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Billet de blog 17 mai 2016

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La haine

Si on ne fait pas de révolution avec la haine, nous ne la ferons pas sans elle, soyons Solidaires de la haine

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je reviens de la manifestation qui a terminé son trajet place Bellecour vers 14h00. Je n’ai pas les chiffres mais il y avait du monde, un monde très bigarré : les banderoles rouges des syndicats CGT et FO coloraient le cortège, quelques drapeaux d’ensemble émergeaient çà et là, Solidaires, la CNT étaient aussi présents à côté des jeunes lycéens et étudiants. Les jeunes, les retraités, les chômeurs se mêlaient avec les salariés des classes populaires et moyennes.  Parmi les événements qui m’ont le plus  réjouie, je mentionnerai une petite troupe de très jeunes filles et garçons affichant sur leurs pancartes qu’ils étaient gouines, queers, trans… Ils sont arrivés sur la place Bellecour en chantant et en dansant comme s’ils descendaient de l’Olympe. Ils étaient une poignée, je les ai trouvés beaux et courageux et j’ai songé aux gamins que j’ai chaque jour face à moi au Lycée et qui peut-être cachent encore comme une honte leur préférence sexuelle.

Alors que nous nous rassemblions sur la place pour manger nos sandwichs, que nous nous regroupions autour des camions et des micros pour parler de la suite, un homme s’est mis à courir en direction des CRS qui bouclaient la place, une poignée de jeunes l’ont suivi puis les CRS ont chargé dégageant les manifestants à coup de bombes lacrymogènes. Deux costauds de la CGT ont foncé sur moi pour me dire de dégager immédiatement par le fond de la place : je suis en fauteuil roulant. La place s’est vidée. Je suis restée dans une rue voisine attendant que les choses se calment, je ne voulais pas partir.

J’ai contourné la place pour rejoindre un rassemblement autour d’un camion Solidaires. Le micro circulait entre les jeunes et les vieux, les femmes et les hommes, les salariés et les chômeurs, les syndiqués et les électrons libres, les anarchistes, les réfugiés latino, les bien portants et moi qui suis entre autre malade et handicapée. Cette circulation de la parole parmi ces personnes de toute condition m’a évidemment fait songer à cette société sans classe prétendument utopique dont parle Marx. En écoutant toute cette jeunesse intarissable, je mesurai l’écart avec l’apathie de mes lycéens. A Quoi tient l’éveil d’une conscience ? A quoi tient le courage d’afficher sa préférence et de prendre la parole ?

Mais je n’étais pas seulement admirative devant ces jeunes et ces vieux qui dialoguaient, j’étais aussi admirative devant le calme des syndiqués Solidaires qui faisaient passer le micro à tous ceux qui voulaient parler sans jamais censurer, en rappelant simplement que tous devaient écouter ceux qui parlaient. La discussion portait sur la violence de la police et les réponses à y apporter.  Des jeunes des banlieues étaient là, reconnaissables entre tous, par leurs vêtements – des survêtements noirs de mauvaise qualité, et la couleur de leur peau : tous des enfants d’immigrés en provenance d’Afrique noire ou du Maghreb. L’un d’entre eux, très jeune,  a repris le micro a plusieurs reprises : « on vit comme des chiens, on mange comme des chiens, la police elle nous traite comme des chiens. Ils nous frappent, ils m’ont battu et craché dessus. Vous étiez où vous quand ils m’ont frappé ? ! On vit comme des chiens, on n’a pas d’argent, on nous traite comme des chiens ! » Il était petit, il avait un physique ingrat et j’ai évidemment songé à ce qui serait arrivé si je l’avais eu en classe devant moi. Je n’aurai pas vu la même personne et inévitablement les rapports auraient tourné au conflit. « Les droits de l’homme il n’y en a pas, on nous traite comme des chiens, là où on vit c’est la guerre ! »

Je songeais au cours que je venais de terminer sur la politique, aux propos de Lordon sur la nécessité d’organiser une lutte pour un autre monde et pas seulement de s'en tenir à une révolte haineuse contre l’ordre établi. Bien sûr il y a une alternative mais si nous voulons la mettre en place, il ne faudra pas avoir peur de la haine et du ressentiment de toutes ces générations dominées qu’il faut écouter, avec qui il faut parler comme l’ont fait les syndicalistes de Solidaires place Bellecour. Nous ne ferons pas l’économie de la haine et de la violence, même si nous devons aider à en déjouer les pièges :

Si nous sommes Solidaires de la haine, le monde est à nous ! *

* extrait du film de Mathieu Kassovitz  la haine :  https://youtu.be/jf7QgQAqneE

 Laure Jabrane, enseignante en Lycée

vidéo montrant les forces de l'ordre chargeant les manifestants pacifiques réunis place bellecour

https://www.facebook.com/jacky.abada.1/posts/1373093599384491

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