaine, les progrès politiques qui apportent plus de libertés pour indispensables qu’ils soient, ne sont pas suffisants. Le progrès humain dépend de notre capacité à entrer en amitié avec notre souffrance et celle des autres.
L’humanité a deux sens, elle désigne le genre humain et la bonté humaine qui consiste à traiter avec humanité chaque être qu’il soit ou non humain, chaque être, y compris donc soi-même.
Les sociétés orientales et traditionnelles peuvent nous aider à acquérir la force qui nous manque celle de la bienveillance. Le temps est venu de comprendre que la libération politique et spirituelle sont les deux faces d’une même pièce, que la science sans la conscience n’est que ruine de l’âme.
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